Le progrès social à la mode sarkozyste
Un différend a opposé F. Chérèque — secrétaire général de la CFDT — au ministre de l’industrie C. Estrosi pendant l’émission d’Yves Calvi, Mots Croisés, le 25 octobre. Il portait sur l’âge de départ à la retraite des travailleurs ayant commencé leur carrière avant 18 ans. L’hebdomadaire Marianne a brocardé le ministre, persiflant qu’il ne connaissait pas son dossier. Qu’en est-il ?
Avec la réforme Sarkozy-Woerth, les ouvriers devront cotiser … 44 ans (18-62 ans) pour bénéficier d’une retraite à taux plein. Excusez du peu ! Quid cependant de ceux qui ont commencé plus tôt ? Estrosi soutiendra pendant l’émission qu’ils pourront partir à 60 ans à taux plein. Chérèque démentira. Il avait obtenu dit-il, pour les moins de 16 ans, en 2003, une durée de cotisation de 42 ans. Et Parisot de voler bientôt au secours de Chérèque, tandis que Calvi est traversé par une illumination : un ministre peut mentir !
Y a-t-il eu mensonge finalement, et sur quoi porte-t-il ? Estrosi se fend d’un courrier à Marianne pour indiquer — et il a raison — qu’il n’a pas commis d’erreur en exposant le contenu de la réforme. En effet, la mesure d’exemption a bel et bien été reconduite dans la nouvelle loi, et étendue à la tranche 16/18 ans. Au final, les ouvriers qui ont commencé de bosser avant 18 ans pourront partir avant 62 ans, dès 60 ans, « à partir du moment où ils ont cotisé le nombre suffisant de trimestres. » Ils devaient cotiser 42 ans avant la réforme 2010, ils cotiseront 44 ans avec la réforme ! Comme les copains [1]. Pas de jaloux. Et le ministre de conclure : « Cette mesure constitue […] une garantie certaine et un réel progrès (sic !) par rapport à la situation antérieure. »
Où est l’arnaque ? Elle est dans la présentation du passage de la limite de 16 à 18 ans comme un progrès, alors que la justice aurait voulu que l’on reconsidère, dans le nouveau système, la situation des 18/20 ans. Quant aux 16/18 ans, on aurait dû leur accorder le départ dès 58 ans, après 42 annuités comme tout le monde. Sans ces dispositions, le recul de l’âge de départ à la retraite est, mathématiquement, une injustice pour les ouvriers qui rentrent plus tôt dans le monde du travail.
Y a pas à dire, c’est beau le progrès social à la mode sarkozyste. Non ? Surtout si l’on songe que la durée moyenne réelle pendant laquelle les salariés cotisent (chiffre INSEE 2008), avec la montée en flèche de la précarité et du chômage, est de 36,5 annuités. Ce qui signifie, concrètement, que pour toucher leurs retraites à taux plein (et quelles retraites !, vu le niveau moyen des salaires) les ouvriers - même ceux qui auront commencé à travailler avant 18 ans — ont de fortes chances d’être encore au boulot à 63, 64, 65 voire 67 ans. Si l’on veut encore d’eux.
En clair, à partir de 62 ans, ils auront le choix, pour la plupart, entre vivre dans la misère ou mourir au travail.
Décidément, c’est beau et c’est impressionnant le progrès social à la mode sarkozyste. Non ?
Epilogue : Marianne ne dénonce pas cette réalité. L’hebdomadaire à l’antisarkozysme ronflant reconnait, simplement, avoir brocardé un peu vite le ministre, et publie son droit de réponse sans autre commentaire. C’est qu’il est plus facile (et plus confortable ?) de rire d’un ministre à la faveur du brouhaha d’une émission de télé, que de démonter le système qu’il porte ...