CULTURE EN QUESTIONS

"Je ne suis pas très optimiste sur l’évolution de la société française ... "

Interview de Pierric Guittaut (première partie)
lundi 18 octobre 2010 à 18:50, par Mercure Galant

En allant à la rencontre de Pierric Guittaut, auteur de roman noir, on avance assurément en terrain miné. Dans ce premier roman, l’auteur de Beyrouth-sur-Loire plante son décor dans une ville moyenne du centre de la France rongée par une corruption qui semble toucher tous les milieux. Au delà de l’intrigue, il nous livre surtout une vision plutôt sombre de la France des années 2000 en abordant les problèmes du communautarisme et de la compromission. Des thèmes plutôt largement exploités jusqu’alors par l’extrême droite qui en a fait depuis bien des années déjà son cheval de bataille. Alors que doit-on penser de Pierric Guittaut qui explique vouloir se distancier de l’influence des maîtres français du genre, marqués plutôt à gauche depuis les années 70 ? Pour tenter d’y voir plus clair, l’Agitateur s’entretient avec lui sur son parcours et plonge (en apnée ?) dans l’univers de ce jeune romancier local.

"Je ne suis pas très optimiste sur l'évolution de la société française ... "

L’Agitateur : Pierric Guittaut pouvez-vous nous parler de votre parcours et de vos liens avec Bourges afin qu’on puisse un peu mieux vous situer et comprendre comment vous en êtes arrivé à l’écriture de ce roman ?

Pierric Guittaut : Je suis arrivé dans le Cher en 1997 pour effectuer mon service national civil à la station à la radio-astronomique de Nancay, en tant que personnel technique et scientifique. Pendant cette période j’avais déjà écrit un premier roman.

L’Agitateur : Vous l’avez fait publier ?

Pierric Guittaut : C’était un roman de jeunesse. Un roman historique, l’histoire étant une autre de mes passions. Il n’a pas été publié, à juste titre, car il y avait de grosses faiblesses… mais disons que j’avais fait la démarche d’écrire un roman complet que j’avais proposé à des éditeurs. L’histoire se déroulait pendant la guerre de sécession aux États-Unis. Un sujet qui n’est pas forcément très porteur en France. (rires)

L’Agitateur : Alors qu’avez-vous fait ensuite ?

Pierric Guittaut : Pendant mon service civil, j’avais un logement sur Bourges à la Chancellerie. Peu de temps après, alors que je cherchais du travail, j’ai répondu à une annonce qui cherchait un rédacteur pour le journal des quartiers nord. Je suis ensuite resté dans le milieu associatif pendant presque cinq ans en qualité d’emploi-jeune pour le comité des habitants qui éditait « Vivre ici ».J’étais alors à mi-temps. C’était malheureusement le cas de beaucoup d’emploi-jeunes subventionnés. Ce n’était pas évident de trouver des financements. Et peu après j’ai trouvé un poste à mi-temps complémentaire, pour faire du suivi scolaire. Du coup je me retrouvais à plein-temps dans deux associations au Hameau de la Fraternité. J’y suis resté jusqu’en mars 2003. Quand je suis parti, j’avais déjà déménagé des quartiers nord (en 2001 ou 2002). La période qui s’en est suivie a été un peu plus difficile car j’avais été quatre ans à la fac mais sans diplôme. Je ne me retrouvais qu’avec un bac général et la qualification des emploi-jeunes n’étaient pas très reconnu dans le milieu de travail. Quand j’étais à « Vivre ici », j’avais fait des piges pour la Nouvelle République pendant deux ans. Je m’étais proposé comme correspondant sur Bourges Nord car il n’y en avait pas. Je me suis rendu compte que je ne pourrai pas être embauché à la Nouvelle République car ils n’avaient pas non plus les financements pour créer des postes et c’était déjà un peu difficile pour eux à l’époque…

L’Agitateur : Auriez-vous été tenté par le journalisme ?

Pierric Guittaut : Ce qui me plaisait dans le journalisme c’était d’écrire. Je n’étais pas un très bon journaliste car j’étais un peu trop axé sur le style. J’étais plutôt intéressé par les chroniques, critiques, billets un peu acides. J’écrivais plus pour moi que pour les lecteurs du journal. On ne peut pas dire que j’avais la passion de transmettre l’information (rires). Mais on retrouve sans doute une partie de cette expérience dans Beyrouth sur Loire… Comme, j’avais écrit pas mal d’articles pour la NR, ajoutés à ceux de « Vivre ici », j’aurai probablement pu pérenniser cette expérience mais je n’ai pas fait l’effort de me bouger pour chercher ailleurs. Je ne voulais pas spécialement partir de Bourges et je n’avais finalement pas suffisamment la vocation.

L’Agitateur : Et après cette période consacrée au journalisme ?

Pierric Guittaut : J’ai fait des boulots alimentaires et puis un ami qui était graphiste chez Dexia à Vasselay m’a indiqué qu’on cherchait à recruter un rédacteur au service communication. J’ai donc été pendant un an concepteur rédacteur. Cela m’a remis dans l’écriture et j’ai vu que c’était quelque chose qui me plaisait vraiment. Je n’ai jamais fait d’école de journalisme. J’ai appris sur le tas. En tant que concepteur rédacteur, on est dans un schéma très cadré, c’est purement marketing. Il faut vendre. Ce n’est pas très créatif par contre on apprend des techniques et on apprend à être lu par beaucoup de gens. Lorsque le D.G. lit votre truc, il coupe toutes les parties qui vous semblaient les meilleures (rires). Il faut donc réécrire six ou sept fois ce qui est finalement une bonne école pour développer ses outils d’écrivain.

L’Agitateur : Comment vous êtes vous remotivé pour écrire à nouveau ?

Pierric Guittaut :J’avais écrit un recueil de nouvelles fantastiques qui n’a pas été publié non plus. J’avais difficilement digéré l’échec du premier qui était logique mais quand on est jeune on s’imagine toujours que les choses seront faciles… Cependant ça m’a remis dans le bain. J’avais fait lire à l’époque quelques-unes des nouvelles à des gens que je ne connaissais pas sur internet sur des espèces de petits ateliers littéraires en ligne. Certains m’ont signalé qu’en corrigeant deux ou trois choses c’était publiable. Cela m’a redonné confiance en moi d’autant plus que je ne les connaissais pas. Ils n’avaient pas de raison d’être spécialement complaisants vis-à-vis de ce que j’écrivais.

L’Agitateur : Comment avez-vous procédé pour essayer de vous faire publier ?

Pierric Guittaut : Pour le recueil de nouvelles fantastiques j’ai dû l’envoyer à quinze éditeurs. Déjà je m’étais renseigné pour connaître ceux qui publiait du Fantastique. C’était du fantastique traditionnel, ni science-fiction, ni fantaisie. Plutôt du Fantastique tel que que des auteurs comme Poe , Lovecraft ou Stephen King. En France il n’y a pas beaucoup d’écrivains qui pratiquent ce genre. C’était pour moi un moyen de me remettre en selle et de me faire plaisir. Et puis j’ai découvert le roman noir sur tard. Pour moi c’était un peu assimilé au roman policier et je n’avais pas spécialement d’atomes crochus avec Hercule Poirot ou Navarro… J’ai donc découvert le roman noir, notamment le roman noir américain et ça a été vraiment une vraie passion. J’étais en formation à l’AFPA car j’avais décidé de changer d’orientation professionnelle et je me suis retrouvé dix mois à Clermont-Ferrand dans le cadre d’une formation. J’en ai profité pour lire beaucoup de romans noirs, en moyenne deux ou trois par semaine. J’ai lu tous les grands classiques. J’ai donc découvert ce qu’était vraiment ce genre où l’intrigue policière passe un peu au second plan, au profit de la critique sociale. On y porte un regard sans concession sur la société, avec des personnages souvent déviants, avec des fins pas toujours très heureuses. On va explorer la noirceur humaine, c’est ce qui m’a plu. Je me suis dit alors que mon prochain projet d’écriture serait un roman noir.

L’Agitateur : Combien de temps s’est écoulé entre la découverte de cette nouvelle passion et votre… passage à l’acte ?

Pierric Guittaut : Une année à peu près… Bizarrement quand j’ai lu, j’ai constaté qu’il y avait beaucoup de grands maîtres américains ou étrangers mais qu’en revanche concernant le roman noir français moderne c’était un petit peu la Bérézina. Je ne trouvais pas de choses qui me plaisait. Il n’y avait pas le côté violent de l’école du Hard-Boiled des années 30 aux États-Unis. Je me suis donc dit que j’écrirais bien le roman que j’aurais aimé lire en fait. (rires) J’ai repris le début d’un projet d’écriture qui était une histoire plutôt fantastique. J’ai éliminé 99% de la trame et j’ai juste gardé un personnage de policier…

L’Agitateur : Michel Jeddoun ?

Pierric Guittaut : Oui cela a donné Michel Jeddoun qui était juste un figurant dans les trente premières pages de l’autre manuscrit. Il y avait une intervention de police et un officier de la brigade anti-criminalité… et je ne sais pas trop pourquoi ce personnage s’est retrouvé propulsé dans le projet d’écriture suivant. Voilà comment j’en suis arrivé au roman noir. Sinon aujourd’hui je travaille finalement dans un bureau d’étude pour l’industrie.

L’Agitateur : Quand avez-vous commencé la rédaction de Beyrouth-sur-Loire ?

Pierric Guittaut : C’était pendant l’hiver 2007-2008. Quand j’étais à l’AFPA j’ai commencé à écrire, mais 70% du texte a été rédigé entre janvier et juin 2009 . C’est à cette période que je m’y suis remis vraiment. J’ai repris le début et ai réalisé la grosse phase d’écriture. Le manuscrit a été terminé en juillet. Fin août début septembre, j’ai commencé à envoyer à des éditeurs…

L’Agitateur : A-t-il fallu procéder à des retouches ?

Pierric Guittaut : Non. Je m’attendais à ce qu’il y ait éventuellement des demandes de réécriture mais ça n’a pas été le cas.

L’Agitateur : À combien d’exemplaires a-t-il été tiré ?

Pierric Guittaut : 1500 exemplaires.

L’Agitateur : Comment avez-vous choisi le lieu et le titre de votre histoire ? Nommer ce roman Beyrouth-sur-Loire, c’est un peu particulier quand même…

Pierric Guittaut : Pour ce qui concerne le lieu, je voulais une ville qui symbolise la France d’aujourd’hui et qui ne concerne pas uniquement les grands ensembles parisiens. Je voulais que le lecteur lambda de Nancy ou de Metz puisse s’y reconnaître. Si l’on parle des quartiers qui ont atteint une certaine notoriété mais qui ne concerne qu’une infime partie de la population française. Je voulais que beaucoup de gens puissent s’y retrouver. Donc une ville plutôt moyenne et qui soit proche de la Loire car c’est le cœur géographique et historique de la France. Si j’avais appelé ce livre Beyrouth- sur- Auron , les gens n’auraient pas su de quoi je parlais en dehors du microcosme du Cher. Par contre la Loire… C’était un titre de travail au départ. C’est un peu une tradition dans le roman noir et le polar de mettre des titres soit avec des jeux de mots, soit un peu choc. Ce n’est pas franchement un roman comique, j’ai donc essayé de trouver un titre plutôt dans la tradition « choc ». C’est resté tout au long du manuscrit. Puis l’éditeur qui avait éventuellement la possibilité de changer le titre ne l’a pas fait. C’est un peu une référence à Jeddoun le libanais et aussi un peu au processus communautariste et de libanisation qui est évoqué en filigrane dans le roman.

L’Agitateur : Vous voulez dire un processus de guerre civile ?

Pierric Guittaut : Pas encore tout à fait mais on sent un début de crispation communautaire qui est un des sujets de la société française actuelle. J’ai donc trouvé que le titre synthétisait plusieurs choses à la fois et finalement il est resté. Et puis la Loire car je voulais que ça se passe dans le Centre ; c’est mon univers je ne vais pas le nier. S’il avait fallu écrire sur des villes que je ne connais pas du tout cela aurait été plus difficile. Ici on peut dire que ça peut être Tours, Orléans, Châteauroux, Bourges ou Nevers… C’est un mélange de tout ça et puis tout le monde se rappelle de la Loire depuis les cours de l’école primaire. Ça parle à tous les Français, même si on ne sait pas trop où c’est exactement. C’est aussi une ville fictive car c’est une réalité alternative. Tout n’est pas aussi noir que ça car cette ville concentre beaucoup de handicaps à tous les niveaux. (rires)

L’Agitateur : Concernant les rapports entre vos personnages. Vous avez fonctionné par couples : les deux flics, Michel Jeddoun et Antoine Carpentel. Les deux journalistes Philippe Rubert et Gaëlle Le Floc’h. On ne peut pas dire qu’il y ait un personnage pour lequel on éprouve de la sympathie parmi tous ceux là…

Pierric Guittaut : Ah ça non ! (rires)

L’Agitateur : Vous avez insisté sur les rapports qui se nouent entre les différents personnages et vous avez dépeint les jeux de pouvoir au sein de cette ville de province. Comment l’inspiration vous est-elle venue ? Est-ce complètement imaginaire ?

Pierric Guittaut : L’inspiration est plus dans l’atmosphère ou dans l’esprit. Les personnages et les événements sont fictifs. Mais ce sont des attitudes qui ont pu me marquer, que j’ai synthétisées, qu’on retrouve par-ci par-là.

L’Agitateur : Vous avez expliqué que toute ressemblance entre cette ville fictive et Bourges serait fortuite mais on peut relever quand même quelques allusions ou clins d’œil…

Pierric Guittaut : Bien sûr il y a des clins d’œil locaux à qui veut ou à qui sait les voir, mais l’objectif du roman n’était pas de parler de Bourges. Cela relève un peu de l’esprit de clocher. Ici je voulais plutôt parler des problèmes sociaux de la France en général.

L’Agitateur : L’aspect original de cette histoire, c’est que l’un des personnages, Michel Jeddoun, est un ancien milicien des Forces Libanaises. Pourquoi ce choix ?

Pierric Guittaut : Tout d’abord la communauté libanaise France est assez importante (peut-être pas dans la région centre mais sur la région parisienne). Souvenez -vous du Général Aoun qui a longtemps été en exil en France. Il ne faut pas non plus oublier que le Français au Liban est toujours une langue officielle. La France est donc un choix naturel de refuge pour ceux qui fuient ou qui quittent tout simplement le Liban pour une raison X ou Y.

L’Agitateur : Mais qu’est-ce qui a fait que vous ayez plus particulièrement choisi cet angle de vue et ce pan d’histoire ?

Pierric Guittaut : Je me suis beaucoup intéressé au conflit libanais. J’ai beaucoup étudié tout seul dans mon coin avant d’aller au Liban pendant un mois durant l’hiver 2004, un an avant que les Syriens ne partent… Mais je ne sais pas trop pourquoi avoir choisi ce personnage de Michel Djeddoun. Ce n’est pas un héros car c’est un personnage monolithique. On ne s’attend pas à ce qu’il change beaucoup.

L’Agitateur : Il donne l’impression d’être le plus intègre de vos personnages.

Pierric Guittaut : Oui il est intègre mais on se dit qu’il ne va pas évoluer beaucoup. Il ne va pas remettre en cause ses convictions, du coup ce n’est pas un personnage forcément très intéressant. Chez lui il n’y a pas beaucoup de place au doute. Soi il est avec, soi il est contre les gens et il ne va pas se poser énormément de questions. Depuis trente ou quarante ans, il y a une tradition dans le roman noir français qui est d’être très ancré à l’extrême gauche alors je m’inscris en faux. Ce personnage à son arrivée en France a même été proche du Front National. C’était intéressant de jouer là-dessus car cela donnait l’occasion de mettre en scène une petite joute avec la journaliste qui représente plutôt la gauche moderne, altermondialiste, sensibilisée sur les problèmes d’écologie même si elle n’est pas aussi structurée que d’autres dans l’histoire comme le rédacteur en chef Philippe Rubert. Malgré cette opposition, Djeddoun et Le Floc’h se retrouvent à collaborer. Ce personnage a ses ambiguïtés mais il m’intéressait pour ce rôle de flic.

L’Agitateur : C’est aussi apparemment celui qui a le moins d’accointances avec le milieu des petits notables provinciaux que vous décrivez. Il est le seul qui puisse creuser cette affaire car aucun intérêt ne risque de le freiner.

Pierric Guittaut : Peut-être parce que c’est un grand solitaire qui traîne son histoire un peu comme un boulet. Il s’est construit un mur autour de lui. Ce n’est pas un monstre de chaleur cherchant à nouer des amitiés. Finalement sa vie personnelle est un peu un naufrage. Seul sur son travail aussi dans lequel il s’investit entièrement. Donc de par son histoire et sa singularité, c’était peut-être effectivement le seul qui allait finalement pouvoir mettre le nez dans cette histoire dans laquelle beaucoup d’intérêts se recoupent.

L’Agitateur : Les destins de certains jeunes issus des quartiers nord se trouvent mêlés à celui de membres des milieux associatif et politique. Ces rapports ne sont pas sans conséquence, il va y avoir des victimes…

Pierric Guittaut : Oui, l’intrigue est d’ailleurs secondaire car dès le premier chapitre, on apprend ce qui se trame. Ces jeunes ne sont pas forcément très intéressants au départ mais ils deviennent à leur tour des victimes. Pas des victimes au sens social du terme comme la gauche l’entend souvent, mais des victimes du manque de considération générale. Le premier meurtre n’émeut pas d’ailleurs pas grand monde. Des journalistes se permettent des blagues racistes alors que son cadavre est à peine refroidi. Même s’il s’agissait de quatre petites frappes de la cité, leur sort n’est pas très enviable. Il paye au prix fort la vengeance d’un politicien archi-corrompu et qui est quand même sur une dérive fascisante assez prononcée (rires) mais ils sont aussi victimes d’être utilisés par la gauche. Mais ce ne sont pas des victimes au sens noble du terme car ils ont été des bourreaux auparavant.

L’Agitateur : Aucun personnage n’est vraiment sympathique dans votre histoire. D’ailleurs votre roman est assez pessimiste si l’on en juge par les rapports qui s’établissent entre vos personnages.

Pierric Guittaut : Je ne suis pas très optimiste sur l’évolution de la société française aujourd’hui malheureusement. J’ai des enfants en bas-âge et je m’inquiète beaucoup pour la France qu’on va leur laisser dans vingt ans. Aujourd’hui on n’en parle pas assez. Le roman noir est une façon très singulière et très anecdotique d’en parler. Mais les grands problèmes de société devraient permettre à tous les français de se retrouver autour d’une table pour en parler. On va droit dans un mur et certains disent « Non je ne regarde pas ! », et d’autres disent « On accélère, on va traverser le mur ! » alors que ce mur fait peut-être cinq mètres d’épaisseur… On doit descendre de cette voiture folle, réfléchir et se demander s’il n’existe pas un autre itinéraire. Je sais que des gens réagissent mal à cela. Certains m’ont dit « Oh là là ton roman, la politique, les banlieues… on en a assez à la télé tous les jours ! »

L’Agitateur : Pourquoi pensez-vous que les gens ne souhaitent pas aborder ce sujet ?

Pierric Guittaut : Parce que les gens ont peur je crois…On ne sait plus comment parler de ces problématiques. De plus, on est dans une période ou tout fait polémique. Un film, une pièce de théâtre, un mot dit à la télé, on ne sait pas trop pourquoi… C’est tout de suite monté en épingle et on se dit que cette volonté de systématiquement tout taire et lisser le discours c’est parce que derrière beaucoup de choses vont mal et on sent que plus ça va mal moins il faut en parler ; ce qui est tout le contraire de ce qu’il faudrait faire selon moi. C’est comme la réforme des retraites. Au lieu de se dire voilà, on se met tous autour de la table car c’est quand même issu d’un pacte national à la fin de la seconde guerre mondiale porté par le Conseil National de la Résistance, on se retrouve avec des gens avec une vision partisane. Il faudrait que tous les partis politiques de France se rassemblent sur cette question car c’est l’intérêt supérieur de la Nation qui est en jeu. Il faut fait une réforme on le sait mais qui soit la plus juste et la plus équitable pour tous les Français. Mais les guerres de chapelles (et là c’est clairement un enjeu pour la campagne présidentielle) conduisent à un traitement lamentable de cette question qui est bradée au prix de quelques intérêts d’épiciers à court terme avec un quinquennat qui ne permet plus de gouverner. Après deux ans et demi de pouvoir, on prépare la prochaine élection. On gouverne deux ans sur un mandat de cinq ans, pour le reste on fait de la politique politicienne et on botte en touche tous les sujets de fond ou épineux.

L’Agitateur : Que pensez-vous personnellement de la question du communautarisme. Peut-on selon vous la résoudre par le dialogue ?

Pierric Guittaut : Oui évidemment. J’espère ! Sinon cela voudrait dire qu’on ne la résoudrait que dans la violence. Et ce serait une communauté qui l’emporterait sur un rapport de force. Ce serait triste pour la France et pour ce qu’elle a été autrefois. Mais il ne faut pas non plus s’accrocher à l’image passéiste d’une république totalement laïque, jacobine et républicaine que l’on transmettait encore quand j’étais élève à l’école primaire. Il faut sans doute faire des adaptations au monde moderne qui n’est plus celui d’il y a cinquante ans, mais il y a aussi des choses sur lesquelles il ne faut pas transiger. Ce sujet ne doit pas être abordé par des biais détournés, tape à l’œil et fallacieux. Il y a une vraie question : la place des différentes communautés dans la France de demain. C’est une question majeure, capitale pour la société française dans dix ou vingt ans. Si on laisse faire uniquement ce rapport de forces avec ceux qui manieront le mieux les médias, ceux qui feront le mieux de l’agite-propagande ou ceux qui feront voir des événements violents à récupérer pour tirer les couvertures à soi… C’est pour cela que je m’inquiète, et pour mes enfants qui auront alors 25 ans.

Beyrouth-sur- Loire, Editions Papier Libre, juillet 2010, 234 pages.

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