De la démocratie en Libye

La fabrique de l’Histoire « radieuse » et le sens des affaires
jeudi 3 novembre 2011 à 20:48, par Darek Dysiast

Depuis que notre Président fatigué a décidé de jouer les super machos en Libye et de virer là-bas celui qui plantait sa tente sous ses fenêtres sans même recourir à une circulaire sur les gens du voyages, on a entendu beaucoup de commentaires.

Soupçonner une affaire de pétrole était immanquable : cette marotte rendue célèbre par les oppositions à la guerre en Irak trouvait ici un boulevard ouvert par le 4ème rang des exportateurs africains qu’occupe la Libye et par l’enjeu (moins souvent rappelé) que représente ce territoire dans la liberté de transport (et donc de commerce) des précieuses, précieuses, hydrocarbures. Il n’y a pas, là, matière à discuter, surtout si l’on y ajoute les innombrables contrats d’importation auxquels est condamné ce pays qui n’est auto-suffisant en rien.

Mais on a aussi applaudi le sauvetage du peuple opprimé et c’est là qu’il pourrait y avoir matière à se fâcher.
Car Kadhafi était un meurtrier, c’est un fait. La liberté d’expression ne faisait pas partie de ses priorités, c’est le moins qu’on puisse dire. Quant à sa santé mentale il y a belle lurette que personne ne se pose plus la question. Mais il y a une différence entre être un fou sanguinaire et être un tyran : un tyran est quelqu’un qui se maintient au pouvoir par la force sans autre source de légitimité. En clair : un chef d’Etat peut bien se comporter en boucher si c’est ce pourquoi il a été élu, ça ne fait pas de lui un tyran en droit il est légitime.

Savoir si un boucher est un tyran ou boucher légitime n’est pas qu’un pinaillage d’experts en droit tatillons ou de politiciens auto-satisfaits. Au contraire, c’est le genre de « détail » qui détermine par avance l’opportunité réelle et de la réussite des guerres qu’on dit portées par le respect des droits de l’Homme. Car tant que la demande de violence est maintenue par ceux qui portent la cible au pouvoir, vous pouvez bien la chasser, son successeur ne pourra faire autrement que de l’imiter.

Or, si on se fie aux informations délivrées par des journalistes qui se gardent bien d’en tirer toutes les conséquences, l’histoire du Guide de la révolution est bien plus complexe que celle des tyrans du Salvador ou du Chili autrefois soutenus par les Etats-Unis (par exemple).
Une documentation rapide suffit à mesurer l’importance des tribus dans le système politique libyen. La tribu est en Libye le premier niveau de médiation politique, comme le Député l’est en France. La comparaison a ses limites car le Député procède d’une citoyenneté (faite de droits et de devoirs) qui ne connaît pas vraiment d’équivalent en Libye. Il serait donc plus juste de dire que la tribu est le premier niveau de pouvoir politique.

Son importance est indéniable et si Kadhafi a pu accéder au pouvoir, c’est qu’il a fait figure de solution de compromis alors que les différentes tribus ont beaucoup de mal à s’entendre pour maintenir la très fragile unité de la Libye : les Warfallas ne sont pas une tribu mais un clan de tribus associées.

De cette importance de la tribu, il découle un certains nombre de conclusions inévitables :
1 – Kadhafi n’a pu se maintenir au pouvoir qu’en ménageant les tribus majoritaires et trouvait donc là une forme de légitimité ;
2 – la rébellion affirmée et armée n’a pu commencer qu’avec la bénédiction, le soutien et sans aucun doute le leadership d’une tribu importante ou d’un ensemble de tribus alliées en clan ;
3 – qualifier Kadhafi de tyran, l’attaquer militairement sur le fondement du respect de la démocratie alors qu’il est légitimé par les tribus, c’est nier le droit d’un pays de fonder la légitimité d’un chef d’Etat autrement que par le modèle occidental de la citoyenneté ;
4 – on ne peut soutenir la rébellion sans soutenir la ou les tribu(s) qui la soutienne voire la dirigent, soutenir cette rébellion c’est soutenir le projet de ceux qui la fomentent ;
5 – faute de savoir qui sont ces tribus ou clans, on ne sait pas le projet qui est porté et on ne peut se porter garant de rien en ce qui concerne l’avenir du pays.

Pour toutes ces raisons, on ne pourra s’étonner si le pays éclate sous la pression des divisions internes ou si un régime islamique est établi, l’Islam étant un des rares traits commun de l’ensemble des tribus libyennes. On devra encore moins s’étonner de voir un nouveau régime répressif s’installer : l’usage de la force et la domination pouvant être perçus comme la garantie d’un Etat fort dont la légitimité procède (aussi) de sa détermination violente : le CNT compte, jusqu’à son sommet, bon nombre d’anciens collaborateur du guide et c’est un ancien ministre de la Justice de Kadhafi qui est pressenti pour sa suite.

Il s’en suit qu’à ce stade des évènements, la France apparaît comme le collaborateur aveugle et imprudent d’une révolution dont les tenants et les aboutissants lui échappe. Parce qu’ils lui échappent, on peut être tenté d’en conclure qu’elle s’en fout et que son objectif est effectivement ailleurs.

Qu’il soit ailleurs est sans doute la meilleure des garanties pour l’unité du pays puisque les forces de l’OTAN ayant maintenant la possibilité de ne pas se retirer du « théâtre » du conflit tant que les institutions de transitions n’auront pas opté pour une solution qui leur convienne. Elles pourront donc faire pression en faveur du maintien d’un Etat unitaire qui leur donnera un avantage commercial majeur (un seul pays ça veut dire un seul contrat à « négocier »).

Or, dans un pays prêt à éclater, le maintien de l’unité ne demande-t-elle pas un Etat fort si ce n’est brutal ?
L’avenir le dira …. Mais s’il confirme ce triste scénario alors Kadhafi sera ni plus ni moins sympathique après qu’avant et un nouveau salaud aura son trône doré avec la bénédiction « démocratique ». La France en revanche aura des comptes à rendre car des députés ont voté cette guerre que personne ne demandait, en tout cas personne qui ne soit pas coté au palais Brogniart.

Mais des explications, la France sait en donner. Iil suffit pour s’en convaincre de voir comment l’idée d’un pays pacifique et protecteur des droits de l’Homme depuis la fin de la seconde guerre mondiale a convaincu ses citoyens alors que le pays est constamment en guerre et parfois simultanément sur une vingtaine de « théâtres » (le nom politiquement correct des champs de massacre) depuis les guerres de décolonisation du début des années cinquante.
Le député du Var Philippe Vittel excellait dans cet exercice lorsque le 12 juillet 2011 il appelait ses collègues à voter le maintien de l’engagement militaire :

Mes chers collègues, nous devons nous prononcer sur l’autorisation de prolonger l’intervention de nos forces en Libye au sein de la coalition coordonnée par l’OTAN. Il est de la plus haute importance que les Européens restent déterminés à construire un espace de paix dans leur environnement immédiat. Cela passe nécessairement par la construction de la paix en Libye. Nous devons en être les artisans.

« Il existe un chemin vers la paix porteur d’un nouvel espoir pour le peuple libyen. Un avenir sans Kadhafi, qui préserve la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Libye. » Nous devons nous donner les moyens de concrétiser le légitime espoir du peuple libyen en un avenir radieux qu’a si bien exprimé par ces mots le Président Nicolas Sarkozy !


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De la démocratie en Libye - DD - 8 novembre 2011 à 16:27