Exposition Photo

"J’aime faire des choses qui me dépassent !"

Entretien avec Mireille-Joséphine Guézennec
lundi 18 mai 2015 à 14:00, par Mercure Galant

À l’approche de l’inauguration d’une grande exposition photo intitulée "L’Inde et le corps magnifié - symbolisme des gestes et des signes : le corps en puissance", qui se tiendra dans les locaux de l’ancien hôpital Baudens du 29 mai au 5 juillet 2015, Mireille-Joséphine Guézennec a bien voulu évoquer dans les colonnes de l’Agitateur, son parcours d’indianiste, de philosophe, de voyageuse et de photographe. Elle dévoile cette passion toujours intacte qui l’a conduite - depuis plus de trente-cinq ans - à sillonner les routes de l’Inde.

"J'aime faire des choses qui me dépassent !"
Mireille-Joséphine Guézennec - Himabindu

L’Agitateur : Quel est l’origine de votre nom indien, Himabindu qui signifie « fille des Himalayas » ?
Mirelle-Joséphine Guézennec : Il m’a été donné en Inde par Jaya Sekhar , un guru, un maître spirituel, un professeur de philosophie. Il y a plusieurs niveaux d’interprétation dans les mots sanskrits. « Hima », c’est la neige, le même mot que l’on retrouve dans Himalaya (Hima Alaya c’est le séjour des neiges) et Bindu est un mot désignant un point semence, un point très important d’énergie, ce point d’où tout part, d’où tout jaillit. Himabindu, au sens éthymologique signifie « goutte de neige », mais aussi « fille des Himalayas » et c’est également l’un des noms de la déesse Pārvatī qui est la parèdre de Shiva.

L’Agitateur : C’est en 1978 que vous avez effectué votre premier voyage en Inde. Vous découvrez alors des villes telles que Bénarès, Jaïpur mais aussi le Gange. Vous êtes retournée en Inde entre 1983 et 1985 à Madras pour des études de sanskrit et de philosophie indienne. Est-ce que ce sont vos lectures qui ont provoqué ce désir de voyage en Inde ?
Mirelle-Joséphine Guézennec : Oui, j’avais terminé mes études et j’étais déjà professeur de philosophie. J’éprouvais une certaine insatisfaction face au rationalisme occidental. J’ai alors commencé à lire les Upanishads, des textes de sanskrit, les vedas et de la poésie. Cela représentait un tout autre univers. J’ai commencé à préparer une licence de sanskrit à Paris IV, puis un DEA de philosophie indienne sur l’histoire des religions à la Sorbonne sur un sujet qui m’intéresse beaucoup : les arts divinatoires qui sont très importants en Inde. En Inde quand on apprend les choses on appartient à une tradition. Chaque chose nous est transmise sous la forme Guru Shechia Parantara. Guru (maître spirituel) Shechia (disciple), Paranpara (tranmission). Cette transmission de maître à disciple s’effectue depuis très longtemps de générations en générations. C’est pourquoi lorsque l’on voit de la danse indienne on peut trouver cela tellement beau. Ce n’est pas juste de la danse, c’est aussi une pratique spirituelle, une pratique intérieure de travail sur soi. Le kathakali par exemple, forme de théâtre dansé, est hérité du théâtre sanskrit. Les artistes pour se former pratiquent des arts martiaux très difficiles. Leur vie est consacrée à cela. Le kathakali permet aux artistes d’interpréter les dieux, les titans, les héros légendaires. Pendant la phase de maquillage, qui dure trois ou quatre heures, ils entrent dans un processus au terme duquel, quand ils sont maquillés, quand ils sont prêts, ils incarnent complètement les divinités. Ils n’interprètent plus, ils sont devenus Krichna, Rāma, Rāvana ou Hanumân (le dieu singe). Les grandes épopées et les grands mythes sont là ! C’est très beau car l’esthétique, l’art, la philosophie et la spiritualité sont tout à fait reliés.
L’Agitateur : En 1991, vous avez été lauréate de la dotation Kodak « Grand reportage ». Comment est venu votre intérêt pour la photographie ?
Mirelle-Joséphine Guézennec : J’avais obtenu de la part du ministère des affaires étrangères la bourse nationale du sanskrit. Cette bourse permettait de résider un an en Inde. Je suis donc partie en Inde pour étudier le sanskrit à l’université de Madras. J’avais déjà vu des spectacles de danse indienne à Paris, mais c’est là où j’ai vraiment découvert la beauté de la danse et c’est de là qu’est venue ma vocation photographique. La danse classique et sacrée, Barhata Natyam a été mon premier sujet photographique. Je pratiquais alors la danse classique et la musique en amateur. Comme je vivais dans le sud de l’Inde, j’avais pris des années sabbatiques, j’ai découvert des temples magnifiques avec des karana, des sculptures de danseurs et de danseuses qui adoptent des postures très anciennes qui ont été codifiées dans le Natya Sahastra , un traité du début de notre ère sur les arts de la scène. J’ai donc réalisé beaucoup d’expositions de photos mettant en parallèle la danse incarnée et les sculptures qui la représentent.
L’Agitateur : Plusieurs expositions se sont effectivement succédées : en 1991, « Mémoire de pierre, mémoire de chair », en 1992, « Temple de pierre, Temple de chair », en 1993, « Rythme de pierre, Rythme de chair ». Ces trois expositions aux titres assez proches abordaient-elles néanmoins des thématiques différentes ?
Mirelle-Joséphine Guézennec : Je voulais toujours scruter ce rapport de la statuaire avec la danse vivante. Je me suis donc mis à photographier beaucoup les danseurs et les chorégraphes. D’abord dans le sud de l’Inde avec le Barhata Natyam. J’ai repris une année sabbatique pour voyager dans toute l’Inde pour ce travail et pour rencontrer tous les danseurs et les grands chorégraphes, les maîtres de danse de tous les styles. Il en existe six ou sept.
L’Agitateur : Est-ce que ce fut parfois difficile d’approcher ces maîtres ?
Mirelle-Joséphine Guézennec : Pas vraiment. Bien sûr cela a demandé beaucoup de recherches afin de savoir quels étaient ces grands professeurs ou ces grands danseurs et danseuses. J’ai assisté par exemple à des cours dans des écoles à Delhi, j’ai obtenu des interviews, certains ont dansé pour moi et j’ai pu éventuellement les photographier. Parfois je suis allée dans des villages au fin fond de l’Andhra Pradesh où se pratique le kuchipudi , un grand style de danse du sud… L’important pour moi c’est toujours d’aller à la source quand je fais un travail. J’ai pratiqué moi-même la danse sacrée pour savoir ce qu’est une pose juste. J’aime faire des choses qui me dépassent !
L’Agitateur : Est-ce que l’idée d’exposer vos photos est arrivée rapidement ?
Mirelle-Joséphine Guézennec : Non pas tout de suite, il a fallu que je sois satisfaite de mes photos. Je suis autodidacte mais j’ai beaucoup travaillé. Je prends beaucoup de photos pendant les spectacles. Ma première exposition de photos a dû être réalisée pour Ambassade de l’Inde. Pour montrer mon travail aux spécialistes que sont les Indiens, il fallait que je sois sûre de moi. J’ai ensuite réalisé une exposition photo sur le danseur Kelucharan Mohapatra qui est le plus grand chorégraphe d’Odissi . À l’occasion de sa venue en France lors d’un séminaire pour des spécialistes et des danseurs telles que Carolyn Carlson, le théâtre du Soleil m’a proposé de monter une exposition photo sur ce maître. J’ai accepté car j’avais fait beaucoup de photos de lui en Inde. Quand j’ai su qu’il arrivait, j’ai eu un peu d’appréhension quant au regard qu’il allait porter sur mon travail. J’étais la seule photographe autorisée à prendre des photos.En fait, il a adoré et après avoir terminé son stage et son spectacle au théâtre du Soleil, il a voulu emporter avec lui toutes les photos. Il s’agissait de grands formats en noir et blanc qu’il a réussi à placer dans sa valise ! (rires)
L’Agitateur : En 2003, le bureau de la coopération internationale de la DGER du ministère de l’agriculture vous place à la tête du réseau Inde. En quoi consiste votre mission à ce poste exactement ?
Mirelle-Joséphine Guézennec : Le ministère de l’Agriculture a mis en place un grand nombre de réseaux à travers le monde. C’est une grande richesse. Aucun réseau Inde n’existait jusqu’alors. S’appuyant sur mes connaissances de l’Inde, ils m’ont proposé de travailler avec eux. Je suis donc repartie en Inde en prenant trois mois de congés sabbatiques au lycée agricole dans lequel je travaillais pour explorer et voir ce que nous pouvions construire pour faire en sorte que des élèves ou des étudiants, désirant faire un stage en Inde, puissent partir. En choisissant les maîtres de stage, en constituant les dossiers en demandant les visas, puis en allant rendre visite aux stagiaires cela a pu se mettre en place et faire ensuite boule de neige. Nous avons choisi des thématiques de stage très originales. Le thé de Darjeeling, par exemple, pour lequel nous avons travaillé avec l’université du Bengale qui accueille de grands spécialistes du thé. Les étudiants qui partent ont généralement un profil d’élèves ingénieurs de 2ème ou 3ème année.
L’Agitateur : 2005, c’est l’année de la parution d’un ouvrage intitulé « Gange aux sources du fleuve éternelle ». Comment vous est venu ce désir de publier ?
Mirelle-Joséphine Guézennec : Ce livre est la résultante de trois pèlerinages que j’ai fait aux sources du Gange en Himalaya. C’est un pèlerinage en très haute altitude puisque les sources du Gange se situent à environ 4000m. Début juillet, juste après les épreuves du bac de philosophie, je prenais un avion pour Delhi car il fallait remonter très vite aux sources du Gange avant l’arrivée de la mousson. La première année, le voyage fut beau, impressionnant, mais difficile et je n’ai pas pu prendre beaucoup de photos. La deuxième année, j’ai souhaité en faire davantage avec l’idée déjà d’écrire un livre. Enfin, la troisième année j’y suis retournée pour remercier la déesse Gange.
L’Agitateur : En 2007, vous obtenez le « National Tourism Award » : trophée du meilleur photographe étranger pour l’Inde…
Mirelle-Joséphine Guézennec : Tous les deux ans, le gouvernement indien remet des « National Award » de différentes catégories. J’ai obtenu effectivement celui-ci en 2007 puis un deuxième en 2010, celui de « meilleur journaliste étranger pour l’Inde ».
L’Agitateur : En 2011, vous organisez un projet solidaire et sportif avec l’E.N.S.I.B : Ladakh 2011. Etait-ce le premier projet ? Comment est-il né ?
Mirelle-Joséphine Guézennec : Cette région a été très touchée en 2010 par des orages ayant causé d’importantes destructions. Nous avons alors décidé d’organiser avec une promotion d’étudiants de l’E.N.S.I.B. un projet sportif, solidaire et culturel qui a été préparé sur une année.
L’Agitateur : En 2013, vous publiez un autre superbe ouvrage intitulé « Bénarès, Kâshi, Vârânâsi, voyage initiatique dans la capitale spirituelle de l’Inde ». Cette ville vous a apparemment marquée dès votre premier voyage en Inde.
Mirelle-Joséphine Guézennec : C’est la ville du Gange et celle de Shiva, qui est un dieu très important pour moi. Bénarès est restée très traditionnelle et authentique. Même si je me réfère aux textes sanskrits dans ce livre j’ai quand même eu à cœur de rendre le texte abordable et j’espère communiquer ma passion.
L’Agitateur : Par ailleurs, les projets à destination de l’Inde continuent à s’étendre à Bourges auprès de jeunes élèves, avec - en 2014 - des voyages organisés par des établissements berruyers : le collège Jean Renoir et le lycée Jacques Cœur, avec l’appui de l’association Namasté I.N.D.E. dont vous êtes la présidente d’honneur. Cette année encore, un échange et dernièrement un concours de dessins ont eu lieu à Jean Renoir…
Mirelle-Joséphine Guézennec : Oui, ces jeunes de sixième et de quatrième ont bien travaillé ! Ils ont reçu une vingtaine de prix. Ce concours, organisé par l’Ambassade de l’Inde, était national. Alain Payen, le principal du collège a également souhaité que je fasse une formation aux élèves en vue de les préparer à venir à ma prochaine exposition.
L’Agitateur : Votre actualité c’est effectivement la préparation d’une exposition de photographies à Bourges : « l’Inde et le corps magnifié » qui va se tenir à l’ancien hôpital militaire Baudens. Pourquoi ce choix ?
Mirelle-Joséphine Guézennec : L’éco-quartier Baudens est transformé actuellement par la SEM Territoria. Son directeur, Patrick Rivard, m’a proposé en septembre dernier de réaliser cette exposition dans ce lieu immense et impressionnant. J’ai accepté car - comme je l’ai déjà dit - j’aime faire des choses qui me dépassent. Dès le mois de janvier, j’ai commencé à constituer des dossiers que j’ai adressé d’une part à l’UNESCO, d’autre part à l’Ambassade de l’Inde à Paris.En février , j’ai reçu l’accord du patronage de la « Commission nationale française pour l’UNESCO » ainsi que celui du haut patronage de l’Ambassade de l’Inde. Par ailleurs, compte tenu de l’ampleur du projet - 150 photos à exposer - j’ai également effectué des demandes de subventions auprès des collectivités locales, dont j’attends encore, pour certaines, la réponse... Malgré certains appuis comme celui du collège Jean Renoir - qui participe financièrement à l’édition du catalogue d’exposition - je n’avais pas vraiment mesuré toutes les difficultés que j’allais rencontrer ! Pourtant j’avais déjà monté une très grande exposition enrichie de conférences à Bourges en 2005, Salle du Duc Jean, à l’occasion de la sortie de mon livre sur le Gange. De très belles affiches d’Abribus avaient été réalisées pour l’occasion. Cela avait été un événement important et un beau moment de partage avec les habitants de Bourges.
L’Agitateur : Ces expositions représentent en quelque sorte le lien entre vos deux vies. Votre vie partagée entre culture occidentale et culture indienne…
Mirelle-Joséphine Guézennec : Oui, c’est important de pouvoir transmettre, échanger, rendre tout ce que l’Inde m’a donnée. Je ne peux pas tout garder pour moi car mon cœur éclaterait.
L’Agitateur : Comment le thème du corps est-il apparu ?
Mirelle-Joséphine Guézennec : L’ancien hôpital militaire s’y prêtait. J’ai senti une telle présence des corps que ce thème s’est imposé à moi et le corps en Inde est présent de multiples façons… Donc, fin septembre je suis partie pour six semaines en Inde afin d’effectuer des reportages, des conférences et des photos. Je souhaitais également créer une scénographie en exposant des saris, vêtements qui représentent la tradition. J’en ai donc acheté dans toutes les régions où je suis passée. Très vite l’exposition s’est déclinée en onze thématiques. Certaines divinités, par exemple, possèdent plusieurs bras, d’autres plusieurs têtes ! Les dieux sont toujours associés à un animal, une monture qu’on appelle un vāhana et il existe une certaine porosité entre les règnes car tout est l’expression du souffle de Brahman . Tout cela sera explicité dans l’exposition. Ensuite le corps est décliné. Les membres, les mains, les pieds sont décorés de symboles, de signes, de bijoux… La tête, avec l’importance des cheveux très longs des sâdhus ou bien le crâne rasé après un deuil. J’explique également que le corps est une sorte de paradigme. Quand on explique les castes, un hymne de veda dit que de la bouche sont nés les brahmanes (ceux qui enseignent), des bras sont nés les kshatriyas (les protecteurs), des cuisses les vaishyas et des pieds les shudras (ceux qui servent). Et puis cette idée plus philosophique que le corps est un microcosme à l’image du macrocosme. On aborde là des choses un peu plus ésotériques, comme le tantrisme, mais pour moi il ne s’agit pas simplement de montrer des photos… Un chapitre sera bien sûr consacré à la danse et un autre à l’érotisme, l’union sacrée du féminin et du masculin « shiva shakti » shakti étant l’énergie de Shiva. On peut voir des statues de divinités avec un demi-corps masculin et un demi-corps féminin, nommé Ardhanarishvara . Cela est passionnant et rejoint la science qui explique que nous avons un cerveau droit et un cerveau gauche, un côté masculin et un autre féminin... Enfin je termine l’exposition avec le yoga, car qu’est-ce que cette puissance du corps ? C’est le souffle, l’harmonie avec le cosmos, avec les autres et l’harmonie en soi-même aussi.
L’Agitateur : Qu’est-ce qui nourrit cette passion toujours aussi forte pour l’Inde après toutes ces années ?
Mirelle-Joséphine Guézennec : L’Inde, Shiva et le Gange sont tout le temps avec moi. Ils m’inspirent. Je n’ai pas le choix, les choses viennent à moi et je les fais par nécessité. D’autre part, je ne suis pas une femme qui renonce. C’est important de partir, de lâcher de tout quitter car quand on revient on apprécie encore plus les choses et les êtres. C’est Nietzsche qui disait : « Je n’aime pas que mon prochain soit auprès de moi : Qu’il s’en aille au loin et dans les hauteurs ! Comment ferait-il autrement pour devenir mon étoile ? »
L’Agitateur : Quels seront vos projets par la suite ?
Mirelle-Joséphine Guézennec : J’espère pouvoir me reposer un peu après ce travail intense passé à réaliser l’exposition. Mais c’est le Yoga Nidra ! Les dieux ne me laissent jamais tranquilles ! (rires) Je préparerai donc, probablement suite à cette exposition, un autre livre, sur le corps magnifié…

Renseignements complémentaires :
L’exposition, dont l’entrée est gratuite, sera accessible tous les jours, sauf le lundi.
Les visites seront organisées sur rendez-vous, les matins de 10h à 12h et les après-midis de 15h à 19 h. Il sera envisagé des visites guidées pour les groupes scolaires (1h environ) et des visites commentées de manière plus philosophiques pour les adultes (conférences).

Pour en savoir plus :
Blog de Mireille Joséphine Guézennec
Site de l’association Namasté I.N.D.E.
Site de l’eco-quartier Baudens


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commentaires
"J’aime faire des choses qui me dépassent !" - Frédéric - 26 mai 2015 à 12:33

Une exposition qui promet d’être un évènement important !