Croisade Croizat avec la CGT 18
On avait vu ça dans le Berry Républicain, en juillet, entre deux confinements : la CGT demandait la création d’une place Ambroise Croizat à Bourges. Bah, pourquoi pas ? une marotte comme une autre. Mais la marotte dérive en véritable « culte de la personnalité »…
Le film La Sociale de Gille Perret avait ressorti Ambroise Croizat de la naphtaline – avec quelques petits arrangements avec la vérité. Malgré cela, le film-docu donnait à voir qu’on avait bien retenu les noms des concepteurs de cette Sécurité sociale qui, en 1945, devait prendre la relève des Assurances sociales tandis qu’on avait un peu passé à la trappe celui qui fut chargé de mettre en œuvre la transition.
Pourtant, ça allait bien de soi de mêler l’architecte et le maçon puisque la poste avait émis un timbre en 2015 pour les 70 ans de la Sécu, avec les têtes de Pierre Laroque et Ambroise Croizat sur le même bout de papier pour 0,68 € (en 2021, le timbre lettre verte passera à… 1,08 € ! ah, la vache !)
Dans le Berry Républicain du 15 juillet, on lit que la CGT du Cher a transmis une demande à la nouvelle municipalité pour qu’une place de Bourges porte le nom d’Ambroise Croizat – depuis, monsieur le maire a répondu favorablement, tout semble aller tranquille. Mais non, ça ne suffit pas.
Dans le bulletin d’août de l’Union Départementale CGT 18 on lit avec étonnement un courrier du petit-fils d’Ambroise Croizat. Pierre Caillaud-Croizat. Celui-ci vient se plaindre dans le bulletin du syndicat CGT : un journal d’extrême-gauche (Lutte Ouvrière) aurait traité le grand-père Ambroise de grand stalinien. Le petit-fils ne digère pas que soit rappelé l’épisode peu glorieux de la « bataille de la production » : de 1945 à 1947, le PCF et la CGT mettaient tout en œuvre pour faire marner honteusement la classe ouvrière et particulièrement les mineurs. Le ministre du travail, Ambroise Croizat himself, était aussi sur le pont pour exhorter les ouvriers à bosser et à ne pas faire grève.
Etonnant, dans un bulletin CGT de 2020 de retrouver des fadaises staliniennes qu’on croyait périmées. Mais bah, c’est le petit-fils d’Ambroise Croizat, pas facile d’admettre cette histoire de la période stalinienne, on comprend ça, oublions.
Et ça enfle, enfle : dans le bulletin de novembre de l’union locale CGT de Bourges, on trouve sur Ambroise Croisat une ? tss, tss… deux ? non-non… trois ? quatre ? même pas, on trouve 5 pages (et sans compter l’édito, même tonneau). Faut bien ça, puisque ça cause même du pacte germano-soviétique (sic ?!). On se croirait dans un bulletin de vieux communistes néo-staliniens. Que dirait-on si il y avait une autre version qui voudrait paraître – rédigée par des trotskystes ? et dans le bulletin... d’un syndicat.
Dans le bulletin de l’UL, il est écrit, pour l’inauguration de la place qui portera le nom Ambroise Croizat : « Lors de cette cérémonie que nous voulons grandiose… » Ambroise Croizat devient un nouveau Petit père des peuples, père de la Sécu. Dans l’article, il est qualifié de « fondateur » de la sécu. N’y aurait-il pas une certaine méconnaissance de l’histoire ? Comment s’en étonner, quand on se range derrière l’historien Michel Etiévent qui a fait d’Ambroise Croizat son fond de commerce.
Otto von Bismarck n’était pas ministre communiste, il fut président du royaume de Prusse. Il avait résumé sa politique : il pratiquait « la politique du fouet et la politique du bout de sucre ». Le bout de sucre, ce fut la création de lois sur la sécurité sociale au milieu des années 1880. L’Alsace-Moselle en profita et resta sous ce régime après son retour en 1918 dans le giron national français. Malgré la création des Assurances Sociales en 1928, de la Sécu en 1945, cette région garda son régime local plus favorable que notre système.
Et ça, sans même avoir besoin d’un Ambroise Croizat ? Lui aussi pratiqua la politique du fouet avec la bataille de la production et la politique du sucre avec la mise en place de la Sécu.
On peut tricher avec l’histoire, on peut oublier, où est donc l’intérêt ? Avant de se lancer impétueusement dans des tartines sur la création de la Sécu, faudrait vérifier un peu ce qui s’est passé.
Georges Brassens avait chanté l idée de Pascal :
Mettez-vous à genoux, priez et implorez
Faites semblant de croire, et bientôt vous croirez
Saint Ambroise, priez pour eux.