Darcos veut fliquer les internautes

dimanche 9 novembre 2008 à 11:41, par bombix

Les enseignants, les personnels du MEN et même les élèves s’expriment sur internet. Leur ministre est donc inquiet. À la délégation à la communication de la rue de Grenelle, on vient de lancer un appel d’offre pour surveiller le réseau. On chuchote ou on fait du chahut sur la toile ? Darcos veut les meneurs.

Darcos veut fliquer les internautes
Modéré a priori : le forum du site du Ministère de l’Education Nationale sur la réforme du lycée.
Fausse démarche participative, mais vraie surveillance de l’opinion, Xavier Darcos, en bon sarkozyste, est obsédé par le net et ses rumeurs.

Décidément : pister, fliquer, et si possible contrôler l’opinion sur internet est devenu une obsession du pouvoir sarkozyen [1]. À l’heure où le Ministre de l’Education Nationale Xavier Darcos mitonne une réforme du lycée qui pourrait être explosive (quelle réforme dans l’Education Nationale ne l’est pas ?) son administration qui « flippe grave sa mère » (pour parler jeun’s) aimerait sans doute en savoir un peu plus sur ce qui se trame en douce dans les allées sombres du réseau.
C’est ainsi qu’on apprend par l’intermédiaire du site Fabula.org (très savant site littéraire d’habitude fort peu revendicatif) qu’un appel d’offres en direction d’entreprises spécialisées a été lancé au MEN dont l’objet est « la veille de l’opinion dans les domaines de l’enseignement, de la recherche et de l’enseignement supérieur ».
Le document de référence, stupéfiant, est en ligne. On y apprend qu’il ne s’agit rien moins que de « repérer les leaders d’opinion, les lanceurs d’alerte et analyser leur potentiel d’influence et leur capacité à se constituer en réseau, décrypter les sources des débats et leurs modes de propagation ».
Qui sera surveillé ? À peu près tout le monde. «  La veille sur Internet portera sur les sources stratégiques en ligne : sites « commentateurs » de l’actualité, revendicatifs, informatifs, participatifs, politiques, etc. Elle portera ainsi sur les médias en ligne, les sites de
syndicats, de partis politiques, les portails thématiques ou régionaux, les sites militants d’associations, de mouvements revendicatifs ou alternatifs, de leaders d’opinion. 
 »
Eh oui, puisque l’information vient de partout, il faut TOUT surveiller. Les syndicats bien sûr, mais aussi les assos, les webzines pas contrôlés (suivez mon regard), et jusqu’au simple quidam qui se permet de commenter l’actualité ou de relayer une info.

Le but de tout ça ? « Permettre un suivi précis de l’évolution de l’opinion internaute et des arguments émergents relayés et commentés » Gouverner c’est prévoir, et pour prévoir, il faut savoir. Élémentaire. Une attention particulière concerne «  les vidéos, pétitions en ligne, appels à démission »
Ça fait beaucoup de travail ! Oui, mais c’est bien payé : 100.000 euros HT par an pour la mission concernant le seul Ministère de l’Education Nationale. Les personnels de l’éducation vont être contents de savoir où vont les économies réalisées grâce aux dizaines de milliers de postes supprimés. P’t’être d’ailleurs que si parmi eux certains voulaient se reconvertir ... la surveillance et le contrôle du réseau est un marché en plein essor.

Ah oui, dernière chose. Pour faire moderne et branché, le Ministère de l’Education Nationale vient d’ouvrir un forum sur son site afin que les internautes s’expriment sur la réforme du lycée en cours. Euh ... un petit conseil, si vous avez quelques remarques subversives à glisser (à supposer qu’elles échappent à la vigilance du modérateur a priori des contributions ...) prenez un pseudo et utilisez un proxy anonymiseur [2] : Big Brother is watching you, maintenant plus qu’hier, et demain plus qu’aujourd’hui.

[2Système qui permet de « surfer » sans être identifié, notamment à partir de votre adresse IP

commentaires
Darcos veut fliquer les internautes - B. Javerliat - 23 novembre 2008 à 07:49

Interview du responsable de la société de veille et d’étude des systèmes d’opinion qui travaille pour le ministère de l’Éducation nationale

NR du 23/11/2008


#14851
Darcos veut fliquer les internautes - bombix - 23 novembre 2008 à  18:45

Oui, de jolies pépites dans cet article.

« Nous travaillons pour des ministères comme la Santé ou l’Éducation nationale, pour des collectivités locales, mais aussi pour la grande distribution, de grandes marques et des entreprises industrielles. Jamais pour le compte de partis politiques, de syndicats, de confessions. Nous nous voulons apolitiques et aconfessionnels. Cela fait partie de notre déontologie. »

Monsieur Darcos ne fait pas de politique. Il ne met pas en oeuvre la politique de Nicolas Sarkozy. Donc travailler pour Monsieur Darcos, ce n’est pas travailler pour une politique spécifique. On se moque de qui ?

Or l’information est un outil de décision, tant pour les ministères que les grandes entreprises.

Petit glissement conceptuel intéressant. S’agit-il d’une veille de l’opinion en train de se faire, ou de l’information en train de se faire ? Il faudrait dire ici simplement que « l’information sur l’opinion en train de se faire est un outil de décision pour les ministères et les grandes entreprises ». Sinon, on dit une très très grande banalité, à savoir que pour diriger il faut être informé. Non, ce qui est intéressant avec internet, c’est que c’est un lieu de création et de communication de l’opinion publique. Et les dirigeants sont sous un rapport de dépendance vis à vis de cette opinion. Parce qu’à partir d’un mouvement d’opinion, leurs politiques peuvent être menacées. Voir ce qui s’est passé avec le CPE. Ils sont donc grandement intéressés de savoir ce qui bouge, comment ça bouge, pour réagir de la meilleure façon au moyen de leurs services de communication, ou en amendant tel ou tel projet pour ne pas mettre « le feu » comme on dit.

Comment pratiquez-vous la veille pour l’Éducation nationale ?
« Parmi notre vingtaine de “ veilleurs ”, tous diplômés des sciences humaines ou de la communication, certains sont spécialisés dans le domaine de l’Éducation nationale.

Pas mal non plus ça. On se doute bien (enfin on espère pour le ministère qui devrait avoir à coeur de confier des missions à des personnels compétents, au moins par souci d’efficacité) que ces experts de la veille de l’opinion ont une compétence professionnelle. Mais en quoi est-ce rassurant ? Quel rapport entre le niveau de qualification est la déontologie ? Aucun. Non, ce qui apparaît ici en filigrane, c’est le discours sur l’expertise : nous sommes des professionnels, donc faites-nous confiance. Eh bien il faut répondre : vous êtes des professionnels, raison de plus pour être sur nos gardes. Votre expertise technique ne nous assure en rien que vous en ferez un usage conforme à la morale et aux règles de la démocratie.

Ce rapport respecte-t-il l’anonymat et la sphère privée des internautes ?
« Oui, nous ne sommes pas là pour ficher les gens [...] notre éthique nous interdit ce genre de pratique. [...]D’ailleurs, ce n’est pas dans l’appel d’offres du ministère.

On peut imaginer que les rédacteurs de l’appel d’offres avaient le souci de respecter la légalité ; demander de ficher les citoyens nominativement aurait été une atteinte grave aux libertés publiques. On imagine mal le ministère faire une erreur aussi grossière. En revanche, il est intéressant que le monsieur qui fait état plus haut de son professionnalisme et de son expertise ne nous renseigne pas sur les mesures techniques mises en place pour éviter ces dérives, que le gouvernement chinois ne s’est pas privé de commettre. D’autre part, la juxtaposition des deux arguments : 1) on ne le fait pas par déontologie 2) on ne le fait pas parce qu’on nous le demande pas ne va pas dans le sens du renforcement de l’argument, mais introduit plutôt un doute. On se dit : et si on vous le demandait, votre "déontologie" serait-elle suffisante pour faire digue ? ...

Comment expliquez-vous la suspicion qui règne sur ces veilles, particulièrement dans l’Éducation nationale ?
« Je crois que la technologie est allée plus vite que les usages. Et on en est au stade où on se demande comment le Net va se structurer. Si cela est particulièrement sensible dans l’Éducation nationale, c’est que ce thème fait toujours débat dans la société, et encore plus aujourd’hui en période de réformes. »

« Je crois que la technologie est allée plus vite que les usages. Et on en est au stade où on se demande comment le Net va se structurer.Ça, ça ne veut strictement rien dire. C’est des mots écrans pour éviter de répondre à la question posée. La technologie qui va plus vite que les usages ? Mais pour ce qui concerne internet, ce sont bien les usages qui sont espionnés et contrôlés, non ? La technologie est allée vite, et les usages ont suivi. Ou alors on parle peut-être des usages des outils du contrôle de l’opinion. Mais là c’est une tout autre affaire. Le pouvoir met au point ses instruments de contrôle. Mais si c’est ça qu’on veut dire, alors il n’y a là vraiment rien de rassurant. La thèse initiale qui soupçonne ces pratiques est au contraire renforcée.
Et on en est au stade où on se demande comment le Net va se structurer. Mais le net ne se structurera pas forcément. Ce qui est intéressant avec le net, c’est que la vieille idée de structure est mise à mal, si on pense toujours à des types de structures pyramidales et verticales. Il faut plutôt penser le net comme un rhizome, pour reprendre une image de Gilles Deleuze, c’est à dire un structure non finie, non totalisée — voire non totalisable, et horizontale. Et ça, c’est beaucoup plus difficile à contrôler. La difficulté du contrôle, sur les problèmes sociétaux et politiques qui font débat comme l’Education est cruciale. Monsieur Darcos doit songer en ce moment aux destins de Messieurs Devaquet et Allègre ... Il faut ajouter comme Nico Hirrt y insiste dans ses ouvrages, que l’éducation est l’une des dernières friches à exploiter dans l’aventure expansionniste du capitalisme en sa dernière forme. C’est à la fois une zone de résistance, et un marché à ouvrir et à exploiter.

Des syndicats s’inquiètent du langage “ inquisiteur ” de l’appel d’offres. Qu’en pensez-vous ?
« Ce n’est qu’un vocabulaire de professionnels qui, transposé dans une situation tendue, sorti de son contexte, peut choquer. »

Bien vu encore une fois, l’alibi du "professionnalisme" et de l’expertise. Ce vocabulaire de professionnels a tout pour inquiéter. Il a au moins l’avantage de dire les choses assez directement, alors que cette interview est là pour tromper son monde et apaiser les inquiétudes. Malgré une certaine habileté rhétorique propre aux « professionnels de la communication », nouveaux Cagliostros du monde moderne, elle n’y parvient pas. Bien au contraire.

#14861 | Répond au message #14851
Darcos veut fliquer les internautes - B. Javerliat - 23 novembre 2008 à  20:01

Je voudrais mettre un petit bemol quand meme dans cette histoire. Ce que je trouve ridicule, c’est l’idée même même de vouloir "surveiller" les web. Pour moi, il n’y a rien à surveiller, puisque tout est en ligne et accessible à tous. Il n’y a donc rien qui soit caché !

Si on part du principe que l’idée est stupide, et que Darcos n’est pas stupide, on peut essayer de chercher le pourquoi du comment de cette histoire. A mon sens, il peut s’agir :

 D’une manoeuvre d’intimidation à l’égard du corps enseignant. Des initiatives comme la lettre "En conscience, je refuse d’obéir" d’Alain Refalo, par exemple, ont semé une belle panique dans les ministères. Ces mêmes ministères en sont réduits à chercher une riposte, et comme on ne vit pas encore dans une dictature et que la liberté d’expression est à peu près respectée, il ne reste plus que l’intimidation : attention, vous êtes surveillés ! Mais bon, personne n’est dupe. Quand on écrit sur internet, c’est qu’on a justement pas envie de se cacher, et qu’on se fout d’être "espionné", puisque tout le monde peut voir ce que vous écrivez !
 De donner l’impression qu’on agit. Comme il n’y a pas grand chose à faire contre l’expression libre sur internet dans un pays démocratique, annoncer à grand renfort de publicité qu’on va surveiller tout le monde permet de lutter contre le sentiment d’insécurité... ministerielle ;-)

#14862 | Répond au message #14861
Darcos veut fliquer les internautes - bombix - 23 novembre 2008 à  22:41

Il n’y a donc rien qui soit caché

C’est vrai mais cela n’implique pas que tout soit visible. Pour qu’il y ait une visibilité, c’est à dire une perception, il faut qu’il y ait une "visée intentionnelle", comme disent les philosophes. Il faut donc recueillir, discriminer, donner un sens. C’est un travail. Le travail qui est demandé à cette société. D’autre part, l’élaboration de l’opinion publique sur internet ne se fait pas que sur le web. Il se fait aussi sur les listes de diffusion, qui sont très actives. Qui nous dit que le ministère n’est pas aussi intéressé par ces sources d’informations ? Or sur une liste fermée (donc accessible aux seuls membres), on se sent chez soi, la parole est encore plus libre que sur le net. Il est impossible que le pouvoir n’ait pas un intérêt à savoir ce qui s’y dit.

une manoeuvre d’intimidation à l’égard du corps enseignant

Non, je crois que c’est une super-boulette, au contraire. Il ne faut pas oublier non plus la stratégie de Darcos. Ces dernières déclarations visaient à discréditer les syndicats. Dans une démocratie représentative qui fonctionne, le pouvoir s’appuie sur les corps intermédiaires pour négocier. Là, il les congédie. Cela fonctionne assez bien avec l’ensemble du sarkozysme — mélange de populisme et d’autoritarisme — qui s’appuie depuis le début sur la démocratie d’opinion. Mais la manoeuvre est dangereuse. En tous cas, le ministre doit travailler au plus près de cette opinion en train de se faire. Il lui faut des instruments. Une boussole.
Si au passage il peut récolter quelques informations sur les « meneurs », c’est tout bénéfice. En tous cas, la défense qui prend appui sur la déontologie et l’expertise professionnelle — les deux grands arguments invoqués dans cette interview — ne tient pas la route. Il y a des outils qui sont mis en place, et rien n’assure personne ni de l’étendue de leurs investigations, ni de l’usage qu’on en fait. Et puis persiste derrière tout ça le détestable sentiment que la manipulation prime le dialogue...

#14866 | Répond au message #14862
Darcos veut fliquer les internautes - B. Javerliat - 24 novembre 2008 à  05:22

Peut-être... Ce que je voulais dire, c’est que si le ministère avait voulu qu’on sache bien ce qu’il fait, il ne s’y serait pas pris autrement. D’habitude, ce genre de projet reste discret. Faire un appel d’offres est le meilleur moyen que ça se sache.

« La plupart des mesures que je prends servent surtout d’habillage aux suppressions de poste. » (Xavier Darcos - Canard Enchaîné du 22/10/08)

#14869 | Répond au message #14866
Darcos veut fliquer les internautes - 21 novembre 2008 à 23:09

je le crois sans problème, nous sommes plusieurs à nous être fais bannir d’un forum (actiforum evs) pour avoir eut le front de réclamer nos droits un peu trop précisément .
la surveillance et pourquoi pas le contrôle, l’ intox c’est sûr !
sel58


#14842
Darcos veut fliquer les internautes - bombix - 14 novembre 2008 à 23:05

Bienvenue chez Orwell. Le Ministère de l’Education Nationale, la plus soviétiforme de nos administrations, répond à l’émoi qu’a suscité son appel d’offre « Ce n’est pas une démarche de censure et de contrôle mais une démarche d’écoute et de compréhension de l’opinion » prévient-il dans Le Monde d’aujourd’hui. On va les croire. Les syndicalistes de la FSU et du SE-UNSA quant à eux ne s’affolent pas : "« Parler d’une volonté de fichage des militants me paraît être une surinterprétation", estime Gérard Aschieri, secrétaire général de la FSU. "Le ministère veut simplement anticiper pour adapter sa propagande »" Si Aschieri le dit ...


#14714
Darcos veut fliquer les internautes - hugues vessemont - 12 novembre 2008 à 13:07

je suis on ne peut plus consterné par le ciblage personnel préludant des pratiques de pressions et de contraintes dignes de la Mafia. Ce n’est pas un bon moyen de résolution des problèmes sociaux.


Voir en ligne : http://hvessemont.canalblog.com
#14683
Darcos veut fliquer les internautes - Eulalie - 11 novembre 2008 à 10:47

Il y a un mois, chez nos cousins québécois :La privatisation de l’education, une réalité dissimulée

Analyse passionnante, surtout quandje me souviens que Fabius est allé au Québec.


#14681
Darcos veut fliquer les internautes - B. Javerliat - 9 novembre 2008 à 12:13

Tout ça va générer une masse de fichiers informatiques. La CNIL a-t-elle ou sera-t-elle saisie ? L’appel d’offres du ministère n’en parle pas.


#14655