Démocratie sociale et réforme du temps de travail.

Les belles surprises de l’été - 2
mardi 16 septembre 2008 à 10:53, par bombix

La loi « Démocratie sociale et temps de travail » est passée cet été dans une quasi-indifférence générale, si l’on excepte quelques protestations « pour la forme ». Elle représente pourtant un événement majeur pour tous les salariés, et une réforme essentielle qui nous place au coeur du sarkozysme, de son idéologie, de sa manière de faire et de ses ambitions.

Démocratie sociale et réforme du temps de travail.
G. Caillebotte : Les rabotteurs de parquet. Huile sur toile 108x146,5 cm. Musée d’Orsay, Paris

La loi « Démocratie sociale et temps de travail », votée par le Parlement le 08 juillet dernier, vise à réformer les règles de la représentativité syndicale et celles qui régissent la durée légale du temps de travail. Dans le colimateur, « les 35 heures » naturellement, qui furent au coeur du discours de Sarkozy pendant la campagne des présidentielles. L’habileté, le coup de génie du Président de la République, est d’avoir associé dans un même texte deux problèmes qui n’ont rien en commun pour, en plaçant un coin dans l’unité syndicale déjà fort mal en point, interdire une riposte efficace de ces mêmes syndicats. Ainsi, ce qui est peut-être le plus mauvais coup porté contre le monde du travail depuis bien longtemps, au point que certains commentateurs ont parlé de « contre-révolution », n’a suscité que fort peu de commentaires et n’a provoqué aucune réaction significative laissant espérer une riposte.

Le pouvoir lui-même a été surpris par la facilité de sa tâche. Du côté des médias, les manoeuvres classiques de diversion de l’opinion prévues pour la circonstance, comme la libération opportune d’Ingrid Betancourt, se sont révélées a posteriori superflues. Cela signifie-t-il que la France soit devenue sarkozyste ? Nullement. Aussi bien la médiocre cote de popularité de l’actuel Président révélée par les sondages que les divers revers électoraux de l’actuelle majorité UMP aux dernières élections municipales attestent au contraire que le pays n’est pas derrière Sarkozy et ses réformes.
Les français conjuguent donc un vrai mécontentement et une apathie caractérisée. Une telle contradiction ne s’explique, en dernier ressort, que par le divorce désormais avéré entre la population et ses représentants : politiques — et désormais syndicaux ...
En attendant, le train de réformes sarkozystes passe, et prépare des lendemains qui risquent fort de déchanter.

De l’art de négocier avec « les partenaires sociaux »

Acte premier : Décembre 2007. Sarkozy convoque patronat et syndicats et leur demande d’ouvrir des négociations ; objectif : engager une réforme portant sur les règles de la représentativité syndicale et sur le temps de travail. Malgré les déclarations de principe de la CFDT et de la CGT de ne pas mélanger les deux questions, un accord est signé avec les deux centrales le 10 avril 2008. L’essentiel du texte concerne bien sûr les questions de représentativité syndicale ; un seul article fait référence à la question du temps de travail : il prévoit « qu’à titre expérimental des accords d’entreprise pourront augmenter le contingent d’heures supplémentaires prévu par la branche ou la loi ». SOLIDAIRES, la CFTC, la CGC, FORCE OUVRIERE, craignant pour leur existence même, prennent alors rapidement leurs distances avec un accord qui avantage les grosses centrales – par une remise en cause de la représentativité nationale au profit de la représentativité locale.
Acte second : Patrick Devedjian, secrétaire général de l’UMP, déclare le 19 mai 2008 : «  Je demande avec force le démantèlement définitif du dispositif des trente-cinq heures.  » C’est clair. Les bataillons de l’UMP, à la demande de Nicolas Sarkozy, engagent « la bataille des trente-cinq heures. » Le texte préparé par le gouvernement met donc logiquement la question du temps de travail non plus à la périphérie, mais au coeur de la loi. La CGT et la CFDT se déclarent trompées et appellent à la mobilisation générale. Mais comment pourraient-elles être audibles, alors qu’elles ont pavé depuis longtemps le chemin de la trahison qu’elles dénoncent ?
Acte troisième : Le 17 juin, la manifestation organisée à la demande de la CGT et de la CFDT pour dénoncer les manoeuvres du gouvernement n’aboutit qu’à la démonstration de la désunion des représentants des salariés. Le front divisé des troupes syndicales ouvre un boulevard à Sarkozy qui s’engouffre alors dans la brèche.
Acte quatrième : le 1er juillet, la loi est présentée devant les députés en urgence. Une bataille parlementaire s’engage entre la majorité et l’opposition. Des centaines d’amendements sont déposés, mais le gouvernement ne cède rien. Le 8 juillet, le texte est soumis au vote et adopté sans réaction dans le pays. De la belle ouvrage et du grand art.

Contenu de la loi du 08 juillet

Le texte voté le 08 juillet comprend deux volets. Comme on l’a vu, le premier volet concernant la représentativité syndicale n’avait pour but que de semer la division parmi les organisations syndicales [1]. Nous nous bornerons donc à l’essentiel, à savoir le second volet portant sur le temps de travail.
Le député des Hauts-de-Seine Roland Muzeau – s’exprimant le 08 juillet à l’Assemblée Nationale au nom du groupe « Gauche Démocrate et Républicaine » [2] a ramassé me semble-t-il dans une formule lapidaire le sens profond du texte. Citant Lacordaire, il a déclaré «  Votre réforme vise à faire mentir cette célèbre phrase qui veut qu’« entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime, et c’est la loi qui affranchit. » Ce texte, qui selon les propos même de son auteur Xavier Bertrand, vise à « sortir du carcan des 35 heures imposées » jette en réalité les bases d’une dérégulation presque totale de la durée du temps de travail. La régression s’étend bien en amont de la loi Aubry. En apparence, on maintient la durée légale du temps de travail à 35 heures ; en réalité, en fixant les 35 heures comme un plancher et non comme un plafond, on remet en cause le principe même d’une limitation par la loi du temps de travail. C’est une scie dans la bouche des libéraux : la loi opprime, la loi est archaïque, la loi bloque. Rendre caduque le règne de la loi, c’est permettre à l’initiative de s’exprimer, c’est autoriser les entreprises à s’adapter au marché ; ce serait même, selon un sophisme majeur, travailler à l’édification d’une pratique démocratique rénovée en rendant la parole « à la base » en prise directe avec « les réalités du terrain », par la mise en place de contrats singuliers et de règles plurielles [3].

Il ne faut donc pas s’arrêter au maintien des 35 heures comme durée légale du travail ; Sarkozy cède volontiers là-dessus, puisque dans le système totalement dérégulé qu’il institue, en fixant les 35 heures comme un plancher, c’est la notion même d’une durée légale du travail qui s’évanouit. La disposition majeure est ailleurs, dans «  l’inversion de la hiérarchie des normes  » Que signifie ce terme juridique ? Dans l’ancien système, en vertu du principe de faveur, c’est la norme fixée par le niveau hiérarchique le plus élevé qui s’applique, si l’accord se situant au niveau inférieur est défavorable aux salariés. Conséquence : si les accords passés au sein d’une entreprise sont plus défavorables aux salariés que les accords passés au sein de la branche, ce sont les accords passés au niveau de la branche qui s’appliquent. Désormais, la hiérarchie s’inverse ; les accords d’entreprises primeront les accords de branche. Exemple : si l’accord dans une entreprise fixe a 300 le nombre d’heures supplémentaires possibles, tandis que l’accord de branche n’en prévoyait que 130, désormais, c’est l’accord d’entreprise qui devra être respecté par les salariés de cette entreprise.
La conséquence de cette disposition est claire : on s’oriente vers un émiettement des règles sociales : autant d’entreprises, autant de règles. Et si une harmonisation des règles est envisageable, ce ne sera certainement pas dans le sens d’un « mieux-disant social », le marché exerçant l’empire qu’on sait et attisant la concurrence entre les acteurs économiques. Autre conséquence : nul besoin d’être grand clerc pour comprendre qu’il est beaucoup plus facile d’imposer au niveau de l’entreprise des accords défavorables aux intérêts des salariés, en exerçant par exemple un chantage à l’emploi, en prétextant des conditions économiques défavorables ou des difficultés conjoncturelles de l’entreprise.
À quoi s’ajoutent deux autres dispositions régressives : la disparition du repos compensateur comme obligation ; l’extension des forfaits heures et des forfaits jours [4]
Interrogé sur le nombre d’heures maximum que peut faire un salarié aujourd’hui, le député PS Alain Vidalies, rapporteur du groupe Socialiste explique : « Ça dépend de votre situation. Si vous êtes dans le cadre des forfaits ou si vous êtes dans le cadre ordinaire. Dans le cadre ordinaire, la référence c’est 1607 heures, seulement s’y ajoutent des heures supplémentaires. Et en réalité la seule limite aujourd’hui, c’est la protection du droit européen : pas plus de 48 heures par semaines, 11 heures de repos obligatoire par jour, c’est à dire 13 heures de travail ce qui est une vraie difficulté quand on applique ces règles au forfait jour ... Il y a une telle déreglementation organisée par ce gouvernement que les seules protections qu’on a, ce sont les protections minimales qui sont fixées par les règlements européens. Le salarié français n’a désormais pas plus de protection de ce point de vue là que le salarié de Malte ou de la Slovénie.  »

Une loi conforme à la logique libérale et compatible avec le cadre européen

Il faut rendre justice à l’opposition d’avoir mené, avec les moyens dont elle disposait, la bataille parlementaire contre cette loi. Doit-on pourtant s’arrêter là, mais surtout peut-on aller au-delà d’une réprobation de principe ? Si l’on veut être véritablement honnête, il faut reconnaître que Sarkozy — comme à son habitude — ne fait que pousser à terme une logique politique à laquelle il adhère, mais qu’il n’a pas inventé. Il faut rappeler alors que l’idée d’accords locaux dérogeant au code du travail a été introduite par une loi de 2004 à l’initiative de François Fillon. Qu’auparavant, ce sont les socialistes eux-mêmes qui ont acclimaté l’idée d’accords d’entreprises dans la mise en oeuvre de la loi Aubry sur les 35 heures [5].

Enfin il ne faut surtout pas oublier que la liquidation de la durée légale du travail s’inscrit dans une mise en conformité de la législation française avec le cadre européen. Sur ce terrain aussi, la politique de Sarkozy accompagne un mouvement plutôt qu’elle ne crée la rupture. Dans le cadre de la « concurrence libre et non faussée » de l’UE, un patron français contraint de respecter les 35 heures est tout à fait conséquent de se plaindre de règles qui lui sont défavorables, tandis que pour ses concurrents, la durée légale du temps de travail est fixée à 48 heures.

Les socialistes français demeurent donc dans la contradiction de vouloir l’Union Européenne et les règles qui la régissent, sans en assumer les conséquences. Les populations d’Europe sont moins enthousiastes vis à vis des bienfaits de l’européisme. Mais qu’à cela ne tienne : comme lors du dernier référendum sur le TCE, il suffit, quand le suffrage universel direct s’est exprimé, d’effacer la volonté populaire par un vote du Parlement.

Voilà sans doute ce que la droite libérale appelle « la modernisation de la vie politique » et la « rénovation des pratiques démocratiques ». Au nom du « pragmatisme » naturellement.

[1Même si le principe de la réforme d’une loi peut-être obsolète était a priori envisageable et pouvait être mise en chantier.

[2Le groupe GDR rassemble Communistes, Verts, Républicains et Ultra Marins. Roland Muzeau est porte-parole de la composante communiste au sein du groupe GDR, présidé par Jean-Claude Sandrier, député du Cher.

[3« Ce qui nous a différencié dans nos débats avec nos collègues de l’opposition, c’est que nous faisons confiance aux salariés et aux partenaires sociaux en les associant davantage aux décisions qui les concernent, notamment au plus près du terrain, c’est à dire dans leurs entreprises. Nous observons depuis une quinzaine d’années un mouvement continu en faveur de l’accord, renvoyant la loi et le règlement à leurs fonctions de base : édicter la norme. »Déclaration de Jean-Paul Anciaux à l’Assemblée pendant le vote de la loi

[4Forfait heures : consiste à fixer le nombre d’heures travaillées dans l’année. À partir du moment où cette règle est fixée, il n’y a pas d’heures supplémentaires. Le gouvernement a étendu le nombre de salariés qui sont susceptibles d’en bénéficier. Tous les salariés peuvent désormais être concerné par le forfait heure, y compris donc les non-cadres, à la seule condition qu’ils aient une certaine autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps. Avec le forfait heures, il possible de faire jusqu’à 417 heures supplémentaires au delà des 1607 heures, sans être payé en heures supplémentaires. Forfait jour : concerne un nombre de jours travaillés. Initialement réservé aux cadres, le gouvernement l’a étendu aux salariés itinérants, puis à des salariés qui auraient « une autonomie dans l’exercice de leurs responsabilités ». La loi étend donc le champ du forfait jour, et augmente le nombre de jours : on passe de 218 jours à 235 jours. Cette disposition a particulièrement ému les cadres, au point qu’on a souvent réduit la loi du 08 juillet 2008 à cette disposition dans l’esprit du public.

[5Il ne faut pas se leurrer : si les patrons ont cédé sur les 35 heures, c’est parce que ces mesures leur permettaient de mettre en place le gel des salaires, l’annualisation, l’augmentation des cadences au nom des « gains de productivité » et la sacro-sainte « flexibilité ».

commentaires
Démocratie sociale et réforme du temps de travail. - Eulalie - 26 septembre 2008 à 14:29

Ah ! quand les partners sociaux étaient réalistes et demandaient l’impossible, à Bourges .... Ca laisse rêveur à la fin ;-)

Congrès de Bourges


#14079
Démocratie sociale et réforme du temps de travail. - Mercure Galant - 26 septembre 2008 à  17:29

Alors, en parlant d’étourderie, je pense que le rédacteur de cet article en a commis une autre en écrivant : "Le Congrès décide qu’à partir du 1er mai 1906, les ouvriers ne travailleront plus que huit heures par semaine et par conséquent quitteront leur lieu de travail aprés la huitième heure, quoi qu’il arrive."... 8 heures par semaine ! Belle utopie ...surtout pour l’époque ! ;-)

#14082 | Répond au message #14079
Démocratie sociale et réforme du temps de travail. - Eulalie - 26 septembre 2008 à  18:33

oui, c’est pour ça que je l’avais mis... :-))

#14083 | Répond au message #14082
Démocratie sociale et réforme du temps de travail. - Mercure Galant - 26 septembre 2008 à  19:30

OK, je crois que je suis un peu fatigué, c’est la fin de la semaine ...et je n’ai pas que 8h dans les pattes ! ;-)))

#14085 | Répond au message #14083
Démocratie sociale et réforme du temps de travail. - Mercure Galant - 16 septembre 2008 à 23:22
sarkostimesra5.jpg
#14006
Démocratie sociale et réforme du temps de travail. - Eulalie - 16 septembre 2008 à 18:40

S’il vous reste du temps , les articles deRichard Abauzit sont également très instructifs et passent également inaperçus....


#14002