16 octobre 2011 : Sarkozy ré-élu Président de la République
Voilà, c’est fini la PS Academy. Le « candidat le plus à même de battre Sarkozy » a été choisi pour représenter le PS. Et si c’était le « candidat le plus à même de faire gagner Sarkozy » qui a été désigné ?
Dans son rapport intitulé « Le point de rupture — Enquête sur les ressorts du vote FN en milieu populaire », la fondation Jean-Jaurès [1] s’interroge sur le vote Front national des classes populaires. Elle y aborde brièvement — et pour cause — la notion d’UMPS, autrement dit le sentiment qu’une fois au pouvoir, l’UMP et le PS font la même politique. Et l’on doit reconnaître qu’il ne s’agit pas d’une impression, mais bien de la réalité : en France, c’est bien sous un gouvernement socialiste qu’a eu lieu le plus grand nombre de privatisations d’organismes publics [2], ce sont bien les socialistes qui ont participé et rendu possible la forfaiture du traité de Lisbonne, ce sont bien les socialistes qui proposent d’augmenter la durée de cotisation des retraites à 41 ans et demi s’il viennent au pouvoir [3]. A l’échelon européen, ce sont bien des socialistes qui ont appliqué les politiques libérales en Espagne, Angleterre, Portugal [4]
, jusqu’à la caricature grecque où c’est le président socialiste [5] — de surcroît président de l’Internationale Socialiste — qui a livré son pays à la rapacité des néolibéraux. C’est bien un social-démocrate qui est à la tête de la Commission Européenne [6] . C’est bien un socialiste [7] qui est à la tête de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), et c’est bien un socialiste [8] qui, avant d’oublier de refermer sa braguette, était président du Fond Monétaire International (FMI) qui a organisé le dépeçage de la Grèce. Enfin, c’est bien un socialiste [9] qui a été, sinon à l’origine, du moins le plus grand défenseur de la construction de l’Europe libre-échangiste.
L’idée — accréditée par les faits — qu’il n’y a quasiment plus différence entre l’UMP et le PS est maintenant très répandue dans la population. Si répandue qu’un parti en a fait avec succès son fond de commerce. C’est en effet au Front National que l’on doit l’invention d’UMPS [10] : la différence entre l’UMP et le PS est si ténue qu’on pourrait les regrouper dans un seul parti appelé UMPS. C’est la version moderne de la notion de « bande des quatre [11] » inventée par le même FN lors de l’élection présidentielle de 2002, et qui lui a permis d’arriver au second tour en éliminant le PS. L’histoire ne se répète pas mais parfois elle balbutie. Les conditions d’un succès du FN en mai prochain sont à nouveau réunies. D’un côté un président sortant haï, de l’autre un « Papandréou » à la française. Avec cette circonstance aggravante que le FN dispose maintenant d’un chef présentable régulièrement invité à la radio et la télé. Marine Le Pen ne s’y est pas trompé en déclarant juste après la primaire socialiste : « Je ne peux que me féliciter de la désignation de quelqu’un qui, comme Nicolas Sarkozy, est un champion du mondialisme le plus féroce, du fédéralisme européen, de la soumission de la France à l’ensemble des diktats imposés par les grandes puissances financières » et d’ajouter : « On a l’aile droite de l’UMPS avec Sarkozy et l’aile gauche de l’UMPS avec Hollande. »
La Fondation Jean-Jaurès nous a pondu une étude pour expliquer pourquoi les classes populaires votent Front National. Pas la peine de faire si long pour comprendre que les classes populaires sont persuadées — et à raison — qu’elles voteraient contre leur intérêt en votant UMP ou PS. Il y a bien longtemps que le PS ne s’occupe plus des classes populaires, et le divorce est maintenant consommé [12]. Sarkozy, qui les a séduites en 2007 puis trompées, ne pourra pas leur refaire le coup en 2012. Un boulevard s’ouvre devant Marine Le Pen au premier tour. Et, du coup, un boulevard inespéré pour Sarkozy au second, comme pour Chirac en 2002…
Chaque jour, la crise financière — la crise du capitalisme, en fait, voulue et organisée — déclasse de nombreuses personnes. Les classes populaires plongent dans l’abime de la pauvreté. Les classes moyennes glissent doucement mais sûrement vers la précarité. Dans son livre « La république des satisfaits », John Kenneth Galbraith explique que tant que les classes moyennes sont satisfaites, rien ne peut bouger. En effet, ces classes moyennes votent, au contraire des classes populaires qui n’attendent plus rien du système et ne votent plus (ou "mal"). Et les classes moyennes votent pour ceux qui leur garantissent le maintien de leur situation, c’est à dire la classe dominante. Il y a donc une collusion d’intérêts entre la classe dominante et les classes moyennes pour maintenir les classes populaires à distance [13]. La classe dominante semble ne plus avoir besoin des classes moyennes pour servir ses intérêts. Le vote des classes moyennes déclassées à cause de la politique libérale européenne est un paramètre supplémentaire à prendre en considération pour 2012.
[1] Fondation créée par le PS en 1992. Son président actuel est Gilles Finchelstein, Directeur des études du groupe Euro RSCG. Il aurait inspiré — avec le succès que l’on sait — le programme de Lionel Jospin pour les présidentielles de 2002 qui déclarait à l’époque :« Mon programme n’est pas socialiste. »
[2] Voir Privatisations en France
[3] Voir le tract distribué durant les manifestations de 2010 pour la défense des retraites. Il y est écrit en gros que le PS souhaite la retraite à 60 ans, et en petit qu’il souhaite augmenter la durée de cotisation à 41,5 annuités.
[4] José Luis Rodríguez Zapatero, président du gouvernement espagnol depuis 2004
Tony Blair, premier ministre anglais de 1997 à 2007
José Sócrates, premier ministre portugais de 2005 à 2011
[5] Georges Papandréou, premier ministre depuis 2009
[6] José Manuel Barroso, membre du parti social-démocrate portugais
[7] Pascal Lamy, membre du parti socialiste français
[9] Jacques Delors, père de Martine Aubry
[10] Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la République, lui donne la signification suivante : « Union pour le maintien perpétuel du système. »
[11] « bande des quatre » désignait l’ensemble formé par le PCF, le PS, l’UDF et le RPR
[12] Dans une note publiée en mai 2011, Terra Nova — une autre fondation proche du PS — préconise d’abandonner les classes populaires dans la stratégie de la présidentielle : « Il n’est pas possible aujourd’hui pour la gauche de chercher à restaurer sa coalition historique de classe : la classe ouvrière n’est plus le cœur du vote de gauche, elle n’est plus en phase avec l’ensemble de ses valeurs, elle ne peut plus être comme elle l’a été le moteur entraînant la constitution de la majorité électorale de la gauche. La volonté pour la gauche de mettre en œuvre une stratégie de classe autour de la classe ouvrière, et plus globalement des classes populaires, nécessiterait de renoncer à ses valeurs culturelles, c’est-à-dire de rompre avec la social-démocratie. »
[13] On lira à ce sujet « L’art d’ignorer les pauvres » publié dans le Monde Diplomatique