Atmosphère entre l’Empereur et l’Autruche
Notre enquête sur le milieu culturel se poursuit. Nous sommes allés à la rencontre de l’association Atmosphère dont l’objectif est de contribuer au développement artistique, au travers de l’organisation de concerts et de créations théâtrales. À l’issue de la répétition générale de leur dernière pièce, ses principaux membres ont bien voulu nous résumer leur parcours et nous confier leurs impressions.
Des Rencontres
L’Agitateur : Depuis quand l’association Atmosphère existe-t-elle ?
Caroline Boutin : Atmosphère a été créée en avril 1998 par trois personnes. Je connaissais l’une d’elles depuis longtemps, je jouais avec une autre en temps que comédienne et je suis moi-même la seule encore présente aujourd’hui. Il y a eu ensuite beaucoup de mouvements parmi les membres de l’association. Nous avons accueilli aussi bien des comédiens, que des gens s’occupant du bureau… Maintenant le véritable noyau s’est durablement constitué autour de trois autres personnes : Guillaume Rodier, Philippe Guetchrian... et moi.
L’Agitateur : Qu’est-ce qui a amené chacun d’entre-vous à vous investir plus particulièrement dans le milieu culturel plutôt qu’ailleurs ?
Caroline Boutin : Lorsque je suis arrivée sur Bourges en 1995, je faisais du théâtre depuis un moment déjà. Après une période de réflexion, j’ai décidé de m’investir un peu plus et il y a eu la création de l’association.
Philippe Guetchrian : J’ai commencé par jouer dans un groupe avec des copains sur Bourges. En cherchant des aides, on a rencontré Caroline et on a adhéré à son projet d’association. Ensuite je me suis formé dans la régie du spectacle pendant six ans puis j’ai suivi des stages.
Guillaume Rodier : Mes motivations premières furent avant tout mes amours pour la lecture et l’écriture. Concernant le théâtre, je l’ai découvert par l’intermédiaire de proches ayant travaillé dans ce milieu. Je cherchais donc un atelier théâtre quand j’ai appris qu’il y en avait un pas très loin de chez moi à la salle "Familia". C’était Caroline qui l’animait en 1999. J’étais débutant au niveau théâtral et comme j’aimais aussi la musique je suis entré dans l’association. C’était des rencontres dans la cuisine à trois pour élaborer les projets jusqu’à minuit, sans lieu de répétition, sans rien !
L’Agitateur : Vous êtes donc très vite passé à l’engagement…
Guillaume Rodier : Oui, c’est ça le milieu associatif. Des collaborations avec d’autres personnes, l’élaboration de projets, des débats d’idées. Bien sûr ce n’est pas toujours simple mais c’est très enrichissant… Bien plus que de rester devant sa télé en tout cas !
De l’organisation de concerts...
L’Agitateur : Comment l’association s’est-elle développée après la rencontre ? Quel fut votre premier projet ?
Caroline Boutin : Le premier projet théâtral a pris corps après une rencontre avec Amnesty International en 1999. On a travaillé sur des textes en collaboration avec une troupe de théâtre : les Ringards. Parallèlement on s’est fait connaître grâce aux Ailes berruyères car j’animais leur atelier et nous nous sommes un peu diffusés grâce à cela. Avec leur concours, nous avons organisé une représentation, une exposition de photos et une exposition de peintures dans le courant de l’année 2000.
Philippe Guetchrian : Au niveau musical, en 1999 on avait commencé à faire de la programmation off dans des cafés pendant le Printemps de Bourges. Nous étions en contact avec différents groupes et nous avions proposé une programmation complète au café « le Marceau ». L’année suivante, nous avons assuré toute la programmation et la gestion de concerts au « Madison ».
Caroline Boutin : Il s’agissait en quelque sorte d’un off dans le « Off ». Mais cela n’a pas été forcément bien perçu…
L’Agitateur : Par les organisateurs du « Off » ? En quoi cela pouvait-il être dérangeant ?
Philippe Guetchrian : Tout d’abord, nous ne sommes pas rentrés dans le « Off » officiel et beaucoup de gens avait prédit que ça ne marcherait jamais… Notre pari c’était de pouvoir de réaliser un off spécifiquement dans ce lieu parce qu’il était excentré . [1]
Caroline Boutin : Le propriétaire du « Madison » nous a fait confiance en nous laissant son bar ! Pour nous, cela a été une motivation supplémentaire à continuer l’association. Sinon nous ne pouvions pas organiser de concerts car il aurait fallu écrire tout un roman pour obtenir des subventions…
L’Agitateur : Cette "paperasserie administrative" semble être généralement assez mal perçue par les associations.
Philippe Guetchrian : La partie administrative pourrait encore se gérer si nous n’avions ne serait-ce qu’un bureau pour pouvoir nous réunir ou nous mettre justement à jour sur ces questions. Cela peut vite devenir démotivant.
Caroline Boutin : Sans bureau, ni salle pour répéter, on ne peut pas envisager de jouer, de créer ou de se développer. On ne peut rien faire !
L’Agitateur : Est-ce que l’association vous permet de bénéficier de subventions ou non ?
Caroline Boutin : Non, nous n’avons pas de subventions. On s’autofinance avec nos spectacles.
Guillaume Rodier : Nous avons déjà obtenu des subventions sur des projets bien spécifiques mais pas pour tout ce qui relève de nos créations musicales ou théâtrales. En fait, nous ne bénéficions pas de subventions de fonctionnement.
Caroline Boutin : Nous fonctionnons plutôt sur des projets qui nécessitent ponctuellement d’obtenir quelques moyens pour les mener à bien. Ensuite, si pendant trois ans on n’a rien ce n’est pas un soucis… En 2003, nous avions justement écrit un projet pour le Point Rencontre Jeunes de la ville de Bourges. Il s’agissait de travailler sur l’organisation d’un concert avec l’appui des jeunes du secteur. Nous avions intégré l’ensemble des paramètres : contrats, régie, communication, salle… Tout le monde a suivi…
L’Agitateur : C’est-à-dire ?
Caroline Boutin : Tous les partenaires locaux dont la ville de Bourges , la Préfecture, la Fédération des Œuvres Laïques et ensuite la DDJS autour d’ une action spécifique intitulée « envie d’agir ». Tout s’est très bien passé !
L’Agitateur : Où s’est déroulé ce concert ?
Philippe Guetchrian : À la salle Germinal [2], c’était complet, il y a eu une très forte affluence. On avait fait venir plusieurs groupes locaux ainsi qu’un groupe de renommée nationale en tête d’affiche. Le problème encore une fois, c’est que nous montions tous ces projets à la maison. C’était quand même assez lourd à gérer.
Caroline Boutin : Suite à ce succès, on a relancé le festival de la citoyenneté en 2004. Tous les partenaires ont suivi à nouveau. Le projet était un peu plus ambitieux puisqu’il y avait une déambulation dans la rue. Pour le travail sur la citoyenneté, la PJJ (Protection judicaire de la Jeunesse) s’est jointe à nous…
Guillaume Rodier : L’objectif était de créer une œuvre artistique en rapport avec la citoyenneté quelque soit le type d’expression utilisée.Ce qui était sympa c’est qu’il s’agissait d’un projet global qui mélangeait en fait plein de petits projets . Chacun a travaillé dans son coin puis on a coordonné et tout présenté le même jour avec des gens qui ont fait des grafs, du hip hop, d’autres venant du monde rural…
... aux créations théâtrales
Philippe Guetchrian : En 2003 on a également conduit un autre projet,plutôt théâtral, qui s’appelait Europa Bourges. Il s’agissait de créer un spectacle permettant de présenter les aspects culturels de chaque ville jumelée à Bourges.
Caroline Boutin : Cela s’est fait grâce à Nicolas, un membre de l’association, qui arrivait de Strasbourg et qui cherchait à se former dans le milieu culturel. Il a effectué un stage à l’OMSJC qui travaillait sur ce projet.
Guillaume Rodier : Au départ, il devait y avoir un projet différent par ville sur plusieurs années consécutives. Cette année là, Bourges avait été choisie pour travailler sur l’aspect musical. Des groupes bénévoles avaient été sélectionnés dans chaque ville jumelée. Nous étions chargés de nous occuper tout aussi bien de l’organisation que de la création de la partie narrative servant de fil conducteur entre tous ces groupes.
Caroline Boutin : Suite à ces réussites, nous avons voulu mettre en place un projet à Vierzon avec Nicolas (j’y travaillais alors comme intervenante théâtrale). Cette préparation a duré un an. Tout le monde était prêt à suivre encore une fois. La Région Centre notamment avec "Culture O Centre". [3]
Finalement lorsqu’on a appris que ça ne se ferait pas suite au désistement de la ville de Vierzon en 2005 , il y a eu une phase de démotivation. On a donc laissé un peu tomber les organisations de concerts qui nous prenaient beaucoup de temps afin de pouvoir nous consacrer davantage à la troupe.
Philippe Guetchrian : Nous avons quand même préservé la partie musicale avec Gaïa. [4]
L’Agitateur : Vous vous êtes donc fixés deux axes privilégiés…
Caroline Boutin : Oui…Personnellement j’adore faire de l’organisation de concerts et on s’est formés pour ça pendant près de dix ans avec l’ADATEC. Nous n’avons jamais été déficitaires sur nos projets, nous sommes capables de gérer une organisation, nous savons comment ça fonctionne. Mais enfin…Nous nous sommes donc concentrés sur la création mais toujours avec le même soucis... nous n’avions pas de lieu !
L’Agitateur : Pour en revenir à vos projets, qu’avez vous fait ensuite ?
Caroline Boutin : Concernant le volet théâtral, la troupe, que nous avons appelée "les Bras’ Kass", a créé deux spectacles pour enfants depuis ses débuts. Le premier, intitulé « Soleil et compagnie » a été joué de 2002 jusqu’à l’année dernière . La nouvelle création, dont le nom est « Un jour l’Empereur », va commencer sa tournée.
Philippe Guetchrian : On a aussi joué plusieurs fois pour des commandes sous forme de théâtre de rue à Bourges, à Vierzon ou à Mehun. Pour cela nous avons réadapté notre première création en déambulations dans les villes concernées. C’était une démarche intéressante.
L’Agitateur : Il s’agissait de commandes ponctuelles ?
Caroline Boutin : Oui, parfois nous étions dans l’urgence pour réadapter notre spectacle. Ce n’est pas toujours l’idéal…
Guillaume Rodier : Cela nous a permis de développer la partie improvisation et donc de progresser sur certains points…
L’Agitateur : Et comment avez-vous eu l’opportunité de répéter au 22 ?
Caroline Boutin : Comme on s’est auto-financés avec des cachets obtenus avec la troupe et un peu avec des concerts on loue la salle .
L’Agitateur : Vous avez obtenu l’autorisation d’investir cette salle une fois par semaine à l’année ?
Caroline Boutin : Oui et heureusement ! Sinon nous n’aurions pas pu démarrer !
Philippe Guetchrian : La société Coulisses nous a laissé la salle à un prix abordable. Ce qui nous a été accordé est plutôt exceptionnel.
L’Agitateur : Vous considérez ça comme une sorte de « coup de pouce » ?
Philippe Guetchrian : Oui, nous avons été privilégiés… pour une fois !
Questionnements
Guillaume Rodier : C’est un gros problème sur Bourges. D’autres associations connaissent les mêmes difficultés pour trouver un lieu de répétition ou pour sortir de locaux devenus obsolètes. Un projet devait se monter mais on ne sait pas où il en est…
Caroline Boutin : Toutes les troupes théâtrales avaient été convoquées il y a 6 ou 7 ans et depuis il n’y a aucune nouvelle…
Philippe Guetchrian : Ce projet a été découpé en plusieurs phases car il nécessite un budget conséquent. La première phase a été réalisée ce qui est une très bonne chose mais avec la conjoncture actuelle on ignore si dans 5 ans il y aura suite ou pas…
Caroline Boutin : Pour les troupes de théâtre amateur c’était devenu nécessaire. Tout le monde s’est rendu compte qu’il nous fallait des lieux pour répéter ou pour stocker le matériel : décors et accessoires…
Guillaume Rodier : Il manque véritablement d’un lieu de coordination associative sur Bourges.
Philippe Guetchrian : De toute façon, dans 4 ou 5 ans nous serons toujours là, même si en ce moment on a l’impression qu’on essaie de noyer le poisson en attendant qu’un certain nombre des associations concernées se démotivent ou périclitent.
L’Agitateur : Clairement, comment recevez vous le discours émanant d’Emmetrop qui explique qu’une salle comme le Nadir pourra permettre d’accueillir des troupes de théâtre amateur mais qu’il faudra « jouer collectif » et se prêter la salle ? [5]
Philippe Guetchrian : Pas de problème… Seulement pendant un an au moins, il semblerait que la salle ne pourra pas être mise à disposition car il faut encore définir les lignes budgétaires.
Caroline Boutin : J’ai déjà frappé à la porte et demandé à faire des résidences, autant pour le groupe que pour la troupe, sans obtenir de réponse jusque là. Je ne sais pas … Mais si on peut y aller, nous irons.
Guillaume Rodier : Cela peut se mettre en place cependant comme dans d’autres secteurs, il y a une formidable inertie dans le milieu culturel. Est-ce dû aux problèmes juridiques, institutionnels ou autres ? Nous l’ignorons… mais c’est très lent !
Caroline Boutin : Tout ce que nous avons pu faire jusque là, nous le tirons de notre bénévolat et de notre motivation, en prenant du plaisir à partager ces moments. Nous allons arrêter de louer la salle afin de consacrer davantage de temps au groupe qui n’a pas assez tourné cette année. La troupe quant à elle, n’a que quatre ou cinq dates prévues dans l’année, ce qui n’est pas suffisant pour continuer la location.Elle va donc se retrouver en stand-by…
Guillaume Rodier : Le lieu pour une troupe de théâtre c’est très important. Si nous n’avons pas de lieu fixe cela peut nuire à la qualité des spectacles. Il est nécessaire d’avoir les moyens de bien travailler et répéter sérieusement.
Caroline Boutin : Au moins un minimum de moyens ! On avait fait des propositions pour pouvoir partager un lieu, ou organiser des concerts avec d’autres associations.
L’Agitateur : Et alors ?
Caroline Boutin : Je ne sais pas… Les gens n’entendent pas. La devise privilégiée semble être « chacun pour soi ». On oublie vite les notions de partage ou le fait d’apprendre à vivre ensemble.
L’Agitateur : Vous ne pensez pas qu’il puissent y avoir des projets communs ou des ententes entre associations en l’état actuel des choses ?
Caroline Boutin : Non, c’est plutôt la politique de l’autruche.
L’Agitateur : Est-ce lié, selon vous, à l’actuelle politique de restriction budgétaire au niveau culturel ?
Philippe Guetchrian : Non, sinon je trouve que ce serait assez antinomique. Moins il y a de moyens, plus on devrait pouvoir se rapprocher pour faire des choses ensemble !
L’Agitateur : Et vous ne ressentez pas cet état d’esprit autour de vous...
Caroline Boutin : Non pas vraiment…
L’Agitateur : Quand et comment pensez-vous pouvoir trouver une solution ?
Caroline Boutin : J’espère que d’ici septembre 2009, on y verra un peu plus clair. Quoiqu’il en soit, ce sera une année charnière pour nous…
[1] Le « Madison » est situé dans la rue Jean Baffier
[3] Culture O Centre (anciennement ADATEC) est une association de formation proposant l’organisation de stages techniques, artistiques et administratifs…
[4] Un article sera plus particulièrement consacré au volet musical de l’association avec l’interview du groupe Gaïa, d’ici quelques temps.