Dimanche alibi ?
Dans La Croix du 16 décembre, une intervention de Martine Aubry, à propos du travail le dimanche. J’ai d’abord trouvé tout ça très bien...
La question d’un jour
Les choses sont dites clairement, mais comme chaque fois, lorsque je lis les débats sur cette question, j’ai un peu le sentiment qu’on s’arrête en chemin. La question du dimanche est intéressante, mais pourquoi cette impression qu’elle cache un autre débat ? Et pourquoi aussi une telle mobilisation, des politiques, des religieux, de tout un chacun (cf ici par exemple) etc...
Hypothèse : il peut être bien utile de (se) mobiliser sur la belle idée du "septième jour", afin de ne pas regarder en face la réalité des jours, de chaque jour et de tous.
Exemples :
– sur le choix de societé en jeu derrière cette histoire d’ouverture du dimanche : "Voulons-nous une société de consommation où l’acquisition de biens matériels devient l’alpha et l’oméga de toutes choses ?" ...là rien de neuf : dimanche ou pas dimanche, si on travaille plus pour gagner plus, c’est pour dépenser plus. Une majorité a voté pour ce choix de société... Dimanche ou pas dimanche, voulons-nous de cette société là ?...
– sur le recul nécessaire, face à la consommation comme modèle unique d’épanouissement : Le dimanche n’est pas un jour comme les autres : "remettre cela en cause, c’est à nouveau privilégier une société de l’« avoir » et pas de l’« être ». Un jour d’arrêt dans la consommation, c’est un temps pour soi, un temps pour sa famille, un temps pour les autres." Bon... Là encore, dimanche ou pas dimanche, la question se pose. Les six autres jours, pas de temps pour soi ? ni pour sa famille ? ni pour les autres ?... si c’est le cas, il y a peut-être urgence à y réfléchir, non ???
– sur le temps particulier du dimanche : "C’est le moment où les hommes et les femmes se tournent les uns vers les autres, pour réfléchir au-delà du stress du travail, ou tout simplement prennent du temps pour eux. C’est le moment où les parents ont le temps de parler à leurs enfants." Là encore, espérons que les parents parlent un peu à leurs enfants les six autres jours :-)
La "folie de la consommation"... du dimanche.
Il y a de belles envolées chez Martine Aubry : "Ce jour-là est aussi celui où l’on prend le temps de s’occuper des parents âgés. C’est aussi, pour ceux qui croient, un temps de spiritualité. Tout cela est pour moi absolument essentiel dans la société que nous voulons. La folie de la consommation, on le sait, n’a jamais fait le bonheur des hommes.", ou "L’état de développement d’une société ne peut pas se mesurer à l’aune du nombre de téléphones portables ou de matériels électroniques que l’on pourrait désormais acheter aussi le dimanche, mais à notre capacité à bien vivre tous ensemble, quelles que soient nos différences d’âge ou d’origine sociale et culturelle."
Mais pourquoi limiter ces questions au seul dimanche ? Ne sont-elles pas valables pour les autres jours de la semaine ? Celle de l’"état de notre société" ne se pose-t-elle pas aussi les six autres jours ?!... Suffira-t-il de magasins fermés un jour dans la semaine pour améliorer l’"état" de notre société, ou pour s’en satisfaire ?
Les beaux esprits du dimanche
Je cherchais depuis longtemps ce qui me gênait dans le débat pour ou contre le travail du dimanche : j’ai trouvé, grâce à l’interview de Martine Aubry... : Parmi les beaux esprits qui revendiquent le repos dominical et sa cohorte de belles actions (repas familiaux, activités sportives, promenades en campagne, bricolage à la maison, non-consommation, pratique religieuse, etc), peu élargissent le champ de vision et osent poser le problème de la qualité de vie durant les six autres jours.
Le dimanche est peut-être un bel alibi... et une aubaine pour mobiliser l’opinion sur un débat peu gênant finalement. Un os à ronger... : Continuons à nous mobiliser contre l’ouverture des magasins le dimanche (ou pour, d’ailleurs...), c’est un très bon moyen de continuer à ne pas réfléchir trop, et surtout à ne rien changer les autres jours. Sont-ce les mêmes qui arpentent avec frénésie les galeries marchandes le samedi, qui dotent leurs enfants de portables dès le CM2, qui changent le leur tous les ans, qui font des heures sup pour payer la nounou qui garde les gosses 10 ou 12 heures par jour, qui prennent la voiture pour aller à l’école, qui se trouvent fatigués... et qui en même temps réclament le repos dominical ? N’y a t-il pas une légère incohérence ?... N’est-ce pas au fond le même débat ?...
Quelle vie on veut...
Dimanche ou pas dimanche : ce n’est pas la seule question, et sans doute même pas la vraie question. La question, ce n’est pas "quel dimanche on veut" , mais "quelle vie on veut, chaque jour"... et là, on n’évitera pas les mots de sobriété, de simplicité volontaire, de décroissance,.. d’"être" plutôt qu’"avoir"...