Irène Félix : « Faire de la politique c’est avoir quelque chose à dire et à bâtir »
Une campagne électorale, c’est éprouvant. Irène Félix, secrétaire fédérale du Parti Socialiste et candidate malheureuse dans la première circonscription du Cher, souffle un peu après plusieurs mois passés « au charbon », sur le front des campagnes présidentielles et législatives. Les résultats n’ont pas été concluants pour la gauche, mais il en faut plus pour décourager cette « vieille » militante qui a adhéré au Parti Socialiste il y a plus de vingt-cinq ans. D’autres échéances approchent. Irène Félix s’y prépare. Elle a un projet pour Bourges, qu’elle construit avec l’opposition municipale depuis plusieurs années. Nous échangeons, tranquillement installés sur la terrasse du bar de la Nation. C’est la première vraie journée d’été après un mois de juin maussade. Le soleil darde ses rayons sur les pavés lumineux de la place. Autour de nous, des clients s’apostrophent bruyamment. Poussé par un vent chaud, un léger brouhaha monte du centre ville de la capitale du Cher qui choisira sa nouvelle équipe municipale l’année prochaine. Irène Félix revient sur le sens de son engagement, et évoque la situation politique du moment.
Le sens d’un engagement
Qu’est-ce qui a été et reste moteur dans votre engagement politique ?
Irène Félix : Je fais de la politique parce que la société ne me convient pas et que je pense qu’il faut la changer. Le moteur de mon engagement, c’est que je ne supporte pas l’injustice. Lutter contre les inégalités et pour la justice.
Les valeurs que vous évoquez – lutte contre l’injustice et les inégalités – sont défendues par des gens qui se positionnent sur un large spectre politique à gauche, du centre à la gauche radicale voire révolutionnaire. Vous avez choisi un parti qui a vocation à accéder aux responsabilités ...
Irène Félix : Oui j’ai un sens aigu de l’efficacité (rires ...) J’ai adhéré au PS en 1985. J’avais terminé mes études et j’entrais dans la vie adulte. Je me suis demandée si j’allais entrer au PSU qui existait encore à l’époque ; le reste de l’extrême gauche m’était plus ou moins inconnu. Le PSU m’était sympathique pour son côté « laboratoire d’idées », son accent mis sur l’écologie. Huguette Bouchardeau avait été ministre de l’environnement de Mitterrand. Mais je n’ai pas adhéré au PSU. J’ai adhéré au PS parce que j’avais envie d’agir et qu’il me semblait que c’était par ce choix-là que cela pourrait se faire.
Pourquoi pas un parti révolutionnaire ?
Irène Félix : Fondamentalement, je ne suis pas révolutionnaire (rires ...) Je suis très libre dans mes pensées ... et en même temps je suis très soucieuse du respect des gens. Très soucieuse aussi d’une certaine continuité. Je pense que l’extrémisme est toujours une faute. Je crois qu’il y a du totalitarisme dans tous les extrémismes. Donc voilà. On peut être très ambitieux dans les évolutions qu’on souhaite pour la société, mais se garder de toute forme de totalitarisme.
Donc vous n’avez jamais été tentée par la révolution ?
Irène Félix : Honnêtement, ça n’a jamais été une question pour moi. Jeune, j’avais très peu de culture politique au fond. La seule référence à la gauche du PS était pour moi le Parti Communiste, qui ne me semblait pas apporter de garanties suffisantes en matière de libertés. J’ai fait du russe. J’étais allée en Union Soviétique. Pour des raisons familiales, j’avais beaucoup entendu parler de la Bulgarie. Là, vraiment, ce que j’ai perçu était profondément incompatible avec mon idée de la liberté. Ma pensée s’arrêtait là. C’était incompatible avec ce que je suis, avec ce besoin absolu d’une capacité d’impertinence de la pensée. Je ne peux pas concevoir qu’on restreigne les libertés individuelles.
Un révolutionnaire vous répondrait qu’elle sont restreintes de facto dans un système qui planifie l’injustice, la pauvreté et la misère et ou règne la puissance de l’argent ...
Irène Félix : Mais c’est pour ça que je suis à gauche ! Je ne confonds pas les libertés individuelles et le libéralisme économique.
Si on jette un regard en arrière, justement sur les années 80 qui ont vu l’arrivée de Mitterrand au pouvoir, et donc qui sont aussi l’époque de votre propre engagement politique, quel est le sentiment qui domine après ce chemin parcouru ? N’avez pas une impression de recul ? Comme si on était dans une phase régressive... et sur le plan social particulièrement.
Irène Félix : Mitterrand n’est plus au pouvoir, je vous signale...
Mitterrand n’est plus au pouvoir, mais la gauche a été souvent aux responsabilités dans les vingt cinq années qui viennent de s’écouler. On peut se reporter par exemple aux travaux du sociologue Louis Chauvel qui décrit justement cette crise sociale à la française ...
Irène Félix : Le drame des vingt-cinq dernières années c’est le constat des limites des politiques publiques qui ont été menées par les différents gouvernements de gauche. Cela aurait pu être pire. Et je crois que la droite nous montre que ça peut être pire. On est dans un environnement mondial aujourd’hui dans lequel la puissance d’aggravation des inégalités est telle que la marge de manoeuvre des États pour les limiter, ces inégalités, est extrêmement réduite. Je pense que c’est ça l’enjeu du débat qui s’ouvre à gauche , sur la refondation du Parti Socialiste et peut-être de la gauche en général. Est-ce qu’on est capable ou non de faire mieux que de ralentir des évolutions que l’on refuse...
Le fait d’être une femme n’est pas un handicap pour faire une carrière politique
Nous reviendrons sur les questions de politique nationale. Pour l’instant je voudrais continuer sur le sens de votre engagement personnel. Pensez-vous qu’il est plus difficile à une femme qu’à un homme de faire de la politique ? Pensez-vous que dans l’échec de Ségolène Royal, il y a une part du réflexe machiste qu’il faut mettre en cause ou interroger ?
Irène Félix : Je ne considère pas que le fait d’être une femme soit un handicap pour faire de la politique.
C’est aussi facile pour une femme que pour un homme de faire de la politique ? Cela représente le même investissement, voire les mêmes sacrifices ?
Irène Félix : Je ne sais pas, il faudrait demander aux hommes ...
Vous n’avez pas le sentiment de devoir plus vous battre que vos confrères masculins ?
Irène Félix : J’ai l’impression qu’ils se battent beaucoup aussi. Paradoxalement, le fait d’être une femme a été un atout, sous Jospin notamment, vers 97-98, avec les lois sur la parité ... En terme de « com », c’était plutôt bien. Non je n’ai pas le sentiment que c’est un handicap.
Pourtant il y a peu de femmes ministres, peu de femmes à l’Assemblée Nationale, peu de femmes maires, etc.
Irène Félix : Je crois qu’il faut replacer cela dans un contexte historique ; après tout le droit de vote des femmes en France ne date que de l’après-guerre. On a encore dans le corps électoral des femmes qui ont été adultes sans avoir le droit de vote. Je ne trouve pas surprenant qu’il faille une ou deux générations pour normaliser cela. Il y a des évolutions, elles sont en train de se faire. En politique comme sur le plan professionnel. Par exemple je suis ingénieur de métier ... une femme ingénieur, ça fait seulement trente ans que ça existe. Non, je n’ai jamais fait de la politique en mettant en avant le sexe des personnes qui étaient concernées. Je pense que c’est maladroit. Et pour terminer en faisant une boutade par rapport à ce que vous disiez, j’espère que l’attitude de Ségolène Royal ne va pas savonner la planche aux femmes pendant les dix prochaines années.
Finalement, le problème Ségolène, ce n’est pas le problème qu’elle soit une femme, c’est le problème de choix politiques, voire le problème d’un personnage ...
Irène Félix : Elle a tout mélangé. La vie privée, la vie publique ... le sexisme et la difficulté d’un combat ... et résultat des courses, il y a une grande confusion à la fois sur le plan des idées, sur celui de la capacité des femmes à faire face à des situations difficiles. Je considère qu’elle n’a pas rendu service aux femmes
Ni au PS (rires...)
Irène Félix : Mais dans un premier temps aux femmes.
De l’importance de l’image en politique
Pensez-vous avoir un déficit d’image ? Je m’explique : vous avez la réputation d’être une personne honnête, sérieuse, qui bosse ses dossiers. Mais on vous reproche aussi d’être autoritaire, de ne plus écouter lorsque vous avez décidé d’un choix ou d’une orientation. Ces reproches sont-ils injustes à votre avis ?
Irène Félix : Euh ... ils doivent avoir un fond de vérité (rires ...) J’écoute beaucoup, je consulte beaucoup, j’hésite souvent beaucoup avant de prendre une décision, mais une fois qu’une décision est prise, j’avance. Enfin j’essaie. Ça ne veut pas dire que je décide toute seule. Cela c’est très faux. C’est très mal me connaître. Dans l’exercice d’un mandat local, quand une décision est prise, il faut essayer d’avancer.
Est-ce que ce n’est pas une règle de prudence politique de savoir reculer parfois ?
Irène Félix : Ça m’arrive de reculer ! Cela nous arrive à tous. Mais je vois bien le genre de reproches qu’on peut me faire, qui est de tenir à certaines options. Je suis prête à entendre un certain nombre d’arguments. Je ne suis pas prête à toujours plier vis à vis de ce que l’on appelle parfois le réalisme, le pragmatisme ... qui en fait est une forme de pensée unique qui consiste à faire au plus simple et finalement au plus injuste ... Il y a beaucoup d’exemples où tenir des options de gauche nécessite une énergie et peut-être de l’obstination.
La gauche serait donc du côté d’une politique normative. Si l’on maintient le statu quo et que l’on se contente de gérer, comme fait la droite, c’est quand même plus facile que si l’on tente de refaçonner les choses de sorte qu’il y ait un peu plus de justice et d’équité dans le monde ...
Irène Félix : La pensée unique, c’est celle qui place le marché comme référence ultime. Laisser faire, c’est laisser faire le marché. Voilà ce qui domine dans notre société. Face à cela, il faut maintenir une volonté politique. Il faut un moment donné savoir être ferme sur un certain nombre d’options.
J’avais noté dans un entretien entre Daniel Mermet et Cornelius Castoriadis cette remarque de Castoriadis : « La politique implique deux capacités qui n’ont aucun rapport intrinsèque : la première, c’est la capacité d’accéder au pouvoir ; la seconde c’est la capacité à gouverner, la capacité de faire quelque chose du pouvoir une fois que l’on a été capable de le conquérir, ce pouvoir. Et il ajoute : « Rien ne garantit que quelqu’un qui sait gouverner sache pour autant accéder au pouvoir. »
Irène Félix : C’est très juste. Ceci dit, la capacité d’accéder au pouvoir c’est une chose. Mais la capacité d’être renouvelé dans l’exercice du pouvoir, c’est déjà peut-être davantage lié à la capacité de gouverner ...
Il y a sans doute un lien, mais on a vu, au niveau national en particulier, des gens qui sont des « bêtes politiques » formatées pour gagner le pouvoir ... et finalement, quand ils sont au pouvoir, leur seul objectif est de durer. Ils pratiquent une politique d’atermoiement, ils ménagent la chèvre et le chou, au risque de la stagnation ...
Irène Félix : Dans l’exercice de mes activités politiques, j’ai vécu les deux options. J’ai fait partie de l’opposition, et puis à partir de 2004, avec l’accès au Conseil Général, j’ai accédé aux responsabilités. C’est un exercice passionnant. Il y a un certain nombre de choses que j’ai fait avancer au Département, donc ça me paraît possible de prolonger, d’aller au-delà, y compris à la Mairie de Bourges ...
Il y a peut-être des personnages politiques qui sont plus dans la séduction et d’autres qui le sont moins. La séduction contre la compétence ? ... Vous avez un concurrent au PS qui est très séducteur. Galut est davantage dans la parole et dans l’image qui plaisent, non ?
Irène Félix : Vous savez la séduction, c’est quelque chose de très personnel ... (rires ...) On n’est pas tous séduits par la même chose.
Il y a quand même des règles de communication, des façons de flairer l’air du temps, de se placer dans des situations qui vous montrent à votre avantage etc.
Fonder des projets sur une appréhension globale de la société
Irène Félix : C’est vrai que c’est pas mon truc dans l’absolu. Je me protège contre l’instantané. Je lis le journal le soir et non le matin. Je ne crois pas que l’on construise un projet politique sur de l’instantané. Il faut bien sûr être capable de réagir à l’évènement, mais j’essaie de fonder des projets sur quelque chose de solide, je veux les appuyer sur une compréhension globale de la société, et pas sur du coup par coup. Le coup par coup travaille sur de l’émotion et aboutit finalement à une forme de clientélisme. Je préfère mettre les choses en perspective. Pour prendre un exemple, quand on défend la Cour d’Appel de Bourges, je trouve important de rappeler qu’on a fermé des classes, et que cela n’a pas suscité la même émotion. Je trouve important de mettre en perspective l’ensemble des menaces qui pèsent sur le service public
Mais peut-être est-il plus facile de rouvrir deux classes qu’on a fermées que de réinstaller une Cour d’Appel qu’on a supprimée ...
Irène Félix : C’est vrai. Je suis d’ailleurs pour la défense de la Cour d’Appel de Bourges, mais je suis plus globalement pour la défense des services publics. Et je voudrais m’appuyer sur cet évènement pour sensibiliser les gens à la question des services publics, de leur qualité, de leur proximité ... Voilà. Il s’agit de passer de « l’évènement » à quelque chose de plus construit, qui s’appuie sur une réflexion, et qui concerne l’ensemble des problèmes des politiques publiques. Vous avez parmi les gens qui défendent la Cour d’Appel de Bourges des personnes de sensibilité politique libérale. Il faut montrer la cohérence des choix ... ou leur incohérence !
« Derrière la refondation, il y a un peu moins de cosmétique. »
J’aimerais vous faire réagir sur une déclaration, peut-être devinerez-vous qui en est l’auteur : « La révolution c’est d’abord une rupture. Celui qui n’accepte pas la rupture - la méthode, cela passe ensuite- celui qui ne consent pas à la rupture avec l’ordre établi, politique, avec la société capitaliste, celui-là je le dis, il ne peut pas être adhérent du Parti Socialiste...... Il n’y a pas, il n’y aura jamais de société socialiste sans propriété collective des grands moyens de production, d’échange et de recherche ... »
Irène Félix : Mitterrand, au Congrès d’Epinay je crois.
Je vois que vous connaissez vos classiques. D’où ma question : quid du Parti Socialiste en 2007 ? Rénovation ou refondation ? Si l’on fait une analogie avec les travaux qu’on peut faire dans le bâtiment, la rénovation, ça consiste à revaloriser, à repeindre, à réparer, éventuellement à abattre quelques cloisons ... Refonder, c’est raser la maison pour tout reprendre à zéro. L’optique est très différente.
Irène Félix : Je serais plutôt dans une optique de refondation. En même temps, on ne fait pas table rase de tout. L’idée de la refondation justement, c’est peut-être de revenir aux fondations, c’est à dire de revenir aux sources de ce que sont les valeurs socialistes : la justice sociale, la laïcité, la lutte contre les inégalités etc ...
C’est un problème de valeurs ou un problème de vision politique ? Si on se pose sur le problème des valeurs, on peut fédérer pas mal de gens, depuis le modem jusqu’à la gauche du PS ...
Irène Félix : C’est une question de valeurs, c’est aussi une question de moyens. Le problème du socialisme aujourd’hui c’est de traduire en actions concrètes un certain nombre de valeurs. La nouvelle réponse que peut faire la gauche au pays, ce n’est pas qu’une histoire de générations. Derrière la rénovation, il y a un peu « pousse-toi de là que je m’y mette » Ce sont les jeunes loups qui veulent trouver leur place.
C’est légitime ...
Irène Félix : Bien sûr que c’est légitime ... surtout s’ils ont du talent, à condition qu’ils aient du talent ... Mais derrière la refondation, il y a un peu moins de cosmétique. Je suis très attachée aux principes qui fondent le PS, mais en même temps, on doit être à l’écoute de l’évolution de la société. Les socialistes traditionnellement considèrent qu’il y a des domaines qui ne relèvent pas de la logique du marché, comme l’éducation, la santé, par exemple. Les sociaux-démocrates européens sont beaucoup plus « ouverts » sur ces questions. Doit-on devenir sociaux-démocrates européens et dire « Laissons faire le marché, on corrigera » ou faut-il maintenir l’affirmation d’une « extra-territorialité » vis à vis du marché, de secteurs réservés ?
Donc finalement ce débat entre la rénovation et la refondation, c’est bien un débat politique. Il exprime le même clivage que celui qui a divisé les socialistes sur la question du Traité Constitutionnel Européen ...
Irène Félix : Oui, globalement, c’est cela. La rénovation, c’est le terme qu’a employé Hollande, la refondation, le terme qu’a employé Fabius.
« Je mènerai une liste sur Bourges, cela me paraît difficilement contournable »
Après ces élections, quelles sont vos ambitions politiques sur le plan local ?
Irène Félix : Mon ambition, c’est que la Mairie de Bourges soit à nouveau à gauche et administrée par les socialistes.
Vous avez déclaré sur votre blog que vous étiez candidate [1] ...
Irène Félix : Oui.
Yann Galut a lui déclaré qu’en tout état de cause, on ne pouvait être candidat qu’à la candidature ...
Irène Félix : Oui effectivement, ça commence par la. Mais effectivement, je mènerai une liste sur Bourges, cela me paraît difficilement contournable. Cela fait des années que je le dis, que j’y travaille, que j’ai un engagement politique dans cette ville et ce département. Je suis porteuse d’un projet politique alternatif à Lepeltier. Etre candidate, c’est avoir quelque chose à dire sur la collectivité en question. C’est quelque chose qui me paraît nécessaire pour Bourges et qui correspond à mon type d’engagement.
J’ai bien compris. Mais ceci dit, il y a peut-être la nécessité de primaires ?
Irène Félix : Je ne pense pas.
Je voudrais finir sur une note un peu personnelle. J’avais envoyé sur votre blog un petit texte que j’avais tiré d’un entretien entre Edgar Morin et Luc Ferry dans le Monde 2. Morin disait ceci : « La croyance au progrès historique est morte ... Il est légitime d’avoir peur ... Il manque à cette peur les tranquillisants habituels de l’humanité : la religion, les croyances messianiques. C’est à mes yeux une bonne chose que nous ayons perdu ces illusions. » Jusque là, rien que de très vrai, et puis il ajoute : « Il nous faut apprendre à vivre dans l’incertitude, ce qui n’est possible qui si on peut vivre pleinement de façon poétique, dans l’amour, la fraternité, la communion ... Selon moi, ce qui pourrit véritablement les vies, ce sont les choses "prosaïques" que l’on est obligé de faire sans joie et sans intérêt pour survivre. Or vivre, c’est vivre poétiquement, d’amour, de jeu, de communion. »
Que vous inspire cette idée de dépasser les nécessités prosaïques, pour réinjecter du rêve et de la poésie dans la vie des gens. Pensez-vous que c’est une responsabilité spécifique du politique aujourd’hui ?
Irène Félix : La politique doit faire rêver les gens. Sarkozy a très bien réussi cela. Même si au bout du compte il les a trompés. Donc il faut faire rêver les gens, sans les tromper. On doit être capables de dire que du fait de la décision des citoyens rassemblés, on va pouvoir transformer une part de nos vies et aller vers quelque chose de différent, un but qu’on s’est fixé ensemble. La politique dit qu’on doit pouvoir collectivement transformer notre destin, d’une certaine façon. Au début de notre entretien, je vous disais que je m’étais engagée pour vaincre les inégalités. Vingt ans après je sais qu’il existe des inégalités, ou des situations de souffrance contre lesquelles la politique ne peut pas grand chose. Les vrais drames humains ne relèvent pas du politique, ou relèvent du politique en second rang. C’est vrai qu’à poser les choses comme cela, c’est moins enthousiasmant. Mais chaque fois qu’il y a une part de la souffrance qu’on peut corriger par une organisation humaine collective plus juste, il faut qu’on s’y attaque. C’est cela qu’il faut s’attacher à faire partager comme projet, comme ambition collective. Cela semble modeste comme ça, et en même temps cela reste très ambitieux.
[1] Cet entretien a été mené avant les déclarations d’Irène Félix concernant les élections municipales dans la presse locale