Quand la médecine parallèle devient perpendiculaire...
Les dérives sectaires ne se manifestent pas uniquement dans le domaine religieux. La médecine représente ainsi le terreau privilégié à des pratiques déviantes dangereuses. À Bourges, des spécialistes se sont réunis autour du Centre Contre les Manipulations Mentales (CCMM) afin d’évoquer le sujet et de sensibiliser un public venu relativement nombreux.
Chacun est libre de ses croyances, aussi farfelues soient-elles. La résurrection du Christ dans la religion Catholique n’a probablement rien à envier à l’histoire des Raëliens à propos des petits bonshommes verts venus de l’espace. Là où cela coince, c’est lorsque ces croyances deviennent dangereuses pour un individu ou un groupe d’individus. On parle alors de dérives sectaires.
C’est ce qu’ont essayé d’expliquer longuement et précisément les intervenants de la conférence sur « les dérives sectaires dans le domaine de la santé », organisée dernièrement à Bourges par le Centre Contre les Manipulations Mentales (CCMM). Echaudés par les tentatives de banalisation des risques sectaires par le gouvernement et les médias, [1] Jean-Claude Dubois (Président Régional du CCMM), Henri-Pierre Dubord, conseiller de la MIVILUDES (Mission Interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), Maître Daniel Picotin, avocat à la Cour, le Docteur Régis Aubry, responsable des soins palliatifs du C.H.U. Besançon, et Jacques Miquel (Président national du CCMM), ont fait oeuvre de pédagogie.
Selon Henri-Pierre Debord, 3000 médecins seraient, en France, « influencés par le phénomène sectaire ». Environ 250 à 300 pratiques de soins seraient incertaines car insuffisamment fondées scientifiquement. Cependant, les intervenants de la conférence sont tous d’accord pour reconnaître la distinction entre des dérives thérapeutiques pouvant relever du “simple” charlatanisme et ce qui se rapporte à ce que les spécialistes nomment les “dérives sectaires”.
Il existe en effet une douzaine de critères d’appréciation du risque sectaire : la rupture avec l’environnement d’origine, la croissance des exigences financières, le trouble à l’ordre public (rupture avec les pratiques de soins allopathiques), la tentative d’infiltration des pouvoirs publics, le discours antisocial, les démêlés judiciaires et mesures disciplinaires prononcées par l’Ordre National des Médecins...
Le détournement des mécanismes économiques et financiers comme l’utilisation du droit de propriété intellectuelle avec la création de « marques déposées » pour protéger une pratique thérapeutique, fait partie également de ce faisceau d’indice permettant d’établir l’existence d’un risque sectaire. C’est le cas de la « Méthode du Docteur Hamer » qui part du principe que les maladies graves et incurables sont la conséquence de chocs psychologiques dont on ne peut guérir que par un suivi "psychogénéalogique". L’appellation “Germanique Nouvelle Médecine” (GNM) du Docteur Hamer est protégée : pour pratiquer cette méthode de soin, il faut beaucoup d’argent et l’aval du fameux docteur qui tisse ainsi un réseau mondial de “dérapeutes” [2] dont il tire des revenus substantiels.
Exploitation des failles et des fragilités
« Nous nous interdisons de juger de toutes croyances, l’important, ce sont les dérives », insistait plusieurs fois Jean-Claude Dubois, Président Régional du CCMM, se présentant comme laïque. Maitre Picotin insistait bien là-dessus, lui aussi, soulignant que « tout charlatan n’est pas un gourou ». Cependant, les dérives sectaires sont particulièrement dangereuses dans le domaine de la santé. Elles sont souvent plus pernicieuses car orchestrées par des médecins diplômés, ayant donc une certaine crédibilité auprès de leurs patients.
Le Docteur Aubry dans son récit, n’a cependant voulu stigmatiser ni les médecins, ni les patients. Pour lui la dérive thérapeutique prend corps dans la fragilité du malade et de son entourage familial, prêt à croire aux miracles pour garder un peu d’espoir. Mais elle trouve aussi sa source dans les limites de la médecine allopathique. Quand des années d’étude de la médecine et d’expériences pratiques ne peuvent venir à bout de terribles maladies, le médecin, qui sait alors qu’il ne sait rien, peut facilement basculer en eaux troubles, en orientant ses patients vers des processus thérapeutiques de dérives sectaires.
« Attention, la médecine a beaucoup à apprendre des médecines parallèles. Elle gagnerait à plus de modestie et à davantage d’écoute. Même si leur efficacité n’est pas toujours prouvée, les médecines parallèles peuvent donner de l’espoir. Il est scientifiquement établi aujourd’hui que la force morale et la volonté du patient jouent un rôle important dans la lutte contre la maladie. Mais il faut être extrêmement vigilant : les médecines parallèles sont parfois perpendiculaires lorsqu’elles excluent la médecine allopathique », a souligné le Docteur Aubry.
Le Cher n’est pas épargné par les "enfants dingos"
Un exemple de risque de dérive psychosectaire, ce sont les « faux souvenirs induits », pratiqués par certains thérapeutes douteux qui partent du postulat que tous les symptômes de leurs clients sont dus à un abus sexuel occulté. « Ce sont des dizaines de petits Outreau qui peuvent éclater en France », a averti Maître Picotin.
Dans le département du Cher, ce sont surtout les enfants “un peu dingos” qui sont la cible privilégiée des “dérapeutes”. Vous avez un enfant trop gâté souffrant de certains troubles du comportement tels que l’hyperactivité, l’autisme, la dyslexie ou qui est tout simplement en échec scolaire ? Alors, vous avez un enfant indigo, qui viendrait des étoiles pour sauver le monde, « méditer, faire des voyages interdimensionnels, léviter ou communiquer avec des êtres d’autres dimensions ». La dérive sectaire, ne se trouve pas dans cette croyance. Elle se manifeste par le fait que les théoriciens de cette croyance s’opposent au diagnostic des psychiatres et les empêche d’appliquer aux enfants un traitement approprié. On imagine les drames que cela peut induire sur des enfants schizophrènes par exemple. En Aquitaine, Maître Picotin a recensé treize thérapeutes d’enfants indigos. À Bourges et dans le Cher, le CCMM a pris en main des dossiers épineux...
[1] Polémique sur les déclaration d’Emmanuelle Mignon, qui, alors qu’elle était encore directrice du cabinet de Nicolas Sarkozy, déclarait que les sectes étaient « un non-problème en France », tandis que les médias semblaient n’avoir lu que les quelques pages traitant du satanisme dans l’épais rapport annuel de la Miviludes.
[2] Pour reprendre l’expression employée par Maître Picotin au cours de la conférence.