Éditorial Février 2012

République ou monarchie élective ?

mercredi 1er février 2012 à 08:00, par bombix
République ou monarchie élective ?
Jean-Jacques Rousseau, 1712-1778
"Dans les courts moments de sa liberté, l’usage qu’en fait le peuple mérite bien qu’il la perde."

Classiquement, les théories du contrat social se divisent en plusieurs catégories. Dans la première catégorie, on estime que le contrat lie le peuple tout entier, et on affirme que la volonté ne peut se déléguer à personne : c’est la thèse forte de Rousseau, qui dit que la seule démocratie possible est la démocratie directe. Mais, parce que la démocratie directe est impraticable, sauf peut être dans de toutes petites Républiques, et qu’en outre elle menace la démocratie par le danger toujours renaissant de la démagogie et de la « tyrannie de la populace » (on a là la source de tous les discours sur le dangereux « populisme ») – les théories du contrat social de la seconde catégorie font s’exprimer le peuple souverain par le biais de ses représentants : c’est la démocratie représentative. Problème : on se rend compte que les « représentants » de la Nation appartiennent en majorité aux classes moyennes supérieures, voire à la haute bourgeoisie. De fait, dans nos « démocraties pacifiées », une bonne partie du peuple souvent ne se dérange même plus pour aller voter, tellement il sent ses « représentants » autoproclamés étrangers à ses problèmes et à ses préoccupations. La cinquième République, la nôtre, quant à elle, relève d’un troisième type qu’on peut nommer « monarchie élective ». Le pouvoir souverain tient certes sa légitimité du peuple, fondement ultime et condition première de l’existence de l’Etat. Mais dès le transfert d’autorité effectué, le peuple disparaît comme acteur et devient un simple sujet. En clair, la souveraineté réside bien dans la Nation, comme l’avait affirmé la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, mais un jour tous les cinq ans seulement. Un jour tous les cinq ans, les grenouilles se choisissent un roi.

Ce qui est cocasse, c’est que tous les politiques professionnels critiques de cette curieuse démocratie la trouve finalement à leur goût quand ils sont appelés à occuper le trône. Ce fut bien sûr le cas de François Mitterrand, critique acerbe du Général de Gaulle et des institutions gaullistes, devenu rapidement un monarque socialiste caricatural après son élection.

Nous vivons une curieuse époque : après cinq ans de sarkozysme et de confiscation du pouvoir par une poignée de libéraux égoïstes au service des plus privilégiés parmi nos concitoyens (l’expression « Le Président des riches » résume parfaitement la séquence Sarkozy qui s’achève), l’anti-sarkozysme, très présent, ne soulève aucun enthousiasme particulier à l’approche des échéances électorales. C’est que nous ne sommes pas appelés à sortir de la servitude. Nous sommes appelés à nous choisir un nouveau maître. Et nous savons que, peu ou prou – la crise systémique du capitalisme aidant – les politiques menées seront à peu près les mêmes.

La nouveauté, ce serait non pas un nouveau président, mais le renversement de la monarchie élective dans laquelle nous vivons. 2012 sera l’année du tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau. Si les Français en profitaient pour lire ou relire le Contrat Social, ils y trouveraient des armes critiques efficaces pour refonder une République digne de ce nom, en ne comptant que sur eux-mêmes.

« La souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu’elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point : elle est la même, ou elle est autre ; il n’y a point de milieu. Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires ; ils ne peuvent rien conclure définitivement. Toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi. Le peuple Anglais pense être libre, il se trompe fort ; il ne l’est que durant l’élection des membres du parlement : sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. Dans les courts moments de sa liberté, l’usage qu’il en fait mérite bien qu’il la perde.
L’idée des représentants est moderne : elle nous vient du gouvernement féodal, de cet inique et absurde gouvernement dans lequel l’espèce humaine est dégradée, et où le nom d’homme est en déshonneur. Dans les anciennes républiques, et même dans les monarchies, jamais le peuple n’eut des représentants ; on ne connaissait pas ce mot-là. »

(Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat Social, III, 3-15)


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commentaires
République ou monarchie élective ? - B. Javerliat - 18 février 2012 à 17:54

Une question me taraude depuis que cet édito est paru. La citation là, sous le portrait de Rousseau, elle s’adresse à la masse ignorante qui vote, ou à l’élite éclairée qui s’abstient ? J’ai bien ma p’t’ite idée, mais des fois on peut se tromper. Alors je demande.


République ou monarchie élective ? - bombix - 18 février 2012 à  19:07

L’abstention ou le vote ne départage pas "la masse" et "l’élite". D’ailleurs, ces catégories ont-elles un sens ? Il y a des gens qui votent, après avoir réfléchi au problème, et d’autres qui refusent de voter après avoir réfléchi au problème également. Comme il y a des gens qui votent par conformisme — "on doit voter, nos aïeux se sont battus pour ça !" —, ou qui s’abstiennent de voter parce qu’ils ne se sentent pas concernés par le vote, sans avoir vraiment réfléchi aux implications de leur acte.
Quant à la citation de Rousseau, elle s’adresse ... au lecteur du Contrat Social, tout simplement. Petit volume en livre de poche, écrit dans une langue merveilleuse. Si cet édito donnait la curiosité d’aller lire Rousseau, son auteur serait comblé.

Au fait, ce qui est en question, ce n’est pas le vote, mais la démocratie représentative, qui semble aller de soi. Or, que notre principal philosophe politique la mette radicalement en question, mette en question la représentation, n’est pas inutile à souligner. Enfin, accepter de voter n’est pas qu’une question de logique d’entendement. Il y a une logique des préférables dans les activités pratiques et politiques. Rousseau ne dit pas dans ce texte quoi faire dans toutes les situations. C’est à chacun d’en décider. Rousseau pose un problème qui n’est en général posé par personne. C’est tout.

Répondre à ce message #35274 | Répond au message #35273
République ou monarchie élective ? - Cyrano - 20 février 2012 à  09:59

Y’a un temps, y’a longtemps, les socialistes causaient autrement. Paul Lafargue, gendre de Karl Marx, au Ve Congrès national du Parti Socialiste (SFIO), Toulouse, octobre 1908 :

« Je suis un de ceux qui ont soutenu que le Parlementarisme était la forme de gouvernement propre à la classe bourgeoise, celle qui met entre les mains de la bourgeoisie capitaliste les ressources budgétaires et les forces militaires, judiciaires et politiques de la nation. Les socialistes ne sont pas des parlementaires, il sont, au contraire, des antiparlementaires qui veulent renverser le gouvernement parlementaire, ce régime du mensonge et de l’incohérence. (Applaudissements sur certains bancs.) Le député qui se prétend être le représentant de ses électeurs, ment, parce que son corps électoral est composé de bourgeois et d’ouvriers. Il ne peut pas représenter les uns et les autres. Il ment donc quand il prétend être leur représentant. [...]

« L’incompétence du régime parlementaire s’étale grossièrement dans la manière de choisir les directeurs de la machinerie bourgeoise, c’est-à-dire les ministres. Il y a-t-il des hommes plus incompétents que les ministres actuels ? [...] Il y a eu des ministres de l’agriculture qui n’auraient pu distinguer un pied de pomme de terre d’un pied de topinambours.

« Pourquoi cela ? Parce que la bourgeoisie capitaliste tient à avoir des ministres et des députés qui n’aient pas d’opinions arrêtées, qui n’aient pas la volonté de faire aboutir telle ou telle réforme, ni d’appliquer leurs idées : elles ne veulent que des commis souples et disposés à obéir à ses ordres. [...]

« Il y en avait qui disaient qu’en envoyant des députés dans la Chambre, on conquérait du pouvoir politique et on diminuait la force de résistance du gouvernement capitaliste. Nous avons protesté contre cette opinion : quand nous envoyons des députés à la Chambre, ce n’est pas dans l’espoir de diminuer la force d’oppression de l’Etat capitaliste, mais pour le combattre, pour procurer au Parti un nouveau terrain de lutte, le plus magnifique terrain de lutte. »

Répondre à ce message #35309 | Répond au message #35274
République ou monarchie élective ? - B. Javerliat - 20 février 2012 à  10:26

Ben oui, c’est pas une révélation que le PS ne combat plus le capitalisme. Ca a été confirmé par Irène Félix il n’y a encore pas si longtemps : « le PS n’a plus (depuis fort longtemps) à son programme "la nationalisation des moyens de production et d’échanges". »

Répondre à ce message #35310 | Répond au message #35309
République ou monarchie élective ? - B. Javerliat - 13 février 2012 à 11:13

Je résume :
 la démocratie directe est impraticable.
 la monarchie élective reste une monarchie.
 la démocratie représentative n’est pas représentative du peuple.

Question : vous faites quoi le 22 avril prochain ? Normalement, vous restez chez vous pour ne pas participer à l’élection du futur monarque. De même, en juin, vous restez chez vous pour ne pas choisir des représentants qui ne représentent qu’eux-mêmes.

Me trompe-je ?


République ou monarchie élective ? - bombix - 13 février 2012 à  12:48

Les trois propositions sont elles vraies, ou fausses ?

Répondre à ce message #35201 | Répond au message #35199
République ou monarchie élective ? - B. Javerliat - 13 février 2012 à  15:39

C’est pas ma question. Ma question est : irez vous voter en avril, mai et juin.

Répondre à ce message #35202 | Répond au message #35201
République ou monarchie élective ? - Cyrano - 13 février 2012 à  15:56

Moi :

Oui, oui, oui.

Cela vous satisfait-il ?

Répondre à ce message #35203 | Répond au message #35202
République ou monarchie élective ? - bombix - 13 février 2012 à  16:06

Eh bien, c’est pourtant ma réponse.

Répondre à ce message #35204 | Répond au message #35202
République ou monarchie élective ? - Cyrano - 13 février 2012 à  16:20

Alors que moi, j’ai dis Oui, oui, oui (je vote pour Cindy Lee - je me demand esi je ferais pas mieux de m’abstenir)

Répondre à ce message #35205 | Répond au message #35204
République ou monarchie élective ? - B. Javerliat - 14 février 2012 à  10:00

Eh bien, c’est pourtant ma réponse.

En toute logique, vous allez donc vous abstenir. Vous remarquerez qu’il y a des tas de gens qui font la même chose sans avoir lu le Contrat Social.

Répondre à ce message #35207 | Répond au message #35204
République ou monarchie élective ? - B. Javerliat - 2 février 2012 à 10:28

La nouveauté, ce serait non pas un nouveau président, mais le renversement de la monarchie élective dans laquelle nous vivons.

Alors ça, bingo ! Si c’est pour vous le seul critère pour vous faire voter, pas une seconde d’hésitation : votez Front de Gauche, c’est le seul programme qui prévoit de supprimer le Président de la République, avec la création de la VIè République, l’instauration d’un régime parlementaire, et le rétablissement de la proportionnelle pour toutes les élections.

Réponse anticipée au premier perroquet qui va s’empresser de répéter ce qu’il entend partout : "Et si Mélenchon change d’avis une fois élu, et se transforme en monarque comme Mitterrand ?".
C’est possible. Mais pour savoir, faut essayer. En tout cas une chose est sûre, tous les autres candidats veulent maintenir le régime présidentiel. Là au moins, y’a pas de risque d’être trompé.


République ou monarchie élective ? - 2 mars 2012 à  16:14

mensonge, jamais le fdg prétend supprimer la fonction présidentielle, même au npa on pas clair la dessus, alors stop la démago bernard

Répondre à ce message #35462 | Répond au message #34738
République ou monarchie élective ? - 2 mars 2012 à  16:16

j’ai oublié : le message c’est de moi Thomas R.

Répondre à ce message #35463 | Répond au message #35462
République ou monarchie élective ? - DD - 1er février 2012 à 14:18

Sur la question de la souveraineté : www.latyrannieduroidangleterre.wordpress.com/tag/droit-constitutionnel/

Sur le manque d’intérêt pour les enjeux du moi de mai, je crois voir (et partager) ce que vous dite : qu’on ne se choisi pas un destin mais un nouveau maître.

Mais j’ajouterais aussi que, quand bien même on se choisirait un destin, c’est un business plan dont il est question, pas d’un projet de vie commune et harmonieuse.

Les affaires concernant, certes, beaucoup d’argent et mais pas grand monde, il est bien naturel, pour cela aussi, que les gens s’en désintéresse.


République ou monarchie élective ? - democradirect - 2 février 2012 à  11:28

Les Français se disputent sur le choix du prochain monarque, alors qu’ils devraient s’unir pour abolir la monarchie.

Certes, les citoyens n’ont pas le temps de s’occuper des affaires publiques quotidiennes. Des représentants sont donc nécessaires. Mais il n’y a aucune raison pour que ces représentants confisquent le pouvoir entre deux élections. On peut tout à fait combiner les élections et la démocratie directe (le peuple devrait pouvoir en tout temps organiser un référendum sur le sujet de son choix). C’est la démocratie semi-directe (voir ici). Et cela fonctionne en Suisse.

Il faut tirer parti des élections pour abolir la monarchie. Comme on peut nettoyer ses deux mains sales en les frottant l’une contre l’autre, on peut faire émerger la démocratie de candidats (même antidémocrates) en les mettant en concurrence. Ils sont en concurrence pour obtenir nos suffrages. Voter pour des candidats qui veulent continuer de confisquer le pouvoir, c’est voter pour la monarchie. Exigeons au contraire que les candidats prennent l’engagement suivant :

« Si je suis élu à la présidence de la république, je m’engage à soumettre en votation populaire durant la première année de mon mandat l’introduction du droit de référendum d’initiative citoyenne suivant : si une proposition de modification de la constitution est soutenue par un million de signatures de citoyennes et de citoyens inscrits sur les listes électorales réunies en 18 mois, alors cette proposition devra obligatoirement être soumise en votation populaire. De plus, toute modification de la Constitution – même voulue par les élus – devra obligatoirement être soumise en votation populaire ».

Voir ici un appel à diffuser, et un argumentaire.

Répondre à ce message #34740 | Répond au message #34734