La métamorphose des cloportes
Cette gauche républicaine qui recycle d’anciens militants d’extrême droite
mardi 16 mars 2010 à 10:21, par bombix

L’actualité politique du moment a mis en lumière le passé sulfureux du candidat UMP à la présidence de la région Centre, Hervé Novelli. En fait, ils sont nombreux les anciens militants d’extrême droite reconvertis dans des partis politiques "bourgeois", dans des organisations "respectables". A droite, on connaît les parcours des Novelli, Madelin et autres Longuet. Plus inquiétant : c’est parfois à l’intérieur de partis ou d’organisations de gauche que certains d’entre eux choisissent de se reconvertir. Le fait est peu connu. Il mérite d’être exposé. Car au-delà de l’anecdote, il y va de la contamination possible d’une certaine gauche laïque et républicaine.

L’UFAL investie par d’anciens militants d’extrême droite

L’affaire a été révélée en 1996 par un numéro de « Résistance », journal d’un groupuscule extrémiste « national-révolutionnaire ». Sous la plume de Christian Bouchet, lui-même activiste d’extrême droite (il a été secrétaire d’Unité Radicale), on apprenait que trois militants de l’UFAL, l’Union des Familles Laïques, étaient d’anciens activistes nationalistes, tendance dure.
Le premier, Nicolas Pomiès a fait partie des Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires (JNR), a milité au FN, et à Troisième voie. Le second est Frédéric Van Wierst. Il a dirigé le FNJ de l’Essonne et a été un militant particulièrement actif de Nouvelles Résistances. Le troisième enfin est Philippe Pissier, spécialiste d’ésotérisme et de satanisme, domaines prisés par l’extrême droite néo-païenne. Tandis que Pomiès était, excusez du peu, secrétaire national de l’UFAL, Van Wierst occupait quant à lui le poste de secrétaire départemental dans l’Orne. Pissier étant simple militant.

Un article du Monde met les pieds dans le plat

En 2004, paraît dans Le Monde un article de Xavier Ternisien qui rappelle ces éléments et qui fait quelque bruit. Ternisien fait référence au numéro de « Résistance » sus mentionné. Il cite un spécialiste de l’extrême droite, René Monzat. L’affaire prend une certaine ampleur, car ce sont les milieux laïques « ultra », si l’on peut dire, qui sont sur la sellette. L’animateur du site atheisme.org, Jocelyn Bézecourt, signe, selon X. Ternisien, des articles aux accents nettement antisémites. Pourquoi cette accusation ? A propos des cérémonies de la Toussaint, Bézécourt écrit dans la lettre d’information Respublica, (rédigée notamment par l’UFAL) : « Jean-Marie Aaron Lustiger (...), le juif converti-qui- s’avance sur le podium ... » Or rappelle René Monzat, cité par Ternisien : « c’est une secte intégriste, la Contre-Réforme catholique, qui sous la plume de son gourou, l’abbé Georges de Nantes, a commencé, au début des années 1980, à ne jamais mentionner le nom du cardinal Lustiger que précédé de son prénom juif. »

De l’intégrisme catholique à l’intégrisme laïcard, la conséquence est-elle bonne ?

Réaction du MRAP

Le MRAP pour sa part réagit prestement à l’article du Monde. Dans un texte de novembre 2004, l’association antiraciste signe un texte sans ambiguïté :« Le MRAP tient particulièrement à dénoncer une nébuleuse nationale-républicaine (UFAL, Mouvement des maghrébins laïques de France, Respublica, Gauche républicaine, association AIME, et d’autres) qui, depuis plusieurs mois et sous couvert de défense de la laïcité, tente d’entraîner la France dans la théorie du choc des civilisations [...] Le MRAP avait alors montré les affinités de certains de ces laïques avec des intellectuels sulfureux de droite extrême : Rachid Kaci, Alexandre Del Valle, Guy Millière, sans oublier « l’icône raciste » Fallaci. Si cette mouvance était déjà gangrenée par l’extrême droite, il est apparu rapidement que cette nébuleuse nationale-républicaine comportait aussi une tendance se réclamant de la gauche, héritière des gauches chauvines dont on a connu le passé peu glorieux, des années quarante à la guerre d’Algérie [...] Le MRAP rappelle qu’il a en son temps condamné les alliances de la droite avec le Front National. Il n’aura donc pas de complaisance avec ceux qui, à gauche, officiellement ou tacitement par leurs silences, cautionnent cette gauche nationale-laique. »

Quand la gauche redécouvre l’idée nationale

« Gauche nationale-laïque » : le concept étonne. De quelle pensée politique s’agit-il ? C’est bien autour de l’idée de nation que les choses se nouent. Face aux dangers de la mondialisation, à la dissolution du politique, à la défaite des Etats, une partie de la gauche a réinvesti l’idée de nation. L’Etat-nation s’érige comme rempart au néo-libéralisme, contre l’OMC et les banques centrales, contre les entités supra-nationales comme l’Europe ... Mais il y a nation ... et nation. La pensée socialiste est internationaliste (ce qui suppose pour le moins l’existence de nations) ; l’extrême droite est nationaliste. C’est un tout autre usage du concept de nation.

Ecoutons justement Nicolas Pomiès à ce propos. Dans un article paru dans Respublica, citant P.A. Taguieff, ce dernier écrit : « Lorsqu’il entend les mots de « nation », « identité nationale », « nationalisme », voire « identité », l’intellectuel standard et contemporain sort son revolver de la mondialisation internationaliste ou post-nationale [...] Cette classe dominante a ses porte-paroles, comme Bernard-Henri Levy ou Jean-Claude Trichet, et ses lieux de pouvoir, comme Bercy, ainsi que les médias. Le discours dominant est bien celui d’une classe qui défend ses intérêts économiques, et qui rejette la nation, synonyme de solidarité entre les différents groupes qui la composent ; une caste néolibérale célébrant les dogmes du marché. A contrario, les plus touchés par la crise manifestent simultanément leur rejet des élites et un retour à la nation. »
Puis poursuivant son laïus : « Le vote Front national, qu’il ne faudrait surtout pas enterrer trop tôt, et qui recueille toujours les suffrages de nombreux chômeurs et celui des ouvriers, est un symptôme du retour de la lutte des classes dans un cadre national [souligné par nous] [...] il faut redécouvrir l’idée nationale, l’arracher à la droite, car le rajeunissement et la réactivation de l’idéal républicain suppose un cadre national. »

Le nationalisme de gauche : une idée perverse

En résumé, y aurait-il un possible « nationalisme de gauche » : celui qui réhabilite « l’idée nationale », lutte des classes en plus, racisme en moins ?

À quoi il faut répondre que de la « lutte des races » à « la lutte des classes » il n’y a pas loin. Il s’agit ici d’un simple glissement, réversible d’ailleurs, et qui ne change rien au cadre politique de référence. D’une référence à l’autre, il y a la courte distance qui sépare « la classe » de « la caste ». Qu’est-ce qu’une caste d’ailleurs, sinon une classe devenue race — ou inversement ? Le fasciste ici s’avance masqué. Tous les éléments de la rhétorique national-populiste sont en place. La propagande antisémite d’avant-guerre ne conspuait-elle pas le banquier juif qui saigne les braves travailleurs, attachés charnellement à leur Patrie. Dans la prose de Pomiès, le peuple, qui demeure sain, s’oppose aux élites corrompues. Il ne manque même pas l’arrière-plan complotiste qui se dessine en filigrane dans ce texte, avec le thème des médias à la botte, si cher à Le Pen et au Front National. Mais ce texte est en réalité très troublant. Car si ses « mots » sont bien ceux de la pensée républicaine, sa « musique », son ton, sont ceux du nationalisme.

À Pomiès et ses affidés, il faut répondre qu’il n’y a pas de nationalisme acceptable, qu’il soit de droite ... ou de gauche. L’idée nationale accouplée à l’idée sociale accouche d’un monstre qui se nomme fascisme. Dans un texte paru peu après la guerre [1], Maurice Merleau-Ponty revenait sur le cas de Thierry Maulnier, l’un des penseurs du fascisme à la française. « Meaulnier composait une épure du fascisme en assemblant quelques idées ... l’idée d’une révolution sociale et l’idée d’une civilisation nationale. » Or ajoutait immédiatement Merleau-Ponty, « si sur le plan des idées, la nation et la révolution ne sont pas incompatibles, sur le plan de l’action et dans la dynamique de l’histoire, un socialisme, s’il est national, cesse d’être un socialisme ... A placer le problème national et le problème prolétarien sur le même plan, on corrompt en réalité la conscience socialiste, parce qu’on la fait déchoir de l’humanisme à l’empirisme ou si l’on veut de la politique « ouverte » à la politique « close » [2]

La politique « close », autre nom du totalitarisme

Or nous savons ce que signifie, concrètement, la politique « close » : une politique qui ne sert pas les peuples, mais qui se sert des peuples. L’Allemagne de Hitler, la Russie de Staline ... La politique « close » est un autre nom du totalitarisme. Les monstres jumeaux ne sont pas moins jumeaux parce qu’ils furent ennemis circonstanciellement.

Il convient donc ici de comprendre quelle signification peut prendre la reconversion de militants d’extrême droite vers une gauche nationale-laïque. Les enjeux vont bien au-delà des destins chaotiques d’excités extrémistes isolés. Si le phénomène est bien celui que nous avons décrit, réversible à souhait, on doit pouvoir apercevoir des passerelles dans le sens inverse, de la gauche vers la droite nationaliste. Un récent article de Respublica, signé Mohamed Sifaoui, évoque justement le cas de Pierre Cassen, homme de gauche, qui anime le site Riposte laïque. Cassen, écrit Sifaoui, « annonce fièrement sur son blog qu’il va donner une conférence dans le local de Serge Élie Ayoub, tête de pont des skins. Pour ceux qui ne connaissent pas le « Local », ce petit bar qui offre un cadre très intimiste à tout ce que Paris peut compter d’extrême droite, toutes tendances confondues, c’est un lieu fondé, dit-on, par Frédéric Chatillon, l’ancien dirigeant du GUD, le fameux Alain Soral et Serge Ayoub. Un salon où la Marine Le Pen et autres idéologues du FN ont l’habitude d’aller faire la causette [...] ce personnage donc va parler devant des skins. Pour leur chanter quoi ? Ce qu’ils ont envie d’entendre. Évidemment ! » Et Sifaoui de terminer son article : « De Riposte Laïque, il vaut mieux en rire. »
Vraiment ?

Faut-il pleurer, faut-il en rire ? Appel aux responsables de la gauche républicaine

Oui, faut-il rire quand on apprend que Frédéric Crépaldi, autre activiste cité par l’article de X. Ternisien appartient désormais au Parti de gauche (section de l’Orne) et surtout que Nicolas Pomiès, ancien des JNR, ancien du FN, ancien National Révolutionnaire (proche donc des néo-nazis), est aujourd’hui lui aussi membre du Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon, et responsable du PG pour l’Aveynois ? Pour expliquer son parcours, Pomiès déclare « chez les laïques, l’homme est considéré comme en perpétuelle construction ».

Soit. Il n’est pas interdit de penser ce faisant que toute construction obéit à une logique, latente ou manifeste. La gauche laïque et républicaine française et ses responsables seraient bien inspirés d’examiner cette question, pour éventuellement faire le ménage parmi ses militants, et ne pas nommer n’importe qui pour la représenter.


Source image : M/Y/D/S - Images animalières

Références : articles et textes cités

Résistance, revue interne du mouvement Nouvelles Résistances, numéro 37, août 1996. Article de Christian Bouchet, non consulté, cité par X. Ternisien.
D’anciens militants d’extrême droite se recyclent dans une association familiale laïque, Le Monde, article du 16 novembre 2004, de Xavier Ternisien. L’article est disponible dans les archives du journal, et traîne sur internet dans plusieurs blogs et forums. Par exemple, sur ce forum anti-sectes.
Réponse de Jocelyn Bézecourt à un article de Xavier Ternisien, sur le site athéisme.org.
C’est la guerre !, Revue antifasciste REFLEXes, 24 janvier 2004, mise à jour le 13 octobre 2005
Le MRAP condamne les infiltrations de l’extrême droite dans des mouvements se disant laïques et antiracistes, 18 novembre 2004, publié sur Oumma.com
La problématique de l’Etat-nation, 24 juin 2005, Nicolas Pomies, sur le site Revue.republicaine.fr
Pierre Cassen (et Riposte Laïque) se rasent le crâne !-, Mohamed Sifaoui, sur le site de ReSPUBLICA
Front de gauche de l’Orne 61. Réunions publiques. Où apparaît le nom de Frédéric Crépaldi, membre du PG.
Liste des responsables du Parti de Gauche. Où apparaît le nom de Nicolas Pomiès, responsable pour la section du Nord, de l’Aveynois.

Maurice Merleau-Ponty, Autour du marxisme, in Sens et non-sens, Nagel, 1948

Henri Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, PUF, Quadrige, 1932 pour la 1ère édition

[1Autour du marxisme, in Sens et non-sens

[2L’emploi ici du concept de politique close renvoie bien sûr à Bergson. Bergson opposait à la morale close, fondée sur l’obligation et la pression sociale, justifiée par le conformisme, la morale ouverte, fondée sur l’aspiration, ouverte sur la vie, et possédant de ce fait une dimension mystique. « La cohésion sociale est due, en grande partie, à la nécessité pour une société de se défendre contre d’autres [...] c’est d’abord contre tous les autres hommes qu’on aime les hommes avec lesquels on vit [...] nous aimons naturellement et directement nos parents et nos concitoyens, tandis que l’amour de l’humanité est indirect et acquis. » (Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion) Le repli sur la nation est immédiat, instinctif, défensif et régressif. L’ouverture aux autres nations est le résultat du travail de l’esprit, oeuvre de civilisation. Ce qui n’empêche nullement le citoyen d’aimer sa patrie. Il est remarquable que Bergson, qui avait d’abord affirmé des positions patriotiques et nationalistes, évoluera, après la première guerre mondiale, pour défendre la construction d’une paix durable, fondée sur l’entente entre les nations. Il participera à la création de la Société des Nations et à la Commission internationale de coopération intellectuelle, ancêtre de l’Unesco.

© 1997-2016 L'AGITATEUR - https://www.agitateur.org