Il y a dix-huit ans, voici ce que déclarait un théoricien politique classé à droite, et même à l’extrême droite. Texte d’une lucidité remarquable :
— Les notions de droite et de gauche ne sont-elles pas dépassées ?
— Elles conservent sans doute une portée « psychologique » générale, mais ne correspondent effectivement plus à grand chose. Il ne faut pas oublier, d’abord, qu’il y a toujours eu (au moins depuis deux siècles) des droites et des gauches, et que certaines de ces droites et de ces gauches ont pu avoir entre elles des affinités plus grandes qu’avec leur famille d’origine, ne serait-ce que parce que, dans l’histoire des idées, il n’est pas rare de voir les mêmes thèmes traverser progressivement tout le paysage politique. Vouloir dégager à partir de ces droites et de ces gauches des idéaltypes valables en tous temps et en tous lieux, me paraît une entreprise bien problématique. Sur le plan politique, en France, le prodigieux recentrage auquel on a assisté avec l’effondrement du communisme, l’abandon par le RPR de la plupart des valeurs du gaullisme et la conversion de fait du PS aux principes de l’économie libérale, n’a évidemment pas laissé intactes les définitions classiques de la droite et de la gauche. J’en veux pour preuves l’affrontement qui oppose actuellement les partis qui défendent des intérêts à ceux qui défendent des valeurs (les intérêts sont négociables, les valeurs ne le sont pas) et, d’autre part, le fait que tous les grands débats de ces dernières années (réunification de l’Allemagne, guerre du Golfe, traité de Maastricht, etc) ont divisé de façon transversale à peu près toutes les formations existantes [1]. Il semble donc que l’on soit actuellement dans une époque de transition, annonciatrice de nouveaux clivages. [...]
— Est-ce gênant pour la classe politique de ne plus avoir recours à ces clivages ?
— Probablement pas, car elle reste dominée par des clivages d’intérêts politiciens. Dans le meilleur des cas, la classe politique n’a qu’une vision instrumentale des valeurs et des idées. Elle ne défend pas les idées qui lui paraissent les plus justes, mais celles qu’elle considère comme les plus utiles pour parvenir à ses fins. Or, sa finalité reste le pouvoir, et la finalité du pouvoir est un problème qu’elle préfère généralement ne pas se poser. En fait, les partis ont plutôt tendance à se méfier des idées, car les idées divisent, au moins dans un premier temps, alors que leur objectif est de plaire à tout le monde. Mais à terme, bien entendu, le calcul se retourne contre eux : dans l’histoire, on a souvent donné sa vie pour des idées, rarement pour défendre des statistiques.
— Finalement, vous voudriez être un homme de gauche autant qu’un homme de droite ?
— Les étiquettes m’indiffèrent. Je m’intéresse plutôt aux contenus. Devant une idée nouvelle, je ne me demande pas si elle est de droite ou de gauche (il faudrait déjà savoir ce que cela veut dire !), mais si elle me paraît juste ou non. [...] En outre, à l’époque actuelle, j’ai l’impression qu’un schéma du type centre-périphérie est en train de se substituer au schéma droite-gauche. Dans cette optique, le « centre » serait constitué par une idéologie dominante visant avant tout à perpétuer le système en place (le marché comme paradigme des faits sociaux, les valeurs marchandes, l’Etat de droit libéral, la loi du profit, la croissance sans finalité, l’idéologie de la marchandise et le système des objets), la « périphérie » associant, sous la forme d’un débat permanent, tous ceux qui, venus de la « droite » ou de la « gauche », refusent de considérer ce système comme le stade final de la pensée politique et de l’histoire. »
Presque vingt ans plus tard, on trouve chez un philosophe dont l’ancrage socialiste (au sens historique du terme, pas au sens où le PS se nomme encore aujourd’hui socialiste) n’est pas discutable, une critique de la gauche et de l’extrême gauche française contemporaine qu’on pourrait situer à la périphérie, pour reprendre la nouvelle classification proposée par le texte précédent :
Il est effectivement symptomatique que le mot « capitalisme » ait quasiment disparu du vocabulaire politique contemporain au moment précis où la gauche commençait à se réconcilier avec la chose désignée par ce mot. […] L’important, c’est de voir que le capitalisme (ou, si vous préférez, la civilisation libérale) représente un « fait social total ». Il ne saurait en aucun cas être réduit à une simple forme d’organisation économique de la société — et, a fortiori, à un simple mode particulier d’appropriation des « grands moyens de production ». C’est précisément cette réduction « économiste » (ou « juridiste ») du capitalisme qui constitue la principale racine intellectuelle de toutes les mésaventures politiques répétées de la gauche et de l’extrême gauche contemporaines (mésaventures qui ont, naturellement, bien d’autres causes historiques que cette « erreur » théorique). Ces dernières sont, en effet, devenues globalement incapables de comprendre que le système capitaliste mondial s’effondrerait en quelques semaines si les individus cessaient brutalement d’intérioriser en masse — et à chaque instant — un imaginaire de la croissance illimitée et une culture de la consommation, vécue comme le fondement privilégié de l’image de soi . En dehors de quelques mouvements pour l’instant encore marginaux — comme ceux, par exemple, des « objecteurs de croissance », des « résistants à l’agression publicitaire », des défenseurs de l’agriculture paysanne, ou des « antijournalistes » du Plan B — on aurait désormais le plus grand mal à trouver dans les programmes et les actions de la gauche moderne la moindre trace d’une remise en question un peu sérieuse de ce que Debord avait appelé — il y a quarante ans — la « société du spectacle ».
Ce silence philosophique est tout à fait étonnant. Dans les années 1950 et 1960, l’idée qu’il était devenu impossible de critiquer les nouveaux développements du capitalisme sans remettre simultanément en cause la « société de masse » et les nouvelles formes de vie quotidienne qui lui correspondaient, était, au contraire, au centre de toutes les analyses radicales — que ce soit aux États-Unis ou en France. [...]
Or qu’en est-il aujourd’hui ? À lire les programmes de la gauche et de l’extrême gauche françaises on en retire la curieuse impression qu’une société socialiste (quand d’aventure ce terme « archaïque » est encore employé), ce n’est fondamentalement rien d’autre que la continuation tranquille du mode de vie présent, tempérée d’un côté, par une répartition plus équitable des « fruits de la croissance » et de l’autre, par une exhortation perpétuelle à lutter contre « toutes les formes de, discrimination et d’exclusion », que celles-ci, d’ailleurs, soient réelles ou purement fantasmées . Avec en prime, cela va de soi, juste ce qu’il faut de « démocratie participative » pour permettre aux individus (on n’ose pius dire au « peuple ») de se donner plus facilement des maîtres de gauche.
On peut donc se poser la question : la gauche est-elle encore la gauche quand elle épouse les valeurs et les principes de la civilisation libérale ? Le mot a-t-il seulement encore un sens ? Il faut rappeler en effet que le courant libéral au XVIIIème siècle n’est nullement un courant de droite, mais au contraire un courant de gauche, inspiré par la philosophie des Lumières. C’est seulement avec l’apparition des radicaux, puis des socialistes et des communistes, que les libéraux sont poussés vers le centre et c’est seulement à une date récente qu’une partie de la droite a accepté les postulats essentiels du libéralisme. Sous les cieux anglo-américains, un « libéral » est d’ailleurs resté un « progressiste ». Il y a donc droite et droite. Mais aussi gauche et gauche ? René Rémond, dans une étude qui a fait date, distinguait trois droites françaises : traditionaliste-contre-révolutionnaire, libérale-orléaniste, bonapartiste-plébiscitaire.
Mutatis mutandis, on peut se demander si il n’y a pas place, après l’effondrement des totalitarismes, après l’impasse libérale dont nous prenons progressivement conscience, pour une refondation de la pensée à gauche qui renoue, d’une certaine façon, avec l’idée de tradition, une pensée de gauche conservatrice, si on nous autorise ce curieux oxymore [2]
Ce qui expliquerait, à vingt ans de distance, la proximité des analyses d’un orwellien, « anarchiste Tory » comme Jean-Claude Michéa (second texte) [3] et d’un penseur de droite comme Alain de Benoist (premier texte) [4] …
Resterait naturellement à s’entendre sur un préalable non négociable : une pensée politique, quelle que soit son nom, ne saurait pour nous être acceptable sans projet émancipateur, lequel suppose au minimum d’une part l’égalité politique des citoyens, d’autre part la faculté réelle de ceux-ci à s’autodéterminer.
[1] Ou l’on voit que le débat qui a traversé le PS à propos du TCE n’avait rien d’un événement nouveau d’un point de vue de notre histoire politique, mais qu’il a simplement été plus spectaculaire
[2] En fait, l’idée d’une gauche conservatrice ne peut choquer que ceux qui ignorent encore le caractère révolutionnaire, et même la révolution permanente qu’impose le capitalisme. Marx le premier l’avait dit, et son texte n’a pas pris une ride :
« La bourgeoisie a joué dans l’histoire un rôle éminemment révolutionnaire. Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens complexes et variés qui unissent l’homme féodal à ses "supérieurs naturels", elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d’autre lien, entre l’homme et l’homme, que le froid intérêt, les dures exigences du "paiement au comptant". Elle a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d’échange ; elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l’unique et impitoyable liberté du commerce. En un mot, à la place de l’exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale [...] La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c’est-à-dire l’ensemble des rapports sociaux. Le maintien sans changement de l’ancien mode de production était, au contraire, pour toutes les classes industrielles antérieures, la condition première de leur existence. Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelles distinguent l’époque bourgeoise de toutes les précédentes. Tous les rapports sociaux, figés et couverts de rouille, avec leur cortège de conceptions et d’idées antiques et vénérables, se dissolvent ; ceux qui les remplacent vieillissent avant d’avoir pu s’ossifier. Tout ce qui avait solidité et permanence s’en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés enfin d’envisager leurs conditions d’existence et leurs rapports réciproques avec des yeux désabusés... » (Manifeste du Parti Communiste)
[3] JC Michéa, Entretien à Contretemps Radio Libertaire, in La double pensée, 2008, Flammarion Champs Essai, p. 96-98
[4] Les dossiers de l’Histoire, n°82, 1992, La droite nationaliste, 1870-1992, Entretien avec Alain de Benoist par F. Le Houerou, p. 152-153)
Contre la civilisation libérale, penser à la périphérie ?
- Julien Debord
- 3 juin 2010 à 19:21
Attention, vision caricaturale en approche !
Etre "à gauche", ce n’est qu’une posture, la revendication d’un héritage glorieux datant de plus d’un siècle. A gauche, on est les gentils parce qu’on agit pour le bien commun, le peuple dans son ensemble, et donc on devrait être les champions du prolétariat et de la classe moyenne.
La droite, c’est pire, ça n’existe même pas. Sont "de droite" tous ceux qui ne se retrouvent pas dans "la gauche". Donc tout ceux qui refusent, en gros, de payer pour les autres. On devrait être les champions des riches, des individualistes et des vieux.
Le centre est une posture, il est en fait "à droite" tout simplement parce qu’il n’est pas "à gauche".
Les libéralismes n’appartiennent à aucun de ces pôles. A gauche, comme à droite, on a un jour défendu des idées libérales, tout comme on a lutter contre elles à tour de rôle. Mai 68 était une explosion libérale, ses acteurs étaient le plus souvent "à gauche" et ses détracteurs "de droite".
Je ne comprendrai jamais l’intérêt de cette classification droite-centre-gauche. Pour moi, plutôt que de vouloir catégoriser par d’hypothétiques valeurs, on ferait mieux de le faire par comportement :
– les réactionnaires, ceux qui veulent revenir en arrière (un gros morceau de l’UMP, l’extrême droite, une partie de l’extrême gauche genre NPA, certains écologistes),
– les conservateurs, qui cherchent le statut quo (les centristes, une partie du MoDem, le PS, une partie de l’extrême gauche, les syndicats),
– les progressistes (quelques acteurs de la droite, les écologistes, une partie du MoDem, des gens d’extrême gauche et du PS).
Dans un monde où les idéologies sont mortes et où plus personne n’est capable de proposer une destination claire, cela me paraît bien plus efficace. La question n’étant plus "vers où ?" mais "comment ?".
Ma vision présente s’appliquant à la politique dans son ensemble. Si je voulait parler des hommes politique en particulier, la classification serait beaucoup plus simple : il y a ceux qui cherchent à conserver leur emploi et ceux qui cherchent à se faire réélire. Et oui, ça ne fait qu’une seule catégorie...
Contre la civilisation libérale, penser à la périphérie ?
- Julien Debord
- 7 juin 2010 à 00:00
Se pourrait-il que les idéologies se nichent sournoisement dans la croyance en leur disparition ? Ou que avaliser cette idée d’un monde qui serait plus complexe, serait avaliser une de ces idéologies sournoisement tapies ?
Ouai, en effet, puisque quelque part, c’est aussi dire "Voilà comment est le monde !". C’est l’énonciation d’une vérité qui n’a pas à rougir dans son absolutisme face à ce que je "définis" comme des idéologies.
Affirmer qu’il n’y a pas de vérité absolu, c’est quelque part une forme de point Godwin : "Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien." - "Comment peux-tu savoir que tu ne sais pas si tu ne sais rien ?!?".
Ça serait quoi cette "complexité" ? et c’étaient quoi ces "réponses manichéennes habituelles" ?
Les réponses manichéennes sont toutes celles qui prétendent, en gros, qu’ils ont LA bonne solution et que les autres sont mauvaises, voir néfastes. "C’est nous les gentils et eux c’est les méchants" comme diraient Les Inconnus. "Habituelles" parcequ’à chaque grande question, chaque mouvance politique arrive avec sa réponse toute faite qui est forcément présenté comme absolue.
De quelle complexité je parle ? Si j’arrivai à la définir, je pourrai certainement vendre des e-books à la pelle…
Mais je vais essayer en reprenant l’exemple des retraites.
Que nous dis la droite ? En gros : pour assurer le paiement des cotisations sans faire fuir les entreprises, il faut travailler plus longtemps, c’est mathématique.
La gauche ? Qu’il est possible de maintenir la retraite à 60 ans en augmentant simplement les cotisations, et de préférence en tapant dans la caisse des riches et des entreprises.
Ces deux réponses sont, à mon sens, du pur foutage de gueule. A droite, on oubli purement et simplement que "travailler plus longtemps" ne va pas dans le sens de l’histoire. En effet, du travail, il y en a de moins en moins, et il y en aura de moins en moins (en tout cas pour les 50ans à venir). Les gains de productivité ont été gigantesques, même avec toutes les améliorations écolos on ne peut pas produire toujours plus et le secteur tertiaire, malgré le développement de l’aide à la personne, ne suffit pas à compenser. Comment travailler plus longtemps quand, déjà, le travail précaire ou le non-travail font la norme ?
Pour la gauche, en plus d’oublier, là aussi, que le travail n’a pas d’avenir, on refuse de voir que la classe moyenne ne peut supporter d’alourdissement fiscal, que les riches et les entreprises peuvent décider de se barrer pour d’autres lieux d’un claquement de doigts et que, de toute façon, payer plus maintenant ne résout le problème qu’à court terme. On fera quoi, dans dix ans, quand il y aura à nouveau un déficit à résorber et que le pouvoir d’achat continurat de n’augmenter que par le biais de la dette ?
« Travailler plus longtemps ! » et « Payez plus ! » sont des réponses manichéennes classiques. Les quelques questions que je viens de soulever, à mon humble niveau, sur le problème des retraites font état de la complexité dont je parle.
En bref, la droite et la gauche font de la pure démagogie sur ce dossier. Elles réduisent le problème à des questions de financement alors qu’il s’agit d’une crise structurelle profonde. On refuse de poser les questions de fonds, qui sont complexes, par peur, lâcheté ou logique électorale.
Pardonnez moi mais, au delà d’un problème de déficit intellectuel, c’est surtout un déficit de paire de couilles (ou d’ovaires) qui est à l’oeuvre.
Contre la civilisation libérale, penser à la périphérie ?
- bombix
- 2 juin 2010 à 02:22
Que de provocations...
Oui. Et je vais ajouter, pour continuer à être provocateur : « et alors ? » Première remarque : l’utilisation que vous faites du vocable d’extrême-droite consiste surtout à apposer sur un écrivain une étiquette infamante pour interdire de le lire et de le citer. La chasse aux sorcières est ouverte, et ça commence par cet article qui, dites vous, "fait planer une certaine confusion", alors que, dès les premières lignes, j’annonce la couleur, comme vous le faites vous-même remarquer. Mais vous n’êtes pas à une contradiction près. "Méfions-nous du piège mortel de la cohérence" comme disait un certain. ;-)
Deuxième remarque : concernant Alain de Benoist, je ne sais pas si il est vraiment « d’extrême droite ». Je le situerais pour ma part du côté de la droite radicale, celle qui fonde sa pensée politique sur deux concepts majeurs : la hiérarchie, et la différence. Il y a quantité de bons esprits qui se rangent sous cette bannière — à commencer par Nietzsche, et je ne m’interdis ni de les lire, ni de les citer ; je n’ai pas des petits flics de la pensée pour nettoyer et aseptiser les rayonnages de ma bibliothèque. Pas encore, ça pourra peut-être venir un jour, car on ne sait pas au juste de quoi est capable la « terreur molle » — pour parler comme Philippe Murray — dont vous tenez pour l’heure le porte-voix.
Maintenant, au fait. Pourquoi est-ce que j’ai cité De Benoist ? Parce que je suis séduis tout à coup par le discours de la droite radicale ? Parce que je vire facho ? Merci de me flétrir de ce soupçon. En toute honnêteté, si j’avais cité ce texte sans mentionner son auteur, pouviez-vous imaginer, à partir de son contenu, qu’il était tenu par un membre du GRECE ? Or ce qui m’intéresse, c’est ce que disent les gens — pas ce qu’on dit d’eux. Vous même, d’où tenez-vous vos informations concernant Alain de Benoist ? De la fréquentation assidue de ses livres, ou de sa fiche Wikipédia ? Il se trouve que je lis très attentivement en ce moment JC Michéa. Et que je suis troublé par cette lecture, parce qu’il me semble qu’il suffirait d’un rien pour que ses analyses soient reprises par des mouvements de pensées réactionnaires. J’ai donc fait des recherches, et bingo, je suis tombé sur une recension assez élogieuse d’Alain de Benoist d’un bouquin de Michéa. Par ailleurs, j’avais conservé cet ancien numéro des dossiers de l’Histoire et j’avais été frappé par cette interview. A partir de là, je me suis dit qu’on pouvait peut-être mettre les deux auteurs en vis à vis et répérer des similarités dans le discours. C’est un travail théorique et savant qu’on pourrait faire. Là, j’ai juste écrit un articulet pour l’Agitateur.
Reste ce qui m’intéresse : où va-t-on quand on fait une critique radicale, comme celle — impeccable et séduisante — de Michéa par exemple, de ce qu’il nomme "la civilisation libérale", c’est à dire du capitalisme occidental mondialisé dans sa phase actuelle ? Ce n’est pas rien de casser les répères droite/gauche. Ce n’est pas rien d’attaquer la pensée libérale, car nous sommes aussi, enfants des Lumières, des libéraux. J’ai mis un point d’interrogation à mon titre. Je pose une question. Je n’ai pas de réponse, je suis plutôt devant un problème. Et de taille.
Maintenant, comme disait un humoriste, la meilleure façon de résoudre les problèmes, c’est de ne pas les poser. Si vous voulez lire(*) du politiquement correct, vous pouvez aller sur d’autres sites berruyers, faux rebelles mais vrais soutiens de la petite bourgeoisie de gôche qui prépare son retour aux affaires. On peut comme dit Michéa, restreindre le débat politique à la question de savoir quels maîtres on doit choisir aux prochaines élections. Ca ne m’intéresse guère. Vous n’êtes pas obligée de me suivre. Mais je ne suis pas obligé de me plier à vos injonctions et de fréquenter les sentiers que vous jugez praticables.
(*) Lire seulement. Aucun forum n’est ouvert. C’est la meilleure façon de ne pas être contredit.
Contre la civilisation libérale, penser à la périphérie ?
- Eulalie
- 2 juin 2010 à 10:36
Bombix, je ne sous entendais nullement que vous viriez facho (je sais lire, et votre article n’a aucun relent fasciste) et je ne donnais aucune injonction, et je n’interdisais rien. Bon, mais je m’attendais à ce genre de réponse : je me retrouve classée dans l’intolérance, la "pensée unique", le censeur, à la recherche de sites "bien pensants".... ah oui, et faisant la "chasse aux sorcières" ; un peu simplette aussi en ne lisant que Wikipédia pour avoir quelques références et débattre avec des esprits libres et hautement cultivés de l’Agitateur. :-))
Ma désapprobation, je le répète, est que je trouve que la présentation de cet intellectuel d’extrême-droite, d’une extrême-droite, par le terme de "classé", laisse entendre qu’il subit ce classement et qu’il n’y est pour rien. Or, il l’a bien cherché non ? Créateur du Grece et d’Element, et y écrivant toujours, c’est pas rien non ?? C’est actif, c’est un choix.
Et je pense que De Benoist le fait exprès de se rapprocher de Michéa (que je ne connais pas) , de la décroissance (écologie : "la terre ne ment pas" ????) , du Mauss ( qui ont fini par l’éjecter, je crois ) car rien de mieux que semer le trouble, sans conflit, ne pas être clair, d’avancer déguisé pour faire circuler ses idées. N’est-ce pas une pratique assez commune des mouvements d’extrêmes-droite ? nier le fait qu’ils sont d’extrême-droite pour sembler fréquentables ? le FN ( dont de Benoist n’est pas) ne se déclare t-il pas également anticapitaliste auprès des " braves gens" ? quelle différence entre un intellectuel d’extrême-droite qui passe à France-Culture et une Marine Lepen qui s’adresse aux petites gens sur Tf1 et autres chaines populaires ? et Sarkozy, pareil.... (n’a t-il pas utiliser le même filon, " droite-gauche, c’est fini"
Alors, pour ma part, je ne vois pas en quoi c’est interessant de citer des mecs pareils, tout intellectuel qu’il est, leur esprit ne m’impressionne nullement, et je ne vois pas en quoi ils seraient utiles à remuer la bien-pensance, au nom de la liberté d’expression et de penser. (je crois avoir compris que desfois il passe à la télé. Je crois qu’il est passé chez Tadéi, l’emission "intellectuelle"....) De Benoist devient médiatique avec son bouquin sur une décroissance, dont je ne me rappelle plus le titre.
A part ça, je n’ai fait aucune "objection" à la question que vous posez. Mais bon courage à l’autodétermination du peuple, parce que avant de s’autodéterminer, faut savoir qui va venir manipuler à l’autodétermination et dans la périphérie ben ça grouille de bruns...
Contre la civilisation libérale, penser à la périphérie ?
- Eulalie
- 3 juin 2010 à 12:11
" Et si c’est Alain de Benoist, qui est d’extrême droite qui le dit, je devrais penser le contraire parce que je
suis de gauche ? L’âne berrichon que je serais ne s’y résout pas et persiste, malgré les injonctions, dans la "malpensée"*
J’avais omis ce passage. Monsieur Javerliat, ce n’est pas parce que j’ai voulu signaler précisément qu’Alain de Benoist est bel et bien d’extrême-droite (au cas où des lecteurs ne le sachent pas) et "pratique" l’extrême-droite dans sa pensée, que j’ai donné "injonctions" de penser le contraire que l’extrait que Bombix a mis dans son article. Quelque chose me chiffonne dans cette façon de présenter les choses : je dis "attention ! de Benoist est d’extrême-droite, il faut le savoir" et vous en tirez la conclusion que je donne ordre de ne pas penser comme l’extrait. C’est moi qui deviendrait l’autoritaire parce que je signale : "il faut savoir que A. de Benoist est d’extrême-droite et pas seulement "classé" par d’autres à l’extrême-droite".
Ensuite, chacun est libre de réfléchir à ce que ça peut avoir comme conséquences ou non sur l’extrait proposé par Bombix et sa confrontation à l’extrait de JC Michéa, bien évidemment.
PS : ça ne fait pas longtemps que j’ai entendu parler de cet Alain de Benoist, et pour plus de précisions voici l’appel à vigilance du site "décroissance.org" animé par Paul Ariès, Latouche je suppose, Vincent Cheynet, qui met en garde contre le site "décroissance.info". (où vous verrez que Paul Ariès est traité de stalinien parce qu’il n’a pas la même idée de décroissance que de Benoist et la dénonce, et tient absolument à bien signaler leur différence). Dénoncer le danger deviendrait-il alors de la délation, une injonction à " ne pas" ? du flicage ? de la "chasse aux sorcières" ( étonnante expression quand on sait ce qu’a été la chasse aux sorcières) . Comprenez bien que ne je viens pas faire de la pub pour la décroissance, j’explique comment j’ai connu ce type : et ça m’a fait peur.
Et ce n’est pas parce que "je" partagerais un même point de vue avec un ennemi contre quelquechose qui m’emmerde profondément comme le capitalisme par exemple, que cet ennemi deviendrait mon ami. Car si on pousse le bouchon plus loin que l’extrait proposé par Bombix, on s’apercevra certainement ou bout d’un moment que la critique du libéralisme de de Benoist ne va pas exactement dans le même sens que celle de Michéa.
Ensuite, peut-être vous me trouverez lourde, mais il est vrai que je ne prends pas ça à la légère : citer quelqu’un d’extrême-droite, être d’accord un passage d’un auteur de cette mouvance, à mon avis, ne doit pas se faire sans prendre quelques précautions, références, réflexions... et ça peut emmener loin, non ?
Contre la civilisation libérale, penser à la périphérie ?
- bombix
- 3 juin 2010 à 17:23
Ce que vous pratiquez s’appelle bien une chasse aux sorcières. D’abord vous essentialisez ADB, il « est » d’extrême droite, comme une cruche « est » une cruche ; ensuite vous vous insurgez parce qu’un cordon sanitaire n’est pas mis autour du personnage et de ses bouquins : les bibliothécaires sont-ils bien au courant (au passage, s’ils ne sont pas au courant des orientations idéologiques de ADB, ce sont de bien médiocres professionnels, mais c’est un autre débat). Puis, une fois le mal nommé et circonscrit, vient l’excommunication et l’éradication.
Il fut un temps où il existait un enfer dans les bibliothèques. Ce n’est pas ce que vous voulez rétablir par hasard, avec cette curieuse classification — qui à mon avis n’existe pas dans la Dewey — "écologie d’extrême droite" ; est-ce que d’ailleurs on trouve dans les bibliothèques les orientations politiques des auteurs ? Au final, doit-on brûler les livres de Heidegger, parce qu’il a appartenu jusqu’en 1945 au parti national-socialiste ; ceux de Mircéa Eliade parce qu’il avait des sympathie fascistes ; et Céline, qu’en faire ? etc. la liste risque d’être longue je vous préviens, va y avoir du boulot.
Une autre solution consiste à supposer le lecteur adulte, et pas si crétin qu’il ne soit lui-même capable de se faire une idée et séparer le bon grain de l’ivraie.
Autre chose : ADB est un écrivain. Il s’exprime dans des revues confidentielles, et dans des livres. La très grande masse des gens ne lit pas — elle se contente d’acheter parfois le prix Goncourt de l’année, le dernier livre de Dan Brown ou de Marc Levy pour la plage. Faites un tour à Cultura et essayez de trouver un bouquin d’ADB. Interrogez la base de données du réseau des bibliothèques de Bourges. Faites-nous part du résultat.
Vous voyez que notre bonne démocratie(*) n’a pas besoin de reconstituer l’enfer dans les bibliothèques. Les auteurs sulfureux, les critiques radicaux - de droite ou de gauche, ou qui ne se situent ni à droite ni à gauche parce que cette classification ne leur semble pas pertinente — elle les étouffe dans le silence.
Faites la même expérience avec ... je ne sais pas moi, Chomsky ?
Pour moi, le sujet d’inquiétude est ailleurs : si des auteurs d’une idéologie douteuse viennent à dire des choses intéressantes et pertinentes sur le monde dans lequel nous vivons, c’est que ce monde est devenu particulièrement angoissant et inquiétant — ce que je crois profondément. On peut casser tous les thermomètres, on ne fera toujours pas baisser la température du malade. Et je terminerai provisoirement en disant ceci : non seulement ce monde est inquiétant, mais est plus inquiétant encore le silence dans lequel toute une série de transformations sont en train de se faire, sans que quiconque soit capable d’articuler une critique pertinente audible, ou simplement faire un bilan des pertes, des régressions, des mutations. Quand aux perspectives d’action, n’en parlons même pas. Mais est-ce bien étonnant quand on a aucun outil pour simplement penser la situation ?
(*) Au fait, vous avez des nouvelles de Julien Coupat et de ses copains ? En face de « vrais terroristes », la démocratie sait se défendre ;-) et faire bloc, de Libération à Michèle Alliot-Marie.
Contre la civilisation libérale, penser à la périphérie ?
- bombix
- 7 juin 2010 à 11:51
Et je ne vois pas en quoi ce serait une richesse que de connaïtre ADB.
Parce que la culture est une richesse en général. Et que ceux qui ont en charge l’acquisition et la conservation du patrimoine culturel ont intérêt à ne pas être tout à fait ignorants. Ou alors ils se transforment en "techniciens de la documentation", et ils alimentent leur fond documentaire à l’aide de revues spécialisées où l’on a décidé pour eux, quelque part, ce qui est intéressant, ce qui ne l’est pas. Le prêt à penser d’usage.
Concernant ADB par exemple, je vous ai proposé une émission récente de France Culture. Dans cette émission, on se replonge dans l’atmosphère politique de la France de la fin des années 70, celle du giscardisme finissant, qui avait espéré un instant se refaire un lifting culturel avec les penseurs de la nouvelle droite. C’est une séquence historique intéressante. Il n’est jamais inutile de connaître son adversaire. Par exemple, quand Sarkozy déclare en 2007 : "Au fond, j’ai fait mienne l’analyse de Gramsci [philosophe marxiste] : le pouvoir se gagne par les idées. C’est la première fois qu’un homme de droite assume cette bataille-là ..." ce n’est pas vrai. Gagner les urnes en investissant le terrain des idées et de la culture : c’était précisément le but de l’opération durant le fameux "été de la nouvelle droite", ainsi que l’établit avec rigueur cette émission. Or on sait que cela s’est terminé par un fiasco électoral pour Giscard en 1981. Sarkozy aura-t-il appliqué avec succès une recette que Giscard avait manqué ? Quid de ces anciens giscardiens, hier sarkozystes à tout crin, aujourd’hui à nouveau centristes ? Virevoltage politique ou logique profonde encore que cachée ?
D’autre part, ADB n’est pas un simple adversaire politique. C’est un intellectuel. Quelqu’un qui produit des textes informés et raisonnés. Là, on est dans le domaine de l’élaboration intellectuelle et du débat d’idées (*), pas de l’action politique. Et on peut apprendre, même d’un intellectuel de droite, non libéral, ou critique du libéralisme.
Je vous propose par exemple en lien cette critique du libéralisme, d’une très bonne tenue intellectuelle, et à laquelle, personnellement, je n’ai rien à redire. Ce texte est informé, fort bien écrit, et d’une grande clarté pédagogique. Peu m’importe que celui qui l’a écrit soit classé à l’extrême droite par la bien pensance. Je m’en fous. Qu’importe ce qu’il veut lui, si en fin de compte, ce qu’il dit m’aide, moi, à y comprendre quelque chose.
Au fond qu’est-ce qu’il y a derrière cette passion triste d’interdire. J’ai trouvé une réponse ; justement chez JC Michéa. Elle me paraît tout à fait pertinente :
Dans la culture de gauche, (ou encore progressiste, ou encore moderniste) toute porte fermée constitue, par définition, une provocation intolérable et un crime contre l’esprit humain. C’est donc, de ce point de vue, un impératif catégorique que d’ouvrir, et de laisser ouvertes, toutes les portes existantes (même si elles donnent sur la voie et que le train est en marche). Tel est, en dernière instance, le fondement métaphysique de cette peur panique d’interdire quoi que ce soit, qui définit un si grand nombre d’éducateurs et de parents, qui, pour leur confort intellectuel, tiennent à tout prix à « rester de gauche ». Il convient naturellement d’ajouter que, selon le circuit classique des compensations de l’inconscient, cette peur d’interdire se transforme assez vite en besoin forcené d’interdire (par la pétition, la pression de la rue, le recours au tribunal etc.) tout ce qui n’est pas politiquement correct. On reconnaît ici la triste et contradictoire psychologie de ces nouvelles classes moyennes dont la Gauche moderne (une fois liquidé son enracinement populaire) est devenue le refuge politique de prédilection.
JC Michéa, L’enseignement de l’ignorance.
(*) Je sais bien que certains ici assimilent toute élaboration intellectuelle et tout débat d’idées à un concours d’urinoir. Au mot de culture, quand certains sortent leur révolver, d’autres dégrafent bien vite leur braguette et exhibent leur quéquette. C’est récurrent. Question de moyens, sans doute. Sans doute aussi, confondre pisser et penser leur procure-t-il l’immense avantage de faire prendre leurs propres mictions pour des idées. Les gens simples se contentent de peu, pensent-ils. Ajoutons que cet artiste, rebelle comme il se doit, qui brocarde avec une telle élégance Wittgenstein et Heidegger commet des traités de tarologie. Pour les gens simples, sans doute. Quand on doit sa prospérité aux progrès de l’imbecillité et de la crédulité, pourquoi faire l’apologie de l’intelligence et de la pensée critique ? Avec tous les beaufs de la terre, chions sur la culture ; mais aussi, dans le même temps, montons des projets culturels et partons à la pêche aux subventions. Il faut bien vivre.