Arnaison, petit soldat de l’art
Après avoir fait récemment l’objet de plusieurs émissions sur radio résonance, Daniel Arnaison a bien voulu recevoir l’Agitateur pour une interview. Cet artiste à la fois attachant, cultivé et courtois, a retracé, non sans une certaine autodérision, son parcours, riche d’expériences multiples liées à la pratique du dessin ou de l’écriture, jalonné de rencontres marquantes mais aussi émaillé de regrets et de combats désabusés...
L’Agitateur : Pouvez-vous évoquer en quelques mots vos origines ?
Daniel Arnaison : Je suis né à Bourges et j’ai vécu dans le quartier de Mazières, tout d’abord dans les blocs situés juste en face de l’ancienne usine puis dans des maisons vendues par l’usine et rachetées par mes parents. Mon père était fondeur à Mazières avant d’être jardinier à la ville de Bourges tandis que ma mère était femme de ménage puis mère au foyer.
L’Agitateur : Quels sont vos premiers souvenirs en matière artistique ?
Daniel Arnaison : Nous vivions à cinq dans une maison de trois pièces. Aucun des enfants n’ayant de chambre, nous devions nous débrouiller sans baignoire, ni toilettes, avec un poêle à charbon et un point d’eau froide où l’on pouvait éventuellement aller se laver après la vaisselle… Je me suis donc fabriqué une sorte de bulle en dessinant sur le papier que je pouvais trouver, notamment en dessinant entre les textes du Télé 7 jours. À travers ces dessins, je me racontais des histoires.
L’Agitateur : Écriviez-vous également à cette époque ?
Daniel Arnaison : Non, mais je lisais ! Mes parents disaient d’ailleurs qu’une bombe tombant à côté de la maison ne m’aurait pas sorti de ma lecture !(rires) Cet intérêt est sans doute lié à mon arrière grand-mère qui avait été mariée à un typographe de la Dépêche du Berry, que je n’ai pas connu. Plus tard au collège St Exupéry, je dessinais également pendant les longues heures de permanence…
L’Agitateur : Dans votre parcours scolaire avez-vous fait des rencontres déterminantes ?
Daniel Arnaison : Oui Michel Pobeau, par exemple, que j’ai eu comme enseignant pendant trois mois vers 16 ou 17 ans alors que je fréquentais les cours professionnels municipaux pour passer un CAP d’employé de bureau. Il avait un talent particulier à engager à la réflexion et donc à l’écriture. Comme il écrivait lui-même, il y a eu un effet de mimétisme à ce moment là… Un peu plus tard il y eut également des rencontres avec Hélène Villebasse [1] ou Rémi Grillet. Nous étions toute une petite bande qui faisions des collages, qui jouions aux échecs ou qui sortions les uns avec les autres…
L’Agitateur : Et ensuite ?
Daniel Arnaison : Après l’obtention de mon CAP il y a eu une année de chômage. J’écrivais alors de plus en plus. Grâce à Michel Pobeau qui arrivait en tant que directeur aux affaires culturelles, j’ai pu faire une exposition de poésie murale à la MJC Henri Sellier. [2]
L’Agitateur : Vous avez intégré l’école des Beaux-Arts de Bourges en 1984 ...
Daniel Arnaison : Oui, j’ai préparé le concours d’entrée. J’étais un peu plus âgé que les autres. On m’a prêté des dessins et j’ai fait état de mes lectures au jury. Je me souviens avoir préparé un travail qui a été apprécié, autour d’une nouvelle libertine de Georges Bataille …
L’Agitateur : Vous pensez qu’à cette époque, l’école des Beaux Arts était davantage ouverte aux milieux populaires …
Daniel Arnaison : Oui, je l’affirme. Des gens comme Rémi Grillet qui travaillait pour ses parents à la ferme ou d’autres, sont rentrés sans avoir le bac. C’est paradoxal, pour une école qui prépare maintenant à bac plus cinq … Je précise que je refuse le « plus cinq » !
L’Agitateur : Après l’obtention du diplôme des Beaux Arts, il y eut une période de travail au Musée Estève …
Daniel Arnaison : Quand je travaillais au Musée Estève en tant que gardien, j’apportais un crayon et j’empruntais sur place des feuilles et du Tipex. Pendant les heures creuses, j’ai pu ainsi réaliser toute une série intitulée « dessins volés au temps de travail » qui fut exposée à la Maison de la Culture de Bourges. Pendant cette période au musée, je me souviens avoir croisé Michel Boujenah ou bien encore Cueco … Un jour, un autre olibrius est également passé par là en laissant sa carte avec l’inscription "prix de poésie d’Aubigny-sur- Nère". Je soupçonne qu’il s’agissait de Michel Houellebecq. Mais cela reste une hypothèse … aussi romantique ou anti romantique qu’une autre ! (rires)
L’Agitateur : Quand avez-vous commencé à exposer votre travail ?
Daniel Arnaison : Il y a eu tout d’abord deux expos dans des structures associatives dont l’une était tenue par Etienne Baboulène [3] et j’avais servi d’assistant à un artiste aujourd’hui disparu, Henri Bassmadjian qui m’avait emmené à Toulouse pour installer des tableaux dans une galerie et faire la bringue ensuite… Puis cette fameuse exposition de la maison de la Culture qui a été appréciée par Jean-Paul Fargier. J’ai mis quatre ou cinq mois avant de le rappeler. Il m’a reçu chaleureusement, a écrit un ou deux textes pour des expos et m’a laissé son carnet d’adresses. J’ai pu contacter ainsi Jacques Derrida ou Jean Claude Carrière (mais bien plus tard car je suis quelqu’un d’extraordinairement lent !) à qui j’ai pu envoyer des dessins.
L’Agitateur : Pourquoi cette démarche ?
Daniel Arnaison : À Bourges il n’y a pas kyrielle d’intellectuels…. Attention, je ne me renie pas ! J’ai, depuis toujours, une grande affection pour les chauffeurs de bus et les caissières de supermarché mais à l’époque j’avais décidé qu’à Bourges il n’y avait pas de « grands hommes ». J’ai donc voulu joindre certains d’entre eux en m’imposant la condition préalable de connaître et d’aimer leur travail. On m’avait recommandé de ne surtout pas procéder ainsi mais d’adresser plutôt des books ou des photos…Pourtant rien ne remplace un dessin original !
L’Agitateur : Vous misiez sur une réaction de la part des destinataires ?
Daniel Arnaison : Mais j’en ai toujours eu ! Et j’ai toujours été agréablement surpris. Bernard Noël m’a téléphoné deux semaines après mon envoi pour me proposer de faire quelque chose avec moi. Cela ne s’est jamais fait, mais c’était sympa ! Nous nous sommes quand même rencontrés deux fois et je pense que sa venue à la médiathèque découle de son passage à l’école des Beaux Arts de Bourges à mon invitation… Concernant Jean-Claude Carrière, je l’ai d’abord appelé. Je me souviens de la discussion car nous n’étions pas d’accord sur le rôle d’un personnage du Mahâbhârata qui s’appelle Yudhishthira qui est le roi Brahmane. Or, on ne peut pas être roi et Brahmane… Je lui ai donc fait part de mes réflexions à ce sujet et on a fait un peu d’escrime au sens noble du terme. Je lui ai ensuite envoyé mes dessins. J’ai procédé de même avec Jean-Luc Godard. Certaines rumeurs de l’époque laissaient entendre que si je vendais des dessins c’était lié au fait que j’avais des « réseaux constitués ». Pourtant seuls ces « grands hommes » ont daigné répondre favorablement à mes requêtes alors que les structures d’expos à qui j’envoyais des dessins ne l’auraient fait qu’à la condition de recevoir un book.
L’Agitateur : Vous avez quand même participé à toute une série d’expositions …
Daniel Arnaison : Oui, après l’exposition de la Maison de la Culture en 1994 il y a eu l’exposition à Villeneuve sur Lot à l’invitation d’Henri Bassmadjian et Christian Baboulène. Un de mes dessins est donc resté dans ce musée. Après s’ensuivirent plusieurs expositions jusqu’à Leipzig. À cette occasion, j‘ai eu droit à un grand article dans un journal local qui titrait « Wunderbach Arnaison ! ». C’était sympathique quand même ! J’y exposais avec Olive Dupond, Christian Baboulène, Patrick Jaillot, un ami photographe. À Clermont-Ferrand, j’ai pu dessiner sur les murs d’une Chapelle. Les visiteurs devaient se munir de petites lampes de poche car le lieu était plongé dans l’obscurité, sauf une table sur laquelle étaient exposées les photos d’une amie, Brigitte Agnès. Si l’on se répète pour les conceptions d’expos, on risque l’ennui… Il y a eu aussi l’espace En cours, un lieu alternatif dans le XXème arrondissement, tenu par une amie Julie Heinz ( ancienne professeur d’histoire de l’art aux Beaux Arts de Bourges), puis la Cartoucherie de Vincennes à l’occasion d’un hommage à Samuel Becket… À la galerie Lillebonneà Nancy, j’ai fait une expo plus traditionnelle à l’invitation de Patrick Talbot et de sa femme Laetitia qui m’avaient fait entrer aux ateliers publics qui existaient alors aux Beaux-Arts de Bourges. Puis encore une autre exposition collective à Orléans au carré St Vincent… Je n’oublie pas à Bourges la galerie Pictura de Laurent Quillerié et Cécile Pouyat qui m’ont soutenu dès 1998 avec entre- autres une exposition d’ouvrages d’artistes m’ayant permis de rencontrer Jean Fournier, puis m’ont permis de faire deux expositions personnelles plus tard...
L’Agitateur : On peut considérer qu’il s’agissait là d’une période plutôt faste pour votre notoriété artistique ?
Daniel Arnaison : C’est vrai. Parallèlement, je réalisais des bouquins d’artiste à la demande d’Elisabeth Doucet, conservatrice de la Médiathèque de Bourges qui avait eu la bonne idée d’engager la ville à posséder un fonds artistique qui puisse être digne de ce nom. À Bourges, il n’y a jamais eu de collections diverses d’artistes, si possible vivants… Il y a même eu une soirée à la Médiathèque autour de mon travail. C’était trop d’ailleurs…
L’Agitateur : Qu’est-ce qui vous a amené à quitter votre activité à l’école des Beaux-Arts ?
Daniel Arnaison : L’école nationale supérieure des Beaux Arts pense être le « territoire » de l’art. Ça me fait doucement rigoler… La blanquette de veau peut avoir un territoire, mais l’art sous ses formes les plus diverses, n’a pas de territoire ! Nous étions cinq enseignants aux ateliers publics lorsqu’il nous a été signifié que c’était fini ! On nous a évincés alors que l’on drainait des publics divers de tous âges et de toutes conditions. Pour mon cas personnel, je tiens à faire savoir que j’ai été engagé dans cette école de la République pendant un an sans contrat et que j’ai ensuite enchaîné douze CDD, dont j’essaie encore aujourd’hui d’obtenir des copies afin de faire valoir mes droits !
L’Agitateur : Comment avez-vous réagi alors ?
Daniel Arnaison : À ce moment là, je ne suis pas d’accord et je le dis ! Je fais une demande de conciliation amiable qui est rejetée puisqu’il aurait fallu que j’aille devant le Tribunal Administratif… Mais la secrétaire générale de l’époque ne met pas de date à la fin de sa lettre butoir. Lorsque je rencontre le médiateur de la République celui-ci me signale que je peux les attaquer ad vitam aeternam. Pourtant je demande simplement une conciliation. Je n’ai jamais obtenu de réponse mis à part celle de M. Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture de l’époque, dans une lettre qui disait en substance : « Réglez-les chacun suivant leurs droits » car aucun d’entre-nous n’avions les mêmes droits…
L’Agitateur : Aviez-vous déjà commencé à travailler au CFA à cette époque ?
Daniel Arnaison : Je conciliais quatre activités en même temps : Le CFA, des cours de dessins au Bordiot, l’aménagement du temps de l’enfant dans les quartiers au Nord de Bourges et les ateliers des Beaux-Arts… Et puis je continuais toujours à dessiner en même temps ! Ce travail de l’ombre est pour moi une manière de se garder en vie par rapport à la survie au quotidien…
L’Agitateur : Considérez-vous avoir franchi des étapes dans votre travail de création ?
Daniel Arnaison : Il faut toujours essayer d’entrevoir les influences. Tous les élèves que j’ai pu côtoyer m’ont permis d’expérimenter de multiples façons d’exprimer, par le langage, l’art au sens général du terme : le dessin la poésie, que sais-je encore… Des visions beaucoup plus larges de l’art. On se laisse inconsciemment traverser par de multiples paroles qui posent des « sédiments ». Et puis, comme on dit en terme de jeu, il y a la nécessité de rebattre les cartes. Pour certains à Bourges, Daniel Arnaison se résume à la période des « hommes qui marchent », que l’on pourrait placer sous l’influence de Giacometti.
L’Agitateur : Qu’est-ce qui est important selon vous ?
Le fait de créer son univers, son monde. Gilles Deleuze expliquait que le romancier raconte toujours son pitoyable petit chagrin d’amour mais ce n’est pas ça qui est intéressant. Ce qui est intéressant c’est en quoi cela devient une expérience universelle ! Ce ne sont peut-être que des poncifs, mais on peut quand même se questionner sur la manière dont l’artiste, dans sa singularité, est au monde. Il faut qu’il puisse exprimer quelque chose de personnel. Qu’importe qu’on l’aime ou qu’on l’exècre…
L’Agitateur : Comment cela se traduisait-il dans vos cours ?
Daniel Arnaison : Il ne faut pas figer ce monde ! Avec les élèves des Beaux-Arts ou du CFA, j’ai par exemple essayé de créer des passerelles entre ces deux mondes. Ces tentatives ont échouées car les deux directeurs n’ont jamais voulu se rencontrer. C’est pourquoi il me semble que les structures tenues par les adultes, font beaucoup de mal aux jeunes gens. Cela les cloisonne alors qu’il faudrait de la porosité ! Moi, le gamin issu de la Sociale, j’ai bien rencontré dans mes amours adolescentes, une fille aristocrate, métis, et de Droite ! (rires)
L’Agitateur : Il y a quand même eu cette exposition au Château d’eau en 2008 autour du travail de vos élèves …
Daniel Arnaison : Oui, elle s’intitulait "Chantier autorisé au public". Il y avait des dessins de coiffeuses, de pâtissiers et de pâtissières, d’anciens élèves ayant fréquenté les cours d’atelier public et puis des installations d’élèves des Beaux Arts, des artistes comme Jean -Claude Carrière, Stéphane Vilard, Rémi Grillet, Aline Tarlet, l’atelier de l’Autre Rive… Je revendique le fait d’avoir repris l’idée de ce que devaient être les premières loges des bâtisseurs de cathédrales qui se dressaient à côté du chantier. J’ai fantasmé ces loges opératives… [4]
L’Agitateur : En 2009, vous avez quitté le CFA mais deux ans plus tard, vous apprenez indirectement que deux fresques que vous aviez réalisées là bas ont été détruites… Pouvez-vous nous expliquer cette affaire ?
Daniel Arnaison : Le 30 janvier 2012, j’ai appris la destruction de ces deux fresques qui avaient été commandées quelques années auparavant par le directeur du CFA, payées et déclarées aux impôts (car j’essaie d’être un républicain scrupuleux). Ce qui me chagrine dans cette histoire c’est que les fresques n’étaient pas uniquement destinées au directeur du CFA, qui en avait fait la commande, mais à tout-venant et ce, quelle que soit la critique qu’on pouvait en émettre ! J’ai donc déposé plainte au procureur de la République pour « destruction de bien public » car c’est bien de l’argent public qui avait été engagé par l’intermédiaire du conseil régional et de la CCI. J’ai écrit au ministre de la Culture Frédéric Mitterrand mais ses services ne m’ont pas répondu car je ne suis ni Pierre Soulages, ni Daniel Buren, ni Claude Lévêque… enfin n’importe quelle vedette de l’art contemporain. Je suis Daniel Arnaison, petit soldat de l’art, qui subit son Waterloo ! Mais je cherche encore à dialoguer avec mon ancien directeur pour avoir ce qu’on appelle en termes classiques une dispute intellectuelle sur les notions de « bien public » et d’ « œuvre d’art »…
L’Agitateur : Quelle est votre actualité artistique ?
Daniel Arnaison : Une exposition sur le site Price Minister intitulée "Ligne Droite 200 mètres à 48" présente , entre-autres, ma série de dessins intitulée « Banal Song ». J’ai voulu poursuivre ainsi mon travail de dessinateur : c’est à dire tracer et presque m’étonner de tracer encore après toutes ces années. Cela aussi grâce à la rencontre des jeunes gens du CFA ou des Beaux-Arts qui m’ont incité à ne pas me scléroser dans une « manière ». Intellectuellement j’avais besoin de me sentir vivant. L’idée de « Banal Song », c’est un point de vue sur l’ordinaire.
L’Agitateur : Avez-vous également des projets d’écriture ?
Daniel Arnaison : Je voudrais réaliser un bouquin à partir de textes laissés à la Médiathèque mais aussi avec des textes nouveaux. Rassembler différentes époques d’écriture car mon écriture a évolué elle aussi…
L’Agitateur : Auriez-vous souhaité ajouter une dernière chose ?
Daniel Arnaison : J’ai une pensée particulière pour tous mes anciens élèves, que ce soit dans les quartiers nord, lorsque j’enseignais le jeu d’échecs et les Arts plastiques, ou bien encore à ceux des Beaux-Arts qui -pour la plupart- ont suivi des filières artistiques mais aussi tous les apprentis du CFA. Ils en valent le coup ! On ne se rend pas compte des propos que l’on tient par rapport à ces jeunes gens, qui ne font que les endurcir. Ils ne les méritent pas ! Il faut saluer leur courage et dire qu’ils sont très peu récompensés par les adultes. Je les salue donc avec toute l’affection que j’ai pu avoir avec eux et qu’ils ont pu me renvoyer.
Emissions consacrées à Daniel Arnaison à écouter en podcast sur le site de radio Résonance :
[1] Aujourd’hui connue sous le pseudonyme d’ Hélèna Villovitch
[2] Lieu culturel de Bourges dénommé par la suite Centre Régional de la Chanson, Salle Germinal, et actuellement "22"…
[3] Etienne Baboulène est le fils de Christian Baboulène
[4] Pour l’anecdote, un dessin de Daniel Arnaison fut volé pendant cette exposition…