Editorial Novembre 2010

Une mémoire pour les cons

lundi 1er novembre 2010 à 13:51, par Mister K

« La politique c’est une affaire de tripes, c’est pas une affaire de tête, c’est pour ça que moi quand je fais une campagne, je ne la fais jamais pour les gens intelligents. Des gens intelligents, il y en a 5 à 6 %, il y en a 3 % avec moi et 3 % contre, je change rien du tout. Donc je fais campagne auprès des cons et là je ramasse des voix en masse ».

En reprenant Gainsbourg on peut dire que si il y a eu un requiem le 27 Octobre 2010, jour des obsèques de Georges Frêche auteur de cette citation, ce n’était donc pas un requiem pour un con mais bien pour des cons.

Alors évidemment, cette phrase de Georges Frêche, il n’y aurait pas grand monde pour l’assumer, surtout bien sûr parmi le personnel politique de notre beau pays. Pourtant, concrètement, c’est bien ce que beaucoup d’entre eux font : ils prennent les citoyens-électeurs pour des cons. Pour le prouver, on pourrait multiplier les exemples. Ne serait-ce qu’au niveau local par exemple où Serge Lepeltier promet en 2008 de développer la démocratie locale et fait exactement le contraire en Octobre 2010 où il fait évacuer le conseil municipal en ne laissant pas, à l’instar de son collègue Alain Tanton de Bourges Plus, s’exprimer un porte parole des manifestants. Concernant Serge Lepeltier, on pourrait aussi parler des immeubles d’Avaricum qui ne devaient pas être détruits ou du TGV à Bourges vendu comme un acquis en 2008 alors que des doutes subsistent toujours fin 2010. Au niveau national, c’est d’actualité, on pourrait parler de Sarkozy qui ne devait pas toucher à la retraite à 60 ans ou qui ne devait pas privatiser Gaz de France par exemple.

Bref, après le vote, devant le foutage de gueule de nos élus petits ou grands, le citoyen-électeur se trouve démuni. D’autant qu’on le renvoie toujours à la légitimité de l’élection. Tant qu’à nous prendre pour des cons, autant le faire jusqu’au bout.

Pour éviter ce schéma classique de l’électeur trompé, une des solutions possible serait certainement de revoir les obligations des élus qui pourraient être tenus par un contrat avec les électeurs. Tout ce qui serait hors cadre ou contraire à ce qui est écrit dans le contrat étant alors soumis à l’approbation des électeurs. Dans un tel schéma, Sarkozy qui avait promis de préserver la retraite à 60 ans aurait été obligé de soumettre sa nouvelle proposition aux électeurs ou d’attendre 2012. Dans ce cadre également, l’opposition ne pourrait plus se permettre de s’opposer un temps puis rentrer dans le rang une fois revenue au pouvoir. Le Parti Socialiste par exemple, devrait écrire noir sur blanc ses propositions pour les retraites et s’y tenir le moment venu.

En attendant des progrès démocratiques dans notre belle République, comment faire en sorte, qu’au minimum, les élus qui n’ont pas respecté leurs promesses ne soient pas réélus aveuglément par les électeurs, qui, c’est connu, ont la mémoire courte ? Certainement en faisant jouer à plein la mémoire médiatique. Jusqu’à récemment, cette mémoire médiatique était surtout entretenue par les journalistes qui ressortaient opportunément les vieux dossiers lors des périodes électorales. Mais il faut bien reconnaître que la masse de travail sur plusieurs années est immense et que, les formats papiers ou radio-télévisés ne permettent pas d’être complets et systématiques. Désormais, la mémoire illimitée d’internet et la volonté de milliers d’internautes peut permettre de se rapprocher de cet objectif.

D’où l’intérêt des webzines, des blogs et des journaux en ligne qui permettent de garder une trace des évènements sur la durée. Et à son petit niveau, c’est ce que l’Agitateur essaie de faire, entre autres choses, au niveau local : participer à l’écriture d’une mémoire collective. Plus nous serons nombreux à y participer, plus les points de vue seront divers, plus le nombre de sujets traités sera important et plus l’Agitateur sera utile pour tous, utile pour le débat et les choix démocratiques. Sur internet, le droit à l’oubli ne doit pas éclipser le devoir de mémoire autour des prises de position publiques. Dotés d’une mémoire exploitable par tous, il sera de plus en plus difficile de prendre les citoyens pour des cons. Du moins, c’est ce que l’on peut espérer.


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commentaires
Une mémoire pour les cons - bombix - 2 novembre 2010 à 09:52

« Pensez-vous qu’un remaniement qui infléchirait la posture politique vers plus d’apaisement suffirait à balayer les critiques envers la politique menée ces trois dernières années ? Les Français ont-ils réellement des prédispositions à l’amnésie ?

 Deux types de réponse sur cette question : je suis frappée de voir à quel point des périodes politiques peuvent être très vite oubliées. Je prends un exemple : à la fin du gouvernement Raffarin, sous Jacques Chirac, on avait l’impression d’une fin de règne. L’arrivée de Dominique de Villepin a changé la donne, du moins dans un premier temps. Souvenez-vous : on ne parlait plus que des 100 jours, de la France qu’il fallait changer à grande vitesse. Une sorte de renouveau s’est produit jusqu’à ce qu’éclate l’affaire du contrat première embauche.

On ne peut donc exclure que M. Sarkozy parvienne à changer de séquence politique et à faire oublier la brutalité liée à la réforme des retraites.

Mais ses cartouches sont faibles : il n’y a plus d’argent dans les caisses, la conjoncture mondiale n’est guère porteuse. Tout va dépendre du discours choisi par le président de la République. Dans la mesure où il est candidat à sa réélection, la seule façon pour lui de s’en sortir est d’enjamber les dix-huit mois qui restent et de commencer à énoncer un projet présidentiel.

Il retrouverait alors le temps qui lui manque pour ébaucher un projet à long terme et refixer un cap. »

(Source : Le Monde)

Sur l’édito, deux "critiques" :

1. Je me méfie de la thématique de la mémoire, et plus encore du "devoir de mémoire". A la mémoire, partielle, subjective, affective je préfère l’histoire, construite, médiate, qui essaie de reconstruire une totalité qui seule ouvre sur le sens. En écrivant dans l’Agitateur, nous sommes, comme les autres, le nez dans le guidon, aveugles à notre présent. Je m’en suis aperçu avec le TGV. C’est seulement après les mensonges de Lepeltier que la question m’est apparue dans toute son ampleur et sa complexité.
Alors bien sûr internet est une machine enregistreuse et accessible, et une formidable ressource documentaire. Mais cette machine a ses lacunes, et parfois des lacunes fabriquées. Les blogs de Lepeltier et Félix ont disparu après leur campagne ? Hasard ? Sûrement pas ...

2. Ma deuxième réflexion concerne le rôle de l’information et de la connaissance dans les choix politiques des gens. La plupart pensent qq chose, et cherchent dans l’information ce qui confirme leur choix initiaux. L’opinion, la doxa pour parler comme les savants est reine. Internet n’y changera rien. Il me semble par exemple que sur la récente affaire des retraites, les médias n’ont pas vraiment jouer leur rôle d’information. D’une part, parce que comme en 2005, la plupart ont adopté l’idéologie du pouvoir (et je ne parle pas que de TF1 ; c’est très clair par exemple pour un journal comme Le Monde) ; mais à la différence de 2005, il ne me semble pas qu’internet ait constitué un contre pouvoir convainquant. On a pas vu par exemple l’émergence d’un phénomène comme le site d’Etienne Chouard. Pourtant le dossier ne me semblait pas plus technique que le dossier TCE. Bref, avec le temps, internet me semble de plus en plus une formidable chambre d’échos de l’opinion, et comme l’opinion versatile, contradictoire, lacunaire.

Il y a donc l’outil, l’usage qu’on peut en faire, et la volonté/capacité d’en faire bon usage. Les technophiles me semblent parfois oublieux de ces trois/quatre registres d’appréhension du phénomène internet dans le rôle qu’il peut avoir dans le champ politique. A cela s’ajoute une caractéristique propre au net : la pollution informative, la masse ingérable des données (et cela va en s’amplifiant). Là c’est la puissance de l’outil qui fait obstacle. Le problème pour nous n’est plus d’accéder mais de trier. Ce qui ramène à la première question. Toute mémoire est élective et donc sélective. Il n’y a pas de mémoire sans tri, sans élection de ce qui est significatif et de ce qui ne l’est pas. Ce n’est pas un problème de machines. C’est affaire d’éducation et de culture.


Une mémoire pour les cons - Mister K - 2 novembre 2010 à  15:42

Je suis globalement d’accord avec tes remarques.
Sur le premier point, je peux simplement dire que quand le citoyen va voter, l’histoire n’est pas faite. L’électeur doit composer avec des histoires qu’on lui propose et se dépatouiller avec. Dans ce cadre, internet est simplement un outil supplémentaire, un outil puissant doté d’une mémoire potentiellement redoutable. Mais comme avec les journaux, la radio ou la télévision, il faut multiplier les sources, les diversifier, savoir décrypter afin de se faire un avis.

Sur le second point, concernant ton exemple, je dirai que le TCE et la réforme des retraites sont deux cas différents. Dans le premier cas, il fallait gagner la bataille de l’opinion et convaincre des électeurs ; internet était alors un outil idéal dans la mesure ou les grands médias ne laissaient pas, au moins dans un premier temps, la place suffisante aux partisans du non. Dans le second cas, celui des retraites, la bataille de l’opinion était gagnée d’avance, il fallait convaincre le pouvoir et le legislateur. La rue est alors, en dehors des élections, le seul moyen de se faire potentiellement entendre...

Sinon, je suis parfaitement d’accord avec ta conclusion. Le bon usage d’un outils comme internet est affaire d’éducation et de culture. Et cela tombe bien, ce sont deux choses qui peuvent se transmettre...y compris par internet. D’ailleurs, c’était bien l’idée de cet édito, essayer de convaincre, ceux que Frêche appellait "les cons", c’est à dire la masse des électeurs, qu’ils peuvent utiliser internet comme un outil parmi d’autres, outil qui a l’avantage d’avoir une mémoire illimitée ou presque...mais il faut effectivement utiliser son esprit critique, essayer de prendre du recul, recouper les informations et trier. Tout cela afin d’éviter la fameuse amnésie évoquée tout au début de ton message.

Internet est comme tout outil, pour qu’il soit utile il faut s’en servir. Et s’il l’on s’en sert, il faut savoir s’en servir. Mais internet seul, sans éducation et sans culture, ne fait effectivement pas de miracles.

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Une mémoire pour les cons - bombix - 2 novembre 2010 à  18:34

Dans le premier cas, il fallait gagner la bataille de l’opinion et convaincre des électeurs ; internet était alors un outil idéal dans la mesure ou les grands médias ne laissaient pas, au moins dans un premier temps, la place suffisante aux partisans du non. Dans le second cas, celui des retraites, la bataille de l’opinion était gagnée d’avance, il fallait convaincre le pouvoir et le legislateur.

ça pose la grande question des rapports entre légitimité et légalité. La réforme des retraites est passée dans la légalité, est-elle pour autant légitime, eu égard à l’ampleur des protestations et à leur durée ? Si la Constitution accorde le droit de grève et le droit de manifester, à quoi servent des droits qui n’ont plus d’effets d’aucune sorte quand on les fait valoir ?
D’autant que le pouvoir s’arroge le droit de passer outre la légalité d’une décision souveraine après consultation des citoyens quand le résultat du scrutin ne le satisfait pas, comme on l’a vu avec le Traité de Lisbonne et le non au TCE.

Je pense quand même que l’opposition aurait pu être encore plus forte si les gens avaient vraiment été informés des enjeux.

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