Le progrès social à la mode sarkozyste

lundi 1er novembre 2010 à 09:14, par bombix

Un différend a opposé F. Chérèque — secrétaire général de la CFDT — au ministre de l’industrie C. Estrosi pendant l’émission d’Yves Calvi, Mots Croisés, le 25 octobre. Il portait sur l’âge de départ à la retraite des travailleurs ayant commencé leur carrière avant 18 ans. L’hebdomadaire Marianne a brocardé le ministre, persiflant qu’il ne connaissait pas son dossier. Qu’en est-il ?
Avec la réforme Sarkozy-Woerth, les ouvriers devront cotiser … 44 ans (18-62 ans) pour bénéficier d’une retraite à taux plein. Excusez du peu ! Quid cependant de ceux qui ont commencé plus tôt ? Estrosi soutiendra pendant l’émission qu’ils pourront partir à 60 ans à taux plein. Chérèque démentira. Il avait obtenu dit-il, pour les moins de 16 ans, en 2003, une durée de cotisation de 42 ans. Et Parisot de voler bientôt au secours de Chérèque, tandis que Calvi est traversé par une illumination : un ministre peut mentir !

Y a-t-il eu mensonge finalement, et sur quoi porte-t-il ? Estrosi se fend d’un courrier à Marianne pour indiquer — et il a raison — qu’il n’a pas commis d’erreur en exposant le contenu de la réforme. En effet, la mesure d’exemption a bel et bien été reconduite dans la nouvelle loi, et étendue à la tranche 16/18 ans. Au final, les ouvriers qui ont commencé de bosser avant 18 ans pourront partir avant 62 ans, dès 60 ans, « à partir du moment où ils ont cotisé le nombre suffisant de trimestres. » Ils devaient cotiser 42 ans avant la réforme 2010, ils cotiseront 44 ans avec la réforme ! Comme les copains [1]. Pas de jaloux. Et le ministre de conclure : « Cette mesure constitue […] une garantie certaine et un réel progrès (sic !) par rapport à la situation antérieure. »

Où est l’arnaque ? Elle est dans la présentation du passage de la limite de 16 à 18 ans comme un progrès, alors que la justice aurait voulu que l’on reconsidère, dans le nouveau système, la situation des 18/20 ans. Quant aux 16/18 ans, on aurait dû leur accorder le départ dès 58 ans, après 42 annuités comme tout le monde. Sans ces dispositions, le recul de l’âge de départ à la retraite est, mathématiquement, une injustice pour les ouvriers qui rentrent plus tôt dans le monde du travail.

Y a pas à dire, c’est beau le progrès social à la mode sarkozyste. Non ? Surtout si l’on songe que la durée moyenne réelle pendant laquelle les salariés cotisent (chiffre INSEE 2008), avec la montée en flèche de la précarité et du chômage, est de 36,5 annuités. Ce qui signifie, concrètement, que pour toucher leurs retraites à taux plein (et quelles retraites !, vu le niveau moyen des salaires) les ouvriers - même ceux qui auront commencé à travailler avant 18 ans — ont de fortes chances d’être encore au boulot à 63, 64, 65 voire 67 ans. Si l’on veut encore d’eux.
En clair, à partir de 62 ans, ils auront le choix, pour la plupart, entre vivre dans la misère ou mourir au travail.

Décidément, c’est beau et c’est impressionnant le progrès social à la mode sarkozyste. Non ?

Epilogue : Marianne ne dénonce pas cette réalité. L’hebdomadaire à l’antisarkozysme ronflant reconnait, simplement, avoir brocardé un peu vite le ministre, et publie son droit de réponse sans autre commentaire. C’est qu’il est plus facile (et plus confortable ?) de rire d’un ministre à la faveur du brouhaha d’une émission de télé, que de démonter le système qu’il porte ...

[1Mais pas comme les cadres dont on n’exigera que 41 ans et un trimestre.


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commentaires
Réforme : ce que le Figaro ne montre pas - bombix - 2 novembre 2010 à 19:14

Le Figaro propose un dossier sur la réforme des retraites. Dans un article intitulé Retraites : ce que la réforme va changer, le journal propose un tableau en flash pour résumer l’essentiel de ce qu’il faut retenir de la réforme des retraites. Observez, promenez votre souris, faites apparaître les bulles : vous ne parviendrez pas à voir clairement ce que le ministre Estrosi avait lui-même tellement de difficulté à reconnaître : si vous êtes ouvrier, on ne vous accordera votre retraite qu’après 44 annuités. A noter également que la "pénibilité" est assimilée à "l’incapacité". C’est pas mal non plus, ça.

Plus que jamais, la citation de Noam Chomsky à l’excellent "Petit cours d’autodéfense intellectuelle" de N. Baillargeon est d’actualité. On remplacera simplement le L.A. Times par Le Figaro, ou Le Monde ... :

« La première chose qu’il faut faire, c’est prendre soin de votre cerveau. La deuxième est de vous extraire de tout ce système [d’endoctrinement]. Il vient alors un moment où ça devient un réflexe de lire la première page du L.A. Times en y recensant les mensonges et les distorsions, un réflexe de replacer tout cela dans une sorte de cadre rationnel. Pour y arriver, vous devez encore reconnaître que l’État, les corporations, les médias et ainsi de suite vous considèrent comme un ennemi : vous devez donc apprendre à vous défendre. Si nous avions un vrai système d’éducation, on y donnerait des cours d’autodéfense intellectuelle. »


Réforme : ce que le Figaro ne montre pas - bombix - 2 novembre 2010 à  19:15

Oup’s ...

en exergue de l’excellent ...

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Retraites par capitalisation, c’est parti ! - bombix - 2 novembre 2010 à 12:47

Sarkozy et son gouvernement n’ont pas cessé de nous vendre leur réforme comme la tentative désespérée et nécessaire pour sauver le système de retraites à la française, par répartition. Mensonge éhonté. Grâce à des amendements de dernières minutes, le système par capitalisation s’installe en force dans le modèle français avec la présente réforme.
Ownipolitics revient sur la face cachée de la réforme. A lire absolument.

Tiens, tiens ... : « Du côté des syndicats, la posture est difficile à tenir : bien qu’opposés au principe de retraite par capitalisation, nombreux sont les délégués du personnel qui signent les accords Perco en échange de la promesse de la direction de verser de l’argent en complément de celui amené par les salariés, comme chez GSK, exemple présenté dans une enquête du site Miroir social, où le laboratoire proposait d’abonder à 300% les sommes apportées par les salariés. La confusion est entretenue par les termes employés : cette « épargne retraite », présentée comme un simple placement, fonctionne bel et bien selon le principe des « fonds de pension » et de ce fait, rogne sur le système par répartition. »


Retraites par capitalisation, c’est parti ! - Eulalie - 2 novembre 2010 à  18:43

Extrait de "Le point de fusion des retraites", par Frédéric Lordon, dans Les Blogs du Diplo :

"Là où les travaux statistiques mesurent les coûts des fonds de pension en proportion du total de leurs actifs, donc compte-tenu de tous les effets de capitalisation, pour aboutir à des ratios très modestes entre 0,75% et 1,5%, la BBC s’est livrée à une enquête beaucoup plus rustique mais combien plus parlante en rapportant les fees prélevés aux sommes versées par les épargnants. S’ils allaient y voir de plus près, les pauvres pensionnés britanniques en auraient les yeux qui dégringolent des orbites à découvrir les proportions phénoménales dans lesquelles se sucrent les principaux gestionnaires de leurs fonds, le pompon revenant à HSBC qui pour 40 années de versements mensuels de 200£, soit un total de 120.000£ (96.000£ plus les avantages fiscaux) se sert sans mollir une commission de… 99.900£, soit un modeste 80% [13] ! L’occasion pourrait incidemment être saisie d’une comparaison avec l’extraordinaire efficacité-coût de la répartition, pourtant réputée ringarde à souhait et promise à être bazardée : c’est que, se passant de l’accumulation financière en organisant directement les transferts redistributifs de la solidarité intergénérationnelle, elle ne supporte que des coûts administratifs proportionnellement très modérés et n’a nul besoin d’engraisser la cohorte des consultants, des stratégistes, des asset managers, des brokers, etc., et toute cette chaîne du parasitisme financier qui vit d’être directement branché sur la fructification de l’épargne."

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Retraites par capitalisation, c’est parti ! - Eulalie - 2 novembre 2010 à  19:27

Le syndicat Solidaires, manifestement désinformé sur les intentions du gouvernement, écrit le 22 avril 2010, dans une de ses fiches techniques sur les retraites, sur la retraite par point, compte notionnel, capitalisation :

"Le changement de système ne semble pas pour tout de suite

La COR signale qu’un changement de système s’avère complexe et demande une longue préparation incompatible avec la nécessité d’agir rapidement.

Pour le COR, changer de système impose de modifier par exemple tous les systèmes informatiques, d’assurer des formations importantes aux personnels… et ce dans tous les cas :

 un basculement total imposerait un pic de travail pour transformer les acquis de chaque personne en points ou capital virtuel ;
 une transition étalée, ou une gestion des deux systèmes à la fois (chaque personne est considérée comme un « poly pensionné » avec deux retraites correspondant aux deux systèmes, l’ancien et le nouveau) demanderait du travail supplémentaires, dans une période de volonté politique de baisser les effectifs.

De plus le COR signale le risque important de multiplication de recours juridiques, surtout dans un contexte où les pensions ne peuvent que baisser.

Et surtout, le COR insiste fortement sur la persistance d’un déséquilibre financier car, dans tous les systèmes par répartition, ce sont les cotisations des actifs qui paient toutes les pensions de la même période. Les comptes notionnels et le système par points ne prévoient pas de provisionner pour les périodes difficiles, et ne permettent pas la prise en charge du baby boom. Le COR reconnaît que « l’application de ces mécanismes pose question lorsque la situation économique se dégrade car ils ont une action pro cyclique, en réduisant davantage les droits à la retraite ».

La crise a mis à mal ces systèmes : pour conserver l’équilibre des comptes, des pays les ayant mis en place ont instauré une cotisation additionnelle non génératrice de droits pour éviter d’augmenter davantage les dépenses futures, ont moins revalorisé les pensions en cours et les droits à pension en cours d’acquisition (via une moindre revalorisation du capital virtuel ou une augmentation plus importante de la valeur d’achat du point). Ils ont réduit les coefficients de conversion du capital virtuel en pension ou baissé la valeur de service du point, ils ont relevé l’âge moyen effectif de départ à la retraite, ou bien fait appel à un financement externe…

Ainsi, Pologne et République du Kirghizstan ne revalorisent le capital virtuel que sur la base de l’évolution de 75 % de l’indice retenu. Seule la Suède, qui avait mis ce système en place avant les autres et pris soin de provisionner, s’en sort relativement sans trop de heurts, avec « seulement » une diminution de la revalorisation des pensions et des droits en cours d’acquisition.

Le gouvernement ne devrait donc pas changer de système tout de suite, mais l’idée est lancée et reviendra ne serait-ce que pour masquer les enjeux politiques en individualisant la retraite, pour ne pas garantir un taux de remplacement, pour remettre en cause les solidarités et ouvrir une brèche dans le système par répartition. Un jour, la crise sera oubliée et la propagande pour un changement de système reviendra en force, avant le déclenchement de la crise suivante. Le déséquilibre démographique ne bloquera pas longtemps : les effectifs des retraités diminueront après 2035.

Emparons-nous tout de même tout de suite du dossier, pour faire réfléchir les populations et les organisations syndicales qui revendiquent ce système.

Un système par points ou comptes notionnels provoquerait :
 La suppression de la garantie de niveau de pension et l’arrêt du progrès social
 L’illusion de la constitution d’une rente que l’on devrait retrouver plus tard
 La baisse des pensions et l’individualisation du rapport à la retraite
 La disparition des enjeux politiques et un frein à la mobilisation
 La fin ou la forte diminution des solidarités…
Ce changement de système ne semble pas pour tout de suite, mais menons le débat dès maintenant pour qu’il ne s’applique jamais."

Et, plus haut dans la fiche, il écrit que ces systèmes :
"rendent difficile une mobilisation collective sur des mots d’ordre clairs."

En effet.

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