I went to the market, mon p’tit pânier sous mon brâââs !

Poulet du dimanche

Ou quand les pétasses prennent le pouvoir.
lundi 20 décembre 2010 à 09:59, par B. Javerliat
Poulet du dimanche

C’est comme ça depuis toujours. Chez moi, le dimanche, c’est poulet. Ça vous fait rire ? J’m’en fous ! Bon, ça c’est dit. Donc, le dimanche c’est poulet, poulet-fayots pour être précis. Aussi longtemps que je me souvienne, ça a toujours été poulet-fayots le dimanche. Chez mes parents. Chez mes grands-parents. Une espèce de tradition familiale. Bien qu’on ne choisisse pas sa famille, les traditions familiales, ça se respecte. Et mes gamins, ils font comme leurs ancêtres, ils ont du poulet-fayots le dimanche. Ca vous fait rire aussi ? Et la poule au pot d’Henri IV, vous en faites quoi ? Ça date pas d’hier !

Un peu comme Cambrai a ses bêtises, la Vendée a ses mogettes.

J’irais même jusqu’à dire que je plains ceux qui ne connaissent pas le poulet-fayots. Surtout si le poulet vient de chez le fermier du coin et si les fayots sont des mogettes de Vendée. Ben oui, en Vendée, y’a pas que le « Puy du Fou » ou des tempêtes meurtrières. Il y a aussi les mogettes. Un peu comme Cambrai a ses bêtises, Bourges ses Forestines (célèbres au moins jusqu’à Nançay, où le Sablé prend alors le dessus de la notoriété culinaire), la Vendée a ses mogettes.

La Bretagne crèvera de ses cochons et de ses cocos.

Dans ma famille, les haricots c’étaient des lingots. Mais le lingot, si tu sais pas le faire cuire, ça fait péter. Moi, ça va, je sais le cuisiner le lingot. Mais si vous ne savez pas, je vous déconseille d’en faire. Car vous risquez de participer grave au réchauffement climatique. Vous pouvez vous rabattre sur le coco breton. Sauf que le coco breton, c’est dégueulasse. Ça fait péter autant, mais en plus, c’est pas bon. Et c’est cultivé avec le lisier des porcheries industrielles, vous savez cette saloperie qui fait des algues toutes vertes qui puent très fort en pourrissant sur les magnifiques plages bretonnes. La Bretagne crèvera de ses cochons et de ses cocos (n’y voyez aucune allusion politique, et en plus, c’est pas le sujet. Si ça se trouve, le Berry crèvera avant la Bretagne !). Pourtant, qu’est-ce que c’est beau l’Aber-Wrac’h !

Comment ? On dit plus CJMB mais Bourges Basket ? Je savais pas.

Donc, le dimanche, c’est poulet-fayots. (À ceux que ça intéresse, je peux leur expliquer comment on fait). Mais aujourd’hui, dimanche 19 décembre 2010, je suis en rupture de poulet fermier... Je vous le concède, c’est totalement inintéressant, comme information. Je vous répondrai que c’est pas moins intéressant que la victoire du CJMB sur Toulouse. Comment ? On dit plus CJMB mais Bourges Basket ? Je savais pas. C’est vous dire si je m’en fous ! Alors, plutôt que de faillir à la tradition ancestrale, je décide d’acheter un poulet industriel au supermarché du coin. Grave erreur…

Maintenant, on ne va plus au marché, mais au market.

Me voila donc au supermarché. Supermarket, devrais-je dire. Car maintenant, on ne va plus au marché, mais au market. Toutes les marques de supermarché mettent leurs enseignes en anglais, comme Carrefour Market, par exemple. Ça permet de faire des réductions sur les coûts publicitaires, puisque quel que soit le pays, on écrit la même chose. Le mien s’appelle « Simply Market ». Complètement crétin, comme nom. Pour les anglophobes, ça veut dire « Simplement Marché ». J’vous l’avais dit que c’était idiot.

À cette période de l’année, c’est à gerber, le rayon des poulets.

J’arrive donc au « Simplement Marché », et là, c’est la folie. La queue à toutes les caisses jusqu’à 20 m à l’intérieur des allées. Va y avoir la guerre ou quoi ? Qu’est-ce qu’ils ont à se ruer sur la bouffe comme ça ? J’étais face à un dilemme : faire la queue une plombe pour un poulet de merde ou faire une entorse aux traditions (si ça vous intéresse vraiment pas, ce que je dis, vous pouvez arrêter, hein ?). D’un autre côté, j’y étais, alors je me suis jeté dans la mêlée. Risquant à tout bout de champ la collision avec un caddie® (ne pas oublier le ®, c’est une marque déposée. J’ai même pas le droit de m’en servir pour cet article. Mais comme c’est pas vraiment un article, on s’en fout), j’arrive au rayon des poulets. À cette période de l’année, c’est à gerber, le rayon des poulets. Y’a des bacs entiers de foie gras de canard « préparés et conditionnés en France ». Autrement dit, des saloperies produites en Bulgarie ou pas loin dans des conditions d’hygiène et de travail idéales, grâce à l’Europe qui protège.

Ils sont élevés en plein air. Si, si, c’est vrai, c’est marqué dessus.

Il reste 3 poulets (je vous l’ai dit, c’est la guerre). Un poulet classe A de base et de merde, et 2 poulets de Loué. Ils sont bien à Loué. Ils ont réussi à faire croire à des cons dont je suis, qu’ils sont meilleurs que les autres, leurs poulets, parce qu’ils sont élevés en plein air. Si, si, c’est vrai, c’est marqué dessus. Enfin, c’était. Car depuis quelques temps, y’a plus marqué « élevé en plein-air ». Mais « élevé en liberté ». Comprenez qu’il est élevé en batterie, comme les autres, mais qu’il est libre d’y rester ou d’y rester, le poulet. C’est toute la nuance. Donc, va pour le poulet de Loué élevé en liberté (au fait, Loué, c’est pas loin de la Bretagne. Y’a pas de hasard…)

C’est très démocratique, un super market. Tout le monde à l’air con pareil.

Me voilà arrivé aux caisses avec mon poulet. Je vous rappelle qu’il y a une queue immense aux caisses (mais si vous êtes arrivé jusque-là, vous le savez déjà). Je décide de rester stoïque, et j’attends, comme tout le monde. Pour ça, c’est très démocratique, un super market. Tout le monde à l’air con pareil. Je contemple le spectacle, et promis, je ne vous en causerai pas. Parce qu’en fait, c’est pas du tout là que je voulais en venir. Vous pensez bien que j’ai pas écrit tout ça uniquement pour vous parler du poulet-mogettes du dimanche, qui en fait ne concerne que moi.

On pourra faire ses courses sans jamais rencontrer un être humain, ça sera génial.

Non, ce qui m’ « interpelle quelque part », comme on dit à la biennale d’art contemporain, ce sont ces nouvelles caisses en self-service. Libre-service, pardon. Parce que là, y’a pas la queue, ça roule tout seul. Mais je me suis juré de ne jamais utiliser ces machines qui vont bientôt mettre les caissiers et les caissières au chômage. Quand il n’y aura plus que ça, on pourra faire ses courses sans jamais rencontrer un être humain, ça sera génial. Je m’étais donc juré de ne jamais utiliser ces faiseuses de chômeurs. Jamais. Sauf que y’a pas la queue. Et que devant moi, y’a des monceaux de bouffe et de barbaque qui attendent d’être payés pour ensuite se déverser dans les coffres des bagnoles sur le parking.

Pour la pétasse, mon poulet est un produit.

Après un coup d’œil circulaire et coupable, je m’approche donc des ces machines. Y’a que les imbéciles qui changent pas d’avis. « Appuyez ici pour commencer », est-il écrit. J’appuie, et la machine me cause. Je sais pas pourquoi ils mettent toujours des voix de femmes dans les machines, jamais des voix d’hommes. Et pourquoi, de préférence, des voix de pétasses. La pétasse m’ordonne donc de présenter mon produit devant la petite fenêtre dédiée à cet usage. Ben oui, pour la pétasse, mon poulet est un produit. Parce que la pétasse, en bonne pétasse qui se respecte, ne sait pas faire la différence entre un poulet de Loué élevé en liberté et une botte de poireaux.

Vous avez déjà réussi à arrêter une pétasse de parler, vous ?

Je présente donc mon produit libre. Et là, rien. La pétasse reste muette. Pas longtemps, parce qu’elle s’impatiente et me demande à nouveau de présenter mon produit. Je recommence et… pareil, rien. Et ainsi de suite jusqu’à ce qu’un jeune quidam avec écrit dessus « mon métier c’est de vous aider » vienne à mon secours. Il représente le poulet, et rien non plus. Une fois, deux fois, toujours rien. Et la pétasse de s’impatienter de plus en plus. Et pas moyen de la faire taire, car il n’y a aucun bouton « Appuyez ici pour arrêter la pétasse » De toutes façons, vous avez déjà réussi à arrêter une pétasse de parler, vous ?

S’ils embauchaient pas des pétasses, ça irait mieux.

Le quidam part donc à la recherche de sa chef qui, elle, a pour métier d’aider ceux dont le métier est de nous aider. Sauf que la caissière-chef est au téléphone pour régler un problème de caissière-chef : « un responsable du rayon bazar est demandé à l’accueil  », répète-t-elle. Je sais pas si elle a fini par le trouver, son responsable du rayon bazar, toujours est-il qu’elle finit par s’occuper de mon problème. Et passe le poulet devant la fenêtre. Vous me croirez ou pas, mais toute caissière-chef qu’elle est, elle s’est faite rembarrer aussi par la pétasse. Tout pareil. Y’a plus de respect de la hiérarchie, avec les pétasses ! Mais c’est une chef et donc elle se met à rechercher la cause du problème. Je lui suggèrerais bien que s’ils embauchaient pas des pétasses, ça irait mieux, mais je suis pas sûr qu’elle aurait apprécié. Elle aurait été fichue de le prendre pour elle.

Moi, ça ne me surprend pas qu’une pétasse ne puisse pas lire.

Après une observation minutieuse, le problème, que seule l’expérience d’une caissière-chef pouvait déceler, le problème donc est découvert : le code-barre du poulet libre est illisible par la pétasse. Moi, ça ne me surprend pas qu’une pétasse ne puisse pas lire, mais ça rend la caissière-chef toute contrite : le problème étant découvert, il faut maintenant le régler. Elle reprend donc son téléphone, et on entend dans tout le magasin : « un responsable du rayon poulets élevés en liberté est demandé à l’accueil  ». Et de raccrocher. Voilà, problème réglé. C’est à ça qu’on reconnaît les chefs : à leur faculté de résoudre les problèmes.

Y’en a qui ont fait des prises d’otages pour moins que ça !

Je sais pas si c’est à cause de ma mine déconfite ou si c’est parce qu’il avait vraiment envie de m’aider, mais le quidam me murmure alors à l’oreille :
— Y’en à d’autres, des poulets dans le rayon ?
— Oui, lui dis-je.
— Pour aller plus vite, vous devriez peut-être aller en chercher un autre avec un code barre en bon état, parce que sinon, ça peut prendre du temps…

Oh putain ! j’étais là, à un mètre de la sortie avec mon poulet dans les mains, avec la pétasse qui répétait « Veuillez présenter votre produit devant la fenêtre » dans mes oreilles et la caissière-chef qui demandait maintenant un responsable du rayon liquide, et il fallait que je retourne chercher un autre poulet ! Y’en a qui ont fait des prises d’otages pour moins que ça !

C’est un crime de tuer une pétasse virtuelle ?

Me voilà donc avec un autre poulet devant la pétasse. Je le passe devant la fenêtre et miracle, la pétasse comprend que c’est un poulet et affiche son prix : 9,30 euro. C’est pas donné, le poulet élevé en liberté. Mais par contre, c’est encore une victoire de l’homme sur la machine ! Erreur. La pétasse ne s’avoue pas vaincue comme ça. « Veuillez présenter le produit suivant, s’il vous plait  ». Les regards du quidam et le mien se rencontrent, avec au fond une détresse partagée : celui ou celle qui a appris à causer à la pétasse ne lui a pas appris qu’on pouvait ne vouloir acheter qu’un seul produit ! « Veuillez présenter le produit suivant, s’il vous plait », reprend-elle. Je sais pas si c’est un crime de tuer une pétasse virtuelle, mais là, j’avais vraiment des envies de meurtre !

Elle arriva avec une clé et la pétasse se tut.

C’est alors que j’ai compris que le quidam avait vraiment envie de m’aider, comme c’était marqué dessus. Après avoir abandonné de vouloir obtenir quelque aide que ce soit de la caissière-chef, qui cherchait alors un responsable du rayon droguerie et petit électro-ménager, il s’approcha d’une caissière normale qui travaillait sur une caisse normale. Elle arriva avec une clé qu’elle introduisit dans la pétasse, et la pétasse se tut. J’ai pu payer mon poulet et enfin m’enfuir.

Une chose est sûre, les caissières de Simply Market ne sont pas des pétasses. Penses-y avant de les engueuler parce que tu trouves qu’elles ne vont pas assez vite, jackass !


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commentaires
Poulet du dimanche - Harry Stott - 31 décembre 2010 à 18:41

Ovum ante gallinam ?

Qui a fait l’autre ? le client ou le "marché simplement" ?

Moi, le dimanche, c’est l’attente du lundi... Au fait, qui fut le premier, dimanche ou lundi ?


Poulet du dimanche - Darek Dysiast - 27 décembre 2010 à 12:06

Un article bien plus frais que les œufs qui sortent des culs de poules élevées en liberté. J’aime.


Poulet du dimanche - Le plumitif arcandier - 20 décembre 2010 à 22:46

Bien plus efficace que le mediator, le poulet fayots ça vous requinque du côté zygomatiques !
À quand la prochaine recette ?


Poulet du dimanche - Eulalie - 20 décembre 2010 à 11:53

"Mais « élevé en liberté ». Comprenez qu’il est élevé en batterie, comme les autres, mais qu’il est libre d’y rester ou d’y rester, le poulet. C’est toute la nuance"
Comme nous, quoi.


Je t’aime le Poulet du dimanche, je pense à toi - Mister K - 20 décembre 2010 à 11:02

Cela me fait à une chanson de Philippe Katerine, Poulet N°728120
Il doit y avoir le clip sur Youtube. Voici les paroles.

Poulet N°728 120
Poulet de Vendée
Elevé en plein air
89 jours et 90 nuits

Parmi 380 autres poulets
Alimenté avec 75% de céréales
Le 3 décembre 1998
A l'abattoir de St Fuljean
Electroculté, Vidé, déplumé, lavé, conditionné, labellisé le poulet

Le 11 décembre 1998
je l'ai acheté 52 francs 55
Chez le boucher chauve,
Rue de la bastille.
Je l'ai mangé chaud le midi,
Froid le soir, avec une bouteille de vin rouge.
Je l'ai adoré le poulet

Poulet N°728120
Je t'aime, je pense à toi.

Poulet du dimanche. - Cyrano - 20 décembre 2010 à 10:31

« C’est comme ça depuis toujours. Chez moi, le dimanche, c’est poulet. »

Depuis toujours ? Le poulet le dimanche, ça nous ramène loin ! C’est pasque on peut commémorer la mort de Henri IV, voici pile-poil 400 ans, en 1610 ? Ça, c’est de la tradition...