Données publiques : la mine dort
Vous avez voté : vivotez. Voilà un des slogans de Mai 1968 dont on fête les 40 ans en ce mois de mai 2008. Ce slogan n’a jamais été autant d’actualité. Alors que quelques génies locaux appellent la population, après les votes de 2007 et 2008, à attendre les prochaines élections pour enfin l’ouvrir, il n’est peut-être pas inutile de se poser la question de savoir sur quels éléments les citoyens votent dur, votent mou, mais votent dans le trou. Chaque campagne électorale apporte son lot de propagande de toutes parts. Comment le citoyen peut-il vérifier l’action de ses élus, leurs résultats et les arguments des différents protagonistes ? Très difficile en réalité. Pourtant, il existe une mine d’information, payée par leurs impôts, qui pourrait servir à cela : les données publiques. Encore faut-il y avoir accès.
L’information, maillon essentiel de la démocratie
"Les chiffres parlent d’eux même". Combien de fois a-t-on entendu cette phrase magique ? La vérité, c’est que des chiffres, ça ne parle pas, on les fait parler. Et on les fait d’autant plus parler qu’on les choisit soigneusement ; on choisit ceux qui, évidemment, défendent nos thèses, nos convictions. Les chiffres, les données dont nous avons connaissances passent par divers filtres et on y a rarement accès directement. Pourtant, pour pouvoir faire un choix lors de l’acte démocratique majeur, le vote, il faudrait pouvoir le faire en toute connaissance de causes. Dans les systèmes démocratiques, les médias (presse, radios, télévision) sont la source quasi unique de données accessibles aux citoyens, d’où leur rôle essentiel. On comprend ainsi mieux que l’on [1] cherche, si ce n’est à museler les médias, au moins à les maîtriser, les contrôler un minimum.
Pourtant, les médias ne peuvent pas tout. Ils sont notamment contraints par des objectifs économiques [2]. Les médias fournissent donc aux lecteurs, auditeurs, téléspectateurs ce qu’ils attendent et sombrent le plus souvent dans la facilité. Difficile de trouver des éléments sur des dossiers extrêmement techniques comme la loi DADVSI par exemple ou les brevets logiciels. Au niveau national, la presse réalise un travail passable mais extrêmement perfectible. Pour ce qui est de l’information locale, la presse quotidienne régionale réalise, la plupart du temps, un travail relativement catastrophique.
Depuis quelques années, internet, à travers les blogs ou les webzines tels l’Agitateur, est venu renforcer les médias dans la diffusion d’information. Chaque citoyen peut s’exprimer librement, à coût faible voir nul. Encore faut-il que cette expression soit pertinente et argumentée. Or, il faut bien le reconnaître, la plupart des webzines d’information se contentent de relayer et commenter des informations produites par les médias traditionnels. [3]. Ils ont toutefois le mérite de mettre bien souvent en avant des informations qui seraient passées inaperçues si elles n’étaient pas passées à la moulinette d’internautes-citoyens vigilants.
Données publiques : de la théorie à la pratique
Pourtant, dans une démocratie comme la France, les citoyens vivent sur une mine d’or, celle des données publiques. En théorie, les données publiques sont accessibles à tout citoyen qui en fait la demande. Dans la pratique, c’est plus compliqué.
Prenons un exemple. Imaginez que vous ayez l’idée saugrenue de récupérer des informations sur le dernier conseil municipal en date, pour la ville de Bourges, il s’agissait du 28 mars 2008. Premier réflexe, le site web de la ville de Bourges qui fournit un compte-rendu analytique du dernier conseil municipal. Ces données partielles, au format html (web) ne sont pas facilement exploitables. Heureusement, il est précisé qu’il est possible de demander par courrier électronique "le détail d’une délibération" au secrétariat général de la mairie. C’est ce que l’on s’empresse de faire en demandant le détail de l’ensemble des délibérations du 28 mars 2008. La réponse que l’on nous fournit après quelques jours nous laisse perplexe : "il ne me semble guère possible de vous faire parvenir l’ensemble de ces délibérations vu leur nombre (102).". Alors, on s’enquiert de connaître la raison de cette impossibilité. Les documents sont-ils bien au format électronique ? Quelle est la difficulté, que l’on suppose technique, qui est rencontrée ? Pour toute réponse, on nous propose, dans un style on ne peut plus administratif, de passer à la mairie aux heures d’ouverture afin de nous faire des photocopies des documents en questions. Fin de la discussion avec le secrétariat général de la mairie de Bourges. On se dirige alors vers Philippe Bensac, nouvel adjoint au maire chargé des technologies, afin de comprendre, connaître cette impossibilité technique de fournir les informations demandées. Philippe Bensac noit le poisson, répond à coté. Notre relance pour obtenir une véritable réponse ne donnera rien. Circulez, il n’y a rien a voir.
Rétention d’information
Dans notre cas, la réponse de la mairie de Bourges s’apparente à une véritable rétention d’information. Il faut admettre que la mairie respecte la loi puisque les données sont bien accessibles en se rendant physiquement dans les locaux de la mairie. Mais rien que les horaires d’ouverture du bureau 205 de la mairie, de 8h30 à 12h00 et de 13h30 à 17h30 du lundi au vendredi sont un frein à l’accès aux données publiques. La plupart des salariés ne peuvent se permettre le luxe de prendre une demi-journée pour aller rechercher des informations en mairie. Donc si elle respecte la loi, la mairie de Bourges ne respecte pas l’esprit de la loi en ne prenant pas en compte les évolutions techniques qui ont eu lieu depuis sa promulgation et qui pourraient faciliter l’accès aux données publiques qu’elle produit. La proposition de réaliser des photocopies est risible de la part d’une mairie dont le maire, Serge Lepeltier, se dit avoir des convictions écologistes et se veut un bon gestionnaire. Combien de temps aurais-je mobilisé le secrétariat général pour réaliser la photocopie de ces 102 documents ? Quel en serait le coût ? Quel en serait le coût si, ne serait-ce qu’une centaine d’habitants de Bourges faisaient la même démarche ? Pourquoi ne pas envoyer ces 102 documents par mail ou bien mieux, les mettre à dispositions sur le web ? Pourquoi, à la limite ne pas proposer de récupérer ces documents sur une clé USB ? [4]. Bref des solutions de bon sens, à très faible coût, comme les aiment cette droite locale auto-proclamée pragmatique, il y en a.
On a demandé à deux conseillers municipaux, Yannick Bedin et Nicolas Hénault, si ils avaient accès aux délibérations du conseil municipal au format éléctronique. La réponse de Yannick Bedin laisse perplexe : "J’ignorais qu’il existait des comptes-rendus électroniques des conseils. Je vais me renseigner." Comprendre, il n’y a jamais eu accès sous cette forme [5]. Que les citoyens n’aient pas accès à ces documents au format électronique, admettons. Mais que des conseillers municipaux n’y aient pas plus accès, c’est quand même très fort ! Comment peuvent-ils travailler correctement à partir de document papier ? Combien de temps prend la recherche d’une information dans des amas de papier ? En 2008, une telle situation est tout simplement aberrante voir surréaliste.
La ville de Bourges est bien entendu un exemple mais n’est pas la seule collectivité à pêcher dans l’accès aux données publiques. Le Conseil Général du Cher fait un peu mieux en proposant un outil de recherche des décisions du prises. Mais cet outil assez sommaire est très peu convaincant, pas très utilisable. Et rien ne dit qu’il met à disposition la totalité de ces données. Le Conseil Régional du Centre lui, met à disposition des compte-rendu des séances plénières qui s’apparentent à du foutage de gueule, jugez vous même, le dernier date de...Juin 2007. Quand à Bourges Plus qui est la plus jeune des structures locales, elle ne fait pas mieux que la ville de Bourges dans le domaine. Bref, les efforts à réaliser afin de permettre aux citoyens d’avoir accès facilement aux données publiques sont importants et ce quelle que soit l’administration publique.
Que sommes nous en droit d’attendre ?
En matière d’accès aux données publiques, nous serions en droit d’attendre en 2008, beaucoup plus que ce qui est fait actuellement par l’ensemble des collectivités publiques. Bien entendu, on s’attend à ce que la totalité des données publiques soient rendues disponibles, que ces données soient collectées à la source, sans modifications, sans agrégation avec le plus de détails possible. On s’attend également à ce qu’elle soient rendues disponibles aussi rapidement que possible pour tous les types d’utilisateurs et d’utilisations, sans discrimination et sans autorisation préalable. En 2008 rendre accessible les données publiques signifie nécessairement les mettre à disposition au format numérique et si possible les rendre exploitables par des traitements informatiques [6]. Cela signifie que les formats de ces documents
électroniques ne sont pas sous contrôle exclusif d’un individu, d’une
entreprise ou organisme quelconque. Tout comme les formats, les
données doivent être non soumis aux droits d’auteur, aux brevets, au
droit des marques ou au secret commercial.
Réaliser une véritable mise à disposition des données publiques ne
signifie pas nécessairement des investissements informatiques
colossaux [7]. Dans tous les cas, il est évident que les
administrations se doivent de mutualiser les infrastructures, les
logiciels et les procédures qui permettront de mettre réellement à
disposition les données publiques.
Un coup de pouce au débat et à la démocratie ?
Mettre véritablement à disposition des citoyens les données publiques signifierait vraisemblablement une plus grande transparence dans la gestion publique et surtout une meilleure compréhension, une plus grande implication des citoyens dans la chose publique. Cela pourrait être une partie de la solution qui permettrait à Serge Lepeltier de tenir sa promesse sur la démocratie locale. Après le taux d’abstention que l’on a connu aux élections municipales de mars 2008, ce ne serait pas du luxe. Certains argueront que l’accès aux données publiques n’est pas la préoccupation principale des français et qu’il y a des choses bien plus importantes à réaliser. Cependant, si les simples citoyens ne s’y intéressent, les journalistes devraient réaliser ce travail et être les médiateurs naturels entre les citoyens et les élus ; ces mêmes élus de la majorité et de l’opposition devraient également s’y intéresser afin d’étayer leurs propositions ou leurs décisions. Quant aux citoyens, si ils ne vont pas à la conquête de ces données en faisant pression sur les élus et collectivités, les administrations continueront à sombrer dans l’opacité la plus totale, nous continuerons à être menés en bateau à chaque élection ; nous continuerons ainsi à être dirigés, administrés dans l’indifférence la plus totale de la grande majorité des citoyens. N’en déplaise à certains, les échéances électorales ne peuvent être le seul moment de respiration de la vie démocratique locale. Le débat doit être permanent. Et pour qu’il y ait débat, il faut que tout le monde soit informé à un pied d’égalité. Les données publiques ne peuvent être accessibles aux seuls élus. La mine d’or des données publiques est à tout le monde. A nos dirigeants de permettre leur partage. Aux citoyens de réclamer vivement le partage de cette mine d’informations qui dort...
[2] Bien souvent, il s’agit de survie
[3] L’Agitateur n’échappe pas à la règle, et ce essentiellement par manque de moyens en temps
[4] Le rapport sur le grenelle de l’environnement avait été remis en grande pompe à Jean-Louis Borloo, sur une clé USB
[5] Nicolas Hénault nous a répondu au lendemain de la publication de cet article qu’il n’avait pas accès à ces documents au formats électronique...et nous a conseillé de les réclamer au secrétariat général de la mairie
[6] En clair, il est préférable de fournir un compte-rendu écrit d’un conseil municipal sur lequel ont pourra faire des recherches sur des mots clés plutôt que de fournir une vidéo de cette même réunion qui sera inexploitable au niveau des outils de recherche.
[7] L’utilisation de logiciels libres est fortement
conseillée