La gauche drakkar
En cet été 2011, la campagne électorale pour l’élection présidentielle 2012 est lancée. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle commence mal avec une polémique pour le moins bidon, mais réellement violente, à l’encontre des déclarations d’Éva Joly sur le défilé militaire du 14 juillet. La forme prend là le pas sur le fond, de toute évidence. Face à la violence de la droite, la gauche doit-elle tendre l’autre joue ou doit-elle trancher dans le lard à la hache verbale au risque de participer à une campagne qui s’annonce de toute façon calamiteuse ?
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« J’ai rêvé que nous puissions remplacer ce défilé (militaire) par un défilé citoyen où nous verrions les enfants des écoles, où nous verrions les étudiants, où nous verrions aussi les seniors défiler dans le bonheur d’être ensemble, de fêter les valeurs qui nous réunissent ». Cette simple déclaration d’Éva Joly le 14 Juillet 2011 méritait-elle un torrent de haine de la part de la droite française ? Dans une démocratie, pourquoi une telle déclaration ne serait-elle pas acceptable ? Pourquoi devrait-on renvoyer à la face du monde les origines étrangères d’Éva Joly qui est de nationalité Française et Norvégienne ?
De toute évidence, la droite a tort dans le fond : le défilé militaire, aussi vieux et apprécié qu’il soit, a un coté désuet, anachronique, en 2011. Il est donc contestable même si ceux qui le conteste sont très minoritaires (et encore faudrait-il le vérifier). En répondant, une fois de plus, sur le terrain de l’origine étrangère, la droite de l’UMP, qui pourra bientôt fusionner avec le FN, montre une nouvelle fois son racisme à la France entière. Non, on ne parle plus d’Auvergnats mais de Vikings. Il aurait été si simple pour Lionel Tardy, député UMP de Haute Savoie, d’affirmer son attachement au défilé militaire et d’expliquer pourquoi, mais il a préféré proposer à Éva Joly de retourner en Norvège. Il aurait été si simple pour François Fillon que l’on pensait modéré, commentant de l’étranger l’actualité politique française, d’affirmer que la suppression du défilé militaire le 14 juillet n’était pas à l’ordre du jour, mais il a préféré dire que "Éva Joly n’avait pas une culture très ancienne des traditions françaises". Et ce n’était pas une bourde. Il aurait été tellement simple pour Xavier Bertrand de calmer le jeu, le lundi 18 juillet sur France Inter mais il a préféré demander, en émettant l’hypothèse d’un gouvernement de gauche, "Et vous la mettez où Mme Joly, dans ces cas-là, au ministère de la Défense peut-être ?" comme si une telle hypothèse était impensable pour une personne comme Éva Joly qui, selon ses dires, a passé une année entière, en 1996, à suivre la formation de l’Institut des hautes études de défense nationale [1]. On passera les dizaines de déclarations de l’UMP au FN toutes aussi fines les unes que les autres.
Alors, évidemment, le sujet du défilé militaire du 14 juillet ne mérite pas des débats infinis. Il ne mérite sûrement pas d’être le sujet de débat numéro un pendant plusieurs jours en France. Mais cela peut-être un débat parmi d’autres, débat qui pourrait d’ailleurs légitimement s’étendre à la place de l’armée en France, à sa mission, à ses coûts [2]. Mais l’armée en France est intouchable. Allez savoir pourquoi, même très à gauche, on n’y touche pas. Soit. Passons. Mais la façon très virulente de la droite d’attaquer Éva Joly sur sa double nationalité pourrait aussi poser la question du niveau du débat public. Deux possibilités, soit la gauche appelle la droite à une campagne "digne" qui ne va pas dans le caniveau du racisme et autres joyeusetés. Depuis 2002 et plus encore depuis 2007, on voit ce que cela a donné. Soit la gauche se décomplexe elle aussi et fait du rentre dedans. Mais abandonner une logique bisounours implique de s’appuyer sur des idées fortes, sur un projet qu’il faut défendre.
Il ne serait en effet pas très difficile de rentrer dans le lard de Xavier Bertrand qui veut limiter les hauts salaires en faisant en sorte que la partie des revenus qui dépassent des niveaux acceptables soit taxée à l’impôt sur les sociétés. Là, ils doivent bien rigoler les patrons d’entreprises qui se goinfrent à coup de millions. Le gros clown qu’ils doivent se dire. Il ne serait pas très difficile de rentrer dans le tas de Fillon qui a toujours tenu un discours de rigueur budgétaire mais qui a creusé la dette française de 2007 à 2010 de plus de 400 milliards d’euros et qui ose expliquer aux français qu’il faut se serrer la ceinture tout en proposant de faire rentrer dans la constitution "la règle d’or budgétaire". Il ne serait pas très difficile de tirer avec un FAMAS dernier cri sur Sarkozy [3] qui, alors qu’il proclamait "le travailler plus pour gagner plus", a surtout favorisé ceux qui gagnent beaucoup en ne travaillant pas.
Mais la gauche peut-elle le faire ? Nous faut-il une gauche sage et raisonnable ou au contraire, une gauche percutante qui va frapper les esprits ? Peut-être que la gauche drakkar, celle qui n’hésiterait pas à souffler un vent frais sur société française pour mieux la faire réagir et lui réchauffer les méninges serait plus utile et efficace qu’une gauche tiède et ramollie du bulbe. Si la polémique surjouée autour des propos d’Éva Joly peut servir à quelque chose, qu’elle serve au moins à la gauche à se rendre compte qu’à droite, ils ne sont pas partis pour faire dans la dentelle et qu’à vouloir jouer la modération, la gauche risque de se prendre une nouvelle droite plus haineuse que jamais dans la gueule, et ce pour cinq ans de plus. Alors, plutôt une gauche drakkar qu’une gauche caviar et tricarde ?