C’était mieux avant...

Internet de 2015 est-il perdu ?

mercredi 29 juillet 2015 à 08:30, par Mister K

Vous avez certainement entendu parler d’un article publié par un blogueur Iranien, Hossein Derakhshan, traduit par Libération et qui à sa sortie de prison, après une peine de six années, ne reconnaît plus le web qu’il aimait. On pourrait assez facilement et intuitivement aller dans le même sens que cet Iranien, mais on peut aussi beaucoup nuancer son propos comme le font le journaliste web Alexandre Léchenet et Vincent Glad...sur un blog de Libération.

Alors, petite précision, quand on parle d’internet, on parle ici principalement du (world wide) web. Cette précision peut sembler inutile pourtant, elle est essentielle : il y a une vie sur internet en dehors du web, sur les messageries instantanées, le courrier électronique, les systèmes d’échange de fichiers etc. Cette précision est aussi nécessaire puisqu’en 2015, une bonne partie des publications n’est pas uniquement visible sur le web mais aussi (et surtout ?) sur des applications utilisées sur les smartphones qui, si elles utilisent le réseau internet, n’ont technologiquement bien souvent, pas grand-chose à voir avec le web [1]. Et puis enfin, cette précision permet peut-être de mieux comprendre le propos de Hossein Derakhshan quand il dit regretter "l’esprit ouvert et interconnecté du World Wide Web". Une grande partie des internautes sont en fait sortis (au moins partiellement) du web sans même s’en rendre compte.

À l’Agitateur, on pourrait assez facilement jouer aux vieux cons. On a connu différentes "époques internet" : l’époque 1997 qui n’était déjà plus la même en 1999, puis plus la même en 2001, encore moins en 2005 etc. Bref, le web bouge et a bougé énormément. Outre la technique qui a évolué, c’est surtout le nombre d’utilisateurs qui a évolué. Et donc sa sociologie. On est passé des pionniers universitaires, peu nombreux, à M. et Mme tout le monde, des milliards d’internautes. Le marché a bien entendu récupéré, modifié et digéré internet. Des géants du web sont apparus. Un peu comme les consommateurs sont passés des petits commerçants à la supérette, puis de la supérette aux super et hypermarchés, l’internaute est passé des sites internet artisanaux aux blogs, puis des blogs à Facebook. Comme le consommateur, l’internaute est pressé, il n’a plus le temps de passer sur plusieurs petits sites, il préfère le gros où il retrouve de tout sans faire trop d’efforts. De là à dire que tout comme le consommateur moyen, l’internaute moyen de 2015 bouffe de la merde, il n’y a qu’un pas.

Peut-on dire pour autant qu’internet est perdu ? Vraisemblablement pas. Comme à la télé vous pouvez regarder TF1, vous pouvez aussi regarder ARTE. Vous pouvez acheter votre vin chez Carrefour mais vous pouvez aussi l’acheter à La Cave du Soleil rue Cambournac à Bourges. En 2015, tout le monde n’a pas cédé aux sirènes du web marchand. Tout le monde n’a pas cédé à l’individualisme, à l’auto-promotion et à la perte d’indépendance [2] comme ce fût le cas à l’époque des blogs. Par contre, le tri est devenu plus difficile à faire, le volume de données a beaucoup grossi. Mais les gourmets trouveront toujours leur bonheur en y passant seulement un peu plus de temps que la moyenne des internautes. Vous pouvez utiliser Facebook et Twitter mais aussi Framasphère et Seenthis, vous pouvez participer à la dégooglisation d’internet. Bref, les initiatives fourmillent. En cherchant un peu, on trouve un web bien plus réjouissant qu’un robinet de bruit avec de la publicité dedans. Bref, en 2015, sur internet comme ailleurs, manger de la merde n’est pas une fatalité.

Mais tout cela est très fragile. Car au-delà de la marchandisation d’internet, l’autre mal qui le guette et qu’il subit déjà est le contrôle par les États. Avec des prétextes divers comme la pédophilie ou le terrorisme, on en arrive en France en 2015, à surveiller tout le monde. Pourtant, et heureusement, le pourcentage d’internautes pédophiles ou (potentiellement) terroristes est infime. La technologie facilite ce travail de surveillance. Mais la centralisation de l’activité des internautes sur des sites comme Facebook ou Google facilite aussi le travail. Même s’il a toujours été soumis à la loi ordinaire, Internet est passé en 20 ans d’un fonctionnement plutôt libertaire et auto-géré, à un fonctionnement soumis à des lois d’exception où les États contrôlent tout. Paradoxalement, les États dits démocratiques ont rejoint la logique des Chinois ou des Iraniens d’un contrôle généralisé d’internet. Mais c’est officiellement pour notre bien, donc la population se tait et accepte tranquillement sur internet, ce qu’il n’accepterait pas chez eux à savoir une caméra et un micro qui surveille et enregistre leurs paroles et leurs faits et gestes. Seule une protestation de masse pourrait inverser la situation. Malheureusement, les Français acceptent cette logique passivement, avec fatalisme.

Clairement, l’internet de 2015 est bien amoché. Pour ne pas le mettre totalement K-O, il faudrait une réaction des ses utilisateurs. Reste à lancer le buzz d’une libération d’internet des maux de la marchandisation et de la surveillance de masse. Ce n’est pas gagné.

[1Toutefois, depuis quelques années, le développement du html5 semble redonner du poids au web notamment avec des initiatives comme Firefox OS

[2La plupart du temps, les blogs étaient et sont encore sur des plateformes gratuites qui diffusent en échange de la publicité. Ils sont souvent tenus par un seul internaute


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