L’hiver sibérien de la presse locale
Le contenu lénifiant de la presse quotidienne régionale fait trop rarement l’objet de critiques acerbes de la part des « professionnels de la profession ». Ce qui devrait être un instrument fondamental de la démocratie locale est le plus souvent un outil de publicité gratuite pour quelques figures emblématiques du cru. Dernière illustration en date : le traitement médiatique du Printemps de Bourges.
« Pourquoi les intellectuels ne s’interrogent-ils pas sur la qualité très discutable des quotidiens régionaux français ? Les actualités locales, souvent ringardes, sont réduites à n’être que la chronique d’événements futiles. » L’ouvrage de Jean-Pierre Tailleur, Bévues de presse est l’un des seuls de ce type à accorder une large place à la critique des organes de presse quotidienne régionale. L’auteur parle d’articles se rapprochant de ce qu’il appelle « la publicité institutionnelle » où le rédacteur se contente de retranscrire les propos de personnalités locales, le plus souvent avec de nombreuses bévues : erreurs sur les noms et les fonctions, retranscriptions erronées, erreurs d’illustrations
Feuilletez un peu la presse locale berruyère. Vous y trouverez nombre d’articles promotionnels : élections d’une miss locale, compte rendu d’un salon professionnel ou d’une kermesse, annonce d’une exposition d’artiste, inauguration par le maire d’un distributeur de sachets pour ramasser les déjections canines, quelques faits divers et comptes-rendus au vitriol d’audiences au tribunal correctionnel, publication de communiqués de presse plus ou moins bien découpés, sujets sportifs Le reste est composé de dépêches de l’AFP, sans que cela ne soit mentionné et sans signature. Aucune enquête approfondie, aucune révélation « maison ». Est-ce cela, le journalisme ?
« En France, les rares reporters qui tentent de décortiquer les fautes de leurs confrères ont généralement droit à des insultes, à la moquerie ou à lindifférence », écrit plus loin Jean-Pierre Tailleur. Il fut un temps où nous en avons fait les frais même si ce nest plus le cas aujourd’hui, notre longévité et notre audience grandissante induisant une forme de respect plus ou moins forcé.
Rappelons néanmoins que l’objectif d’un magazine en ligne comme L’Agitateur de Bourges n’est pas de dénigrer le travail de « concurrents » de la presse papier, mais de les inciter et (n’ayons pas peur des mots), de les encourager à des comportements plus professionnels pour une plus grande qualité des contenus.
Le traitement médiatique de Printemps de Bourges est symptomatique de l’amateurisme de la presse locale. Alors que le festival berruyer se présente comme un panel représentatif des musiques d’aujourd’hui, on n’a trouvé par exemple aucune enquête ou reportage sur l’état de santé de la musique dans l’hexagone. Il y avait pourtant tous les interlocuteurs nécéssaires à la rédaction d’un bon papier suffisamment étayé : managers, musiciens, organisateurs de spectacles, représentants des maisons de disque, structures associatives, médias, public
Pareillement, plutôt que de rédiger un petit compte rendu assez ridicule sur la venue de Jean-Michel Jarre à Bourges, peut-être aurait-il été plus judicieux d’ouvrir une page sur l’histoire des musiques électroniques, Bourges ayant été il y a plus de trente ans le berceau des musiques et créations électroniques grâce à l’IMEB qui demeure encore aujourd’hui une plate-forme reconnue au niveau international.
Pourquoi ne pas avoir mis en lumière les événements marquants de certains spectacles, comme celui de Yann Tiersen dont les gradins avaient été réservés entièrement à des personnes invitées, reléguant le vrai public qui payant, dans la fosse, suscitant une importante vague de mécontentement qui a été passé sous silence par la presse locale ?
Pourquoi ne pas avoir ouvert le débat des « vraies-fausses découvertes du Printemps de Bourges » où les jeux sont faits d’avance. Allez dire à Mister K de Jack the Ripper est une découverte du Printemps de Bourges : il vous rigolera au nez, tout comme la plupart des critiques rock du pays pour qui la formation parisienne bénéficie depuis plusieurs mois déjà d’une très grosse cote.
Pourquoi ne pas avoir abordé quelques sujets qui fâchent, comme le nombre effarant de personnes accréditées sur le festival, les milliers d’invités et de passe-droit ? En dehors du maire et du maire adjoint à la culture, en quoi les passe-droit pour les autres représentants de la municipalité de Bourges se justifient-ils ? Et après, certains s’étonnent des difficultés financières du festival et des subventions à rallonge de la municipalité. Le citoyen berruyer paye deux fois : en tant que contribuable et en tant que festivalier. Et il se retrouve debout, lors des spectacles, dans la fosse, comme un chien, pendant que d’autres qui ne connaissent pas grand choses sur les musiques actuelles se promènent de salles en salles impunément avec leur carte VIP. Il faut dire que la presse a également ses entrées dans la mesure où elle ne se montre pas trop critique avec le festival. Nous en savons quelque chose !
Au lieu de cela, la couverture médiatique du Printemps de Bourges a été un assemblage de compte rendus élogieux des spectacles proposés, rédigés avec une grande légèreté de ton, masquant parfois difficilement une méconnaissance de la musique des artistes programmés. Tout juste certains rédacteurs se sont-ils permis avec une prudence excessive de mentionner les conditions d’écoute « parfois limites » des spectacles se déroulant sous le chapiteau alors qu’elles étaient la plupart du temps exécrables. La Nouvelle République s’est bien essayée à un gentillet billet d’humeur quotidien, mais il s’agissait plutôt d’un « billet d’humour », sans grande profondeur ni intérêt.
Si bien qu’aujourd’hui, Le Berry Républicain et La Nouvelle République ressemblent davantage à des fanzines fortunés à grand tirage qu’à de vrais journaux professionnels. La PQR n’est pas plus mauvaise à Bourges qu’ailleurs. C’est ce qui est finalement le plus inquiétant. La France, ce modèle de démocratie, de liberté de la presse et de la liberté d’expression génère des journaux de proximité distrayant mais d’une indigence assez rare dans le contenu et dans le traitement de l’information. La presse berruyère saura-t-elle montrer le bon exemple ?