Balade pour Rodin et des mots sur un mur
À quoi ça tient d’écrire un article dans ces colonnes ? Parfois à peu de choses je vous l’assure ! Ici, c’est encore par une promenade en ville que tout commence puis finit. C’est toujours agréable de se balader. Dans l’agitation ambiante, on ouvre ainsi une parenthèse pour prendre le temps de savourer pleinement chaque seconde qui passe.
Des statues ...
Ayant décidé de joindre l’utile à l’agréable, je me dirige vers l’hôtel Lallemant avec l’intention de découvrir l’exposition sur les « Rodin de Monsieur Hecq » , annoncée dans la presse locale ces derniers jours.
Après avoir réussi à esquiver quelques touristes errants dans les étroits escaliers à vis de ce haut lieu alchimique, je tombe finalement sur les fameuses statues, planquées dans une petite salle au fond de la cour. Bon d’accord, il ne s’agit pas de la collection "Yves Saint Laurent - Pierre Bergé"...pas immenses les statues, hein… ni très nombreuses d’ailleurs. Cinq en tout et pour tout. Deux bustes, dont un marbre, intitulé la Lorraine et un bronze réalisé en hommage à Georges Hecq , ce Berruyer, qui fut fonctionnaire au secrétariat des Beaux Arts, ami de Rodin, et à qui appartenait les pièces exposées. [1]
Mais il y a surtout ces trois superbes statues, initialement destinées à orner la porte de l’enfer et qui me permettent d’affirmer sans l’ombre d’une hésitation, qu’à l’évidence Rodin n’était pas un manchot.
[2] Même dans ces œuvres, dites mineures, on sent l’admirable patte du bonhomme. [3]
À tout moment, on pourrait imaginer entendre renifler cette Eve replète et chagrine , voir ce Minotaure lubrique parvenir à ses fins sur la pauvre nymphette, ou bien encore, cerner l’intime mystère de ce couple à l’extase tourmentée. [4] Tout cela dégage une véritable force, c’est presque vivant, souvent sensuel, toujours touchant. Mais pourquoi diable, ces pièces sont-elles restées si longtemps cantonnées dans les réserves du musée des Arts décoratifs je vous le demande ? Combien de lieux en France ont-ils la possibilité d’exposer les oeuvres d’un artiste tel que Rodin ? On en vient à espérer qu’elles ne rejoindront pas trop vite une caisse au sous-sol pour les cinquante prochaines années…
... et des mots
Bref, j’en suis là de mes réflexions quand je m’engage sur le chemin du retour en longeant les maisons à pans de bois de la rue Bourbonnoux. Outre quelques personnes qui, comme moi, flânent sur les pavés, je remarque un artisan, le nez en l’air, figé comme une statue de Rodin. Il a délaissé un instant son travail, attiré par les cris des grues qui annoncent dans le ciel, le proche retour du printemps.
Un peu plus loin, mon regard se porte sur une boutique vide, étayée de poutres. Sur la façade peinte en blanc, on discerne nettement les petits signes noirs... Ce sont des lettres de l’alphabet, reproduites au pochoir. En la circonstance, l’ensemble fait penser à la frappe d’une vieille Remington sur une feuille de papier machine. À bien y regarder, ces lettres forment même des mots, des phrases et finalement un texte dont l’auteur a préféré l’anonymat. On peut y lire des regrets et de l’amertume à voir se transformer les quartiers de la Chancellerie [5]
et d’Avaricum suite aux bouleversements et aux restructurations programmées par le PRU de la ville de Bourges …
S’agirait-il là d’une nouvelle intervention d’Albert Poignard, artiste mentionné par Jean-Michel Pinon, dans un précédent article intitulé la véritable culture urbaine ? La démarche est un peu similaire… Dans le cas présent, je ne saurai dire si l’on peut parler d’art contestataire ou même d’expression artistique... Peu importe finalement, car je repars tout à fait satisfait. La tête remplie d’images parfaitement liées entre elles par une alchimie autrement plus efficace que celle des frères Lallemant : une simple balade avec Rodin et quelques mots inscrits sur un mur.
L’exposition "Les Rodin de Monsieur Hecq" est visible, du 19 février au 30 août 2009, au musée des Arts décoratifs à l’Hôtel Lallemant de Bourges.
[1] Pour en savoir plus sur Georges Hecq
[4] Pour en savoir plus sur ces pièces : Minotaure, Eve, Fugit amor
[5] Sur ce sujet, on pourra également se reporter à cet article , cet autre-ci ou cet autre-là