Y a-t-il une vie après l’Agitateur ?

"L’exercice de la liberté d’expression est toujours difficile."

Interview de Jean-Michel Pinon et Axelle Reboux (seconde partie)
mercredi 12 août 2015 à 07:00, par Mercure Galant

Au cours de ce long entretien, il a été également possible d’évoquer l’actualité culturelle et politique à Bourges ou bien encore de demander à JMP et Axelle Reboux leur point de vue sur l’évolution de la presse et des média. Ce sont les questions principalement abordées dans cette seconde partie.

"L'exercice de la liberté d'expression est toujours difficile."

L’Agitateur : Que pensez-vous justement de l’évolution de la vie culturelle à Bourges ces derniers temps ?

Axelle Reboux : Nous n’habitons plus à Bourges ! (rires)

L’Agitateur : Mais quel est quand même votre point de vue sur des dossiers tels que le Printemps de Bourges, la Maison de la Culture ou la suppression de la biennale d’art contemporain ?

JMP : Dans le discours ambiant il y a cette idée qu’il faut faire des événements populaires. Tout doit être populaire. Les gens qui jugent de ce qui n’est pas assez populaire ont fait de grandes écoles et voudraient conserver l’élitisme pour eux, le "populaire" étant bon pour les autres. À El Qantara on nous reproche d’être élitistes par exemple. Pourquoi n’aurait-on pas besoin de faire des choses de haut niveau dans les quartiers Je trouve totalement stupide de supprimer des événements au prétexte qu’ils ne sont pas assez populaires. Supprimer des événements qui n’attirent pas assez de monde, pourquoi pas ?… Il existe effectivement des critères économiques qu’on ne peut pas contourner, mais plutôt que de supprimer, on pourrait se demander comment faire pour attirer du monde. L’idée ce serait de faire des manifestations élitistes mais pour tout le monde. L’élite pour tous en somme…

L’Agitateur : Tout cela relèverait donc d’un manque d’ambition ?

JMP : Oui très clairement.

L’Agitateur : Comment avez-vous perçu la fameuse « Descente infernale », manifestation largement relayée par la municipalité ?

Axelle Reboux : Dans certaines régions, ce genre d’événement est ancré depuis des années. Ici, c’est arrivé de manière un peu bizarre, comme un cheveu sur la soupe…

JMP : Ce n’est pas mon truc mais cela a intéressé des gens. Il y a eu douze mille spectateurs ! Ceux qui avaient des connaissances techniques se sont impliqué... Alors pourquoi pas ? Mais selon moi, ce n’est pas à une municipalité d’organiser des événements culturels. Je me souviens de ce qu’avait dit Irène Félix quand je l’avais interviewé : « Ce que l’on va juger chez un maire ce n’est pas ce qu’il fait mais ce qu’il ne fait pas ». Alors pourquoi pas la descente infernale... mais sans supprimer la biennale d’art contemporain. Je ne parlerai pas de la suppression du festival écologique qui était très artificiel... Ceci dit il y a un espoir dans la vie culturelle de Bourges car il n’y a plus Philippe Gitton pour qui la Culture c’était avant tout la Maison de la Culture, le Printemps de Bourges et Emmetrop... mais pour les troisièmes je n’en suis pas sûr ! (rires) En fait tout ce qui est très institutionnel. Même si Frédéric Charpagne - le nouveau maire-adjoint à la Culture - n’a pas beaucoup de pouvoir, lui au moins est à l’écoute, a des idées et montre l’envie de faire des choses.

Axelle Reboux : Et puis il n’appartient à aucun parti politique…

L’Agitateur : Alors justement, quel regard portez vous sur l’évolution de la vie politique au niveau local depuis les élections municipales ? Cela vous intéresse-t-il encore ?

JMP : C’est terrible, mais si je refaisais des articles dans l’Agitateur, j’écrirais la même chose qu’il y a quinze ou vingt ans. Ce sont toujours les mêmes ! Du moment, qu’ils ne nous empêchent pas de faire ce dont on a envie et qu’ils ne nous cassent pas les couilles !... (rires)

Axelle Reboux : Jean-Michel a donné beaucoup pour l’Agitateur. Maintenant j’aimerais bien qu’il agisse aussi pour lui. À l’Agitateur vous n’avez pas parfois l’impression de redire encore les mêmes choses ?

L’Agitateur : Il est vrai que JMP a été très productif avec près de 600 articles écrit sur l’Agitateur… Mais si le rythme a diminué au niveau rédactionnel, quelques rédacteurs croient toujours aux atouts d’un site d’informations participatif et indépendant. Et il arrive encore que le webzine subisse certaines pressions…

JMP : Cela ne m’étonne pas. Au début quand je discutais avec les politiciens je me suis rendu compte que dans leur esprit, un bon article était un article qui leur convenait, mais pas forcément un article bien écrit ou bien documenté ! Ainsi le fossé s’est petit à petit creusé. Rémy Beurion avec le site Vierzonitude subit des tentatives de dénigrement perpétuelles…
Ce ne sont pourtant que de petits élus locaux ! Avec eux, il n’y a pas d’espoir.

L’Agitateur : Et du point de vue de l’information sur la toile, comment voyez-vous évoluer les choses depuis votre départ de l’Agitateur ? Les blogs semblent avoir laissé une plus large place aux réseaux sociaux. Mais la nature des échanges y semble différente…

JMP : Au niveau local, je dirai que c’est plutôt positif aujourd’hui, car à moment donné, quand la NR a disparu, il n’y avait plus que le Berry Républicain et donc il n’y avait pas de parole différente. Maintenant c’est quand même plus diversifié. On le voit sur des sujets comme la maison de la Culture. Face aux tentatives de propagande éhontée, certains ont tenté des choses telles que les sites de Gilblog ou de Bourges Bazar . On reproche souvent à la PQR de ne pas s’engager mais quand elle le fait c’est toujours dans le sens des institutions et des élus. Les journalistes ne prennent jamais de risques et s’opposent très rarement. Ceci dit, il y a quand même deux ou trois bons journalistes au Berry parmi les jeunes… Par contre au niveau national, je n’en peux plus de ces informations qui tournent en boucle. Le flot d’informations est démultiplié mais il n’y a pas de fond, on passe sans cesse d’un sujet à l’autre.

Axelle Reboux : Cela répond aussi à une demande du public et peut être à un certain manque d’intérêt de la part de la population…

JMP : Les gens regardent les informations un peu comme une émission de variété en fait. Cela les intéresse s’il y a du suspense, mais l’analyse n’existe pas derrière les images. C’est là que l’on réalise que là où le web ou la télé aurait dû apporter quelque chose, il n’en est rien. On en revient au papier qui permet un sens de l’analyse plus poussé.

L’Agitateur : Rétrospectivement quel a été votre meilleur souvenir à l’Agitateur ?
JMP : Le meilleur souvenir ? Peut-être la série d’interviews réalisée au moment de la campagne municipale de 2008… avec entre autres Félix et Lepeltier qui avaient joué le jeu. Aujourd’hui tout le monde le fait, mais ce n’était pas encore dans la culture du moment de critiquer le maire. Au final, Lepeltier avait apparemment apprécié car nous avions essayé d’être honnêtes dans notre retranscription.

L’Agitateur : Et votre pire souvenir ? Serait-ce la garde à vue suite à la plainte déposée par ce même Serge Lepeltier contre Mister K et vous en 1999 ?

JMP : Moi j’étais un peu plus jeune que Mister K, donc sans doute plus inconscient. (rires) Ceci dit, ce n’est pas forcément le pire souvenir car cette affaire a permis de faire reconnaître l’Agitateur au niveau national. On a rencontré Mourad Guichard de Libé et pas mal d’autres journalistes d’expérience qui nous ont conforté dans ce qu’on faisait… et finalement il n’y a pas eu de procès et puis ensuite Lepeltier est devenu très gentil ! (rires)

Axelle Reboux : Lepeltier, c’est quelqu’un qui a appris je pense… Lancer une diatribe via un journal en politique ça c’est toujours fait.

JMP : Oui, mais les politiciens locaux ont plutôt l’habitude d’avoir la presse locale dans la poche. Les communistes par exemple ne supportent pas le site Vierzonitude de Rémy Beurion.

Axelle Reboux : On nous a également traîné dans la boue avec le Berry Ripou ! On a arraché nos affiches ! Mais on a aussi eu des soutiens inattendus notamment pendant le procès. Jean-Bernard Milliard - adjoint au maire de Bourges - (paix à son âme) voulait qu’on lui dédicace un exemplaire.
JMP : Oui, le jour du procès, Nathalie Bonnefoy - élue de droite - était également heureuse pour nous !
Axelle Reboux : Les autres ça me fait rire de les voir tous défiler pour Charlie !
JMP : L’enseignement à en tirer c’est que l’exercice de la liberté d’expression est toujours difficile. Pour en revenir à la politique culturelle, j’observe à El Qantara le système d’appel à projet. Une association doit répondre à un projet demandé en haut lieu si elle veut pouvoir survivre. Qui sait ce dont a besoin une association à part ceux qui sont sur le terrain ? Pour s’aligner et pouvoir continuer d’exister les structures répondent à ces appels à projet … Petit à petit la structure culturelle dévie car elle passe son temps à rechercher des fonds, à satisfaire des demandes émises en haut lieu mais pas à faire ce pourquoi elle est là et ce en quoi elle croit. Le problème il est là. C’est aux associations de se battre pour dire que ce n’est pas comme cela que ça marche. Elles sont dans un état de soumission permanente. Elles deviennent des services publics "low-cost" parce que l’on demande en haut lieu ce sont des rapports détaillés avec beaucoup d’exigences…pour quatre fois rien ! Mais si c’était l’institution publique qui l’organisait, cela reviendrait dix fois plus cher ! Nous on est le contraire d’un service public, on est plutôt un service très particulier ! (rires) Les politiques sont eux aussi prisonniers du zapping médiatique, il leur faut toujours de la nouveauté alors que nous essayons déjà de mener à bien un projet existant. C’est symptomatique de l’absence de réflexion de cette société où l’on est dans l’immédiateté permanente.
L’Agitateur : En conclusion, quel est votre sentiment sur la survie de l’Agitateur après votre départ ? Est-ce un bien ou un mal ?
JMP : C’est un bien tant que ça arrive à faire chier deux ou trois personnes ! (rires) En fait, il y a beaucoup moins d’articles, mais je dirais que c’est tant mieux car finalement cela va à contre-courant des mecs qui écrivent quatre lignes tous les trois jours !


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