Mélenchon : main basse sur l’écologie
En cette fin d’année 2012, Mélenchon a choisi l’écologie pour occuper le terrain politique. Présent sur tous les fronts, et d’abord sur l’emblématique aéroport de Notre Dame des Landes pour soutenir les opposants au projet, il a inventé un nouveau concept pour caractériser sa démarche : "l’écosocialisme". Evolution d’une pensée qui cherche à embrasser le monde qui vient, ou ruse d’un politicien habité par la soif du pouvoir ? Le caméléon Mélenchon n’a pas fini de nous surprendre.
Jusqu’où ira Jean-Luc Mélenchon ? Il y a quelques mois, il se voyait déjà en haut de l’affiche. Seulement voilà, à la présidentielle de 2012, il n’a réussi à réunir que les voix d’un parti communiste moribond, et d’une extrême gauche en déshérence après les querelles qui ont secoué le NPA. Il y a, à gauche de la gauche, environ dix pour cent de l’électorat. Cela fait du monde. Mais cela ne suffit pas pour gagner le pouvoir. Reste le système des alliances avec le parti majoritaire. C’était — et cela demeure — la stratégie du PCF, au moins pour les élections locales.
Mais Mélenchon a d’autres ambitions. Il veut le pouvoir. Il y a goûté, et il se croit promis à un destin hors du commun. Il doit donc maintenant sortir du cul de sac dans lequel l’accule son compagnonnage avec le Parti Communiste.
On le sait, cela ne date pas d’hier, les Verts se caractérisent par l’ambiguïté de leur discours et de leur ligne politique. Défendre la nature et l’environnement, cela peut se concevoir depuis des "logiciels" idéologiques fort différents, qui couvrent tout le spectre politique, de l’extrême droite à l’extrême gauche. Pour des raisons historiques très particulières, l’écologisme en France, depuis mai 68 au moins, est "à gauche". Mais comme il y a aussi, comme il y a surtout, une gauche qui n’est pas spécialement anticapitaliste, les écologistes ont fini par investir une niche "verte-libérale-européeiste", fort bien représentée par Dany l’ex-rouge. Ces gens-là ont lu Fukuyama et croient la fin de l’histoire venue ; ils parient sur le triomphe définitif du mode de production capitaliste (qu’ils appellent "économie de marché") accompagnée d’une "démocratie libérale". Libéraux, hédonistes, matérialistes, se méfiant des idéologies, ils ont certainement des idées ; mais s’ils acceptent de mourir pour elles, ce sera toujours "de mort lente". Le monde industriel est certes pourvoyeur de choses fort agréables, mais il pollue et il pue aussi, et peut même tuer. Comment jouir sans entrave dans un monde impossible ? Raisonnablement, on ne peut être qu’écologiste !
C’est ce que reconnaît à sa façon Mélenchon. Il a, paraît-il, secoué sa paresse intellectuelle. "Il fallait être aveugle pour ne pas voir que le modèle communiste, comme le modèle social-démocrate, intégrait une dimension productiviste qui est une aberration eu égard aux limites de la planète." déclare-t-il sur le site Terraeco.net. Hier, il admirait surtout Robespierre (auquel deux de ses lieutenants viennent de consacrer un livre hagiographique) ; aujourd’hui, il s’intéresserait aussi à Henry-David Thoreau ? "Je me suis trompé" dit-il ! C’est incroyable le nombre de fois où cet homme s’est trompé. Sur le PS, il s’est trompé. Sur le traité de Maastricht, il s’est trompé. Sur le productivisme, il s’est trompé. Pourquoi ne se tromperait-il pas encore ? Les mélenchomaniaques devraient se poser au moins la question.
Dernièrement, il s’est aussi trompé sur le PCF, bien qu’il n’en dise mot. Au fond, il a tenté le coup de Mitterrand : le baiser qui tue. Mais Mélenchon n’est pas Mitterrand, et surtout, les circonstances historiques ne sont pas les mêmes. Reste qu’après mai 2012, demeure une ambiguïté : qui hérite du "Front de gauche" ? Qui peut revendiquer les 11 % d’électeurs qui ont placé leurs voix sur Mélenchon ? Mélenchon ne peut pour l’instant rien faire de ces 11 %, qui comptent aussi pas mal d’électeurs communistes. Mitterrand disait des communistes qu’on ne peut rien faire avec, et qu’on ne peut rien faire sans. Mélenchon aura sans doute retenu la leçon. On ne peut rien faire avec dans la durée, mais on peut se requinquer d’abord, puis récolter les fruits d’un compagnonnage ambigu. Homme seul, Mélenchon a besoin de forces politiques diverses sur lesquelles s’appuyer.
C’est là qu’interviennent à point nommé les écolos. Il faut raisonner ici en parts de marché. L’écologie représente un créneau intéressant dans l’offre politique, comme l’ont montré les dernières élections européennes. Le PS, contesté sur sa politique nucléaire comme sur ses grands projets inutiles, mais qui engraissent des géants comme le groupe Vinci, tel l’aéroport de Notre Dame des Landes, est, pour l’heure, discrédité sur ce terrain. De même qu’EELV, prisonnière de ses accords avec le grand frère libéral-social. Restent les électeurs. Ce sont eux qui intéressent le prophète de la révolution citoyenne. Il y a un coup à faire, et des voix à récupérer.
Alors le rouge se mâtine de vert. Or il n’y a strictement rien dans l’héritage philosophique et politique de Mélenchon qui autorise ce mariage de couleurs. La pensée écologique est née précisément du rejet des deux modèles dominants — capitalisme et socialisme — qui s’opposaient sans doute sur le partage des richesses, mais pas sur l’idée que les sciences et les techniques mises au service de l’industrie apportent le progrès et le bonheur. Le PCF, qui est favorable à l’aéroport de Notre Dame des Landes et qui soutient l’industrie nucléaire est cohérent avec son histoire et avec ses options politiques et idéologiques fondamentales.
Mélenchon, quant à lui, défend circonstanciellement les options qui devraient lui permettre de gagner le pouvoir. Il construit prioritairement un discours pour séduire, avant de se soucier de la cohérence de son programme. Les discours n’engagent que ceux qui les croient. Réussira-t-il son pari, ou restera-t-il ce politicien qui n’est plus socialiste, sans être communiste, et encore moins écologiste, mais qui a besoin des électeurs socialistes, communistes, et écologistes pour parvenir à ses fins ?
Face à ces contradictions et à ces alliances extravagantes, on comprend que lui et ses amis n’opposent dans le débat démocratique que l’agressivité et une certaine forme de rhétorique terroriste pour balayer toutes les objections. En politique comme partout, le style, c’est l’homme.