La France file un mauvais coton
Ce n’est pas nouveau, le processus a démarré dans les années 80. Mais petit à petit, la politique française penche vers l’extrême-droite. Le dernier projet de loi immigration dite "Loi Darmanin" adopté le 19 décembre 2023 en commission mixte paritaire est la dernière concrétisation en date de l’extrême-droitisation des esprits. Et on peut craindre qu’à l’avenir, les idées de l’extrême-droite continuent à se transformer en textes de loi, textes qui donneront forme à la préférence nationale. La République Française, dont la belle devise "Liberté, Égalité, Fraternité" fait la fierté, a du plomb dans l’aile.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Rappelez-vous en mai 2017, de nombreux français faisaient barrage au Front National et à Marine Le Pen en votant pour Emmanuel Macron qui est donc devenu ainsi Président de la République. Hélas, comme on pouvait s’y attendre et comme Jacques Chirac avant lui en 2002 dans la même situation, le Président de la République a bien vite oublié qu’une bonne partie de ses électeurs n’avaient pas voté pour son projet mais seulement pour éviter le Front National devenu en 2018 le Rassemblement National (RN). Pour faciliter sa réélection, durant tout son mandat, Macron a fait du Rassemblement National son adversaire principal. Résultat, Marine Le Pen a de nouveau atteint le second tour en 2022 mais cette fois avec un score nettement plus élevé qu’en 2017 avec 2,6 millions de voix supplémentaires [1] pendant que Macron perdait lui pas loin de 2 millions de voix. Il faut dire que beaucoup d’électeurs avaient choisi de s’abstenir devant "la reconnaissance" du Président. Le coup de grâce a été donné au Front Républicain quand une partie de la droite "Les Républicains" et des macronistes d’En Marche devenu le parti Renaissance ont préféré s’abstenir lors des élections législatives de juin 2022 lors des seconds tours opposant un candidat du RN à un candidat issu de la gauche. Résultat, pas moins de 89 députés RN ont été élus à l’Assemblée Nationale donnant ainsi à l’extrême-droite un poids historique. Marine Le Pen pouvait remercier Macron et ses sbires. Et ce d’autant plus que Renaissance et ces alliés d’Horizons et du MoDem n’ont pas obtenu la majorité absolue et doivent donc, alternativement, s’en remettre à la droite ou à la gauche pour voter des textes...ou bien faire appel au fameux 49.3 ce dont ils abusent depuis 2022. Conclusion, la pseudo lutte de Macron contre l’extrême-droite est un échec retentissant.
On aurait pu croire que tout cela n’étaient que des manœuvres électorales destinées à conserver le pouvoir coûte que coûte et que cela n’irait pas plus loin. Malheureusement, comme il s’y était engagé, Macron a tenu absolument à faire passer un texte de loi sur l’immigration, un texte dit "équilibré" mais qui ne plaisait à personne à droite et à gauche, et ce pour des raisons opposées [2]. Le gouvernement a donc été mis en minorité sur son texte avec une motion de rejet historique votée par l’Assemblée Nationale. S’il avait été sage, Macron aurait purement et simplement retiré son texte et en serait resté là. Hélas, il a préféré légiférer dans l’urgence sous contrainte d’une droite radicalisée ce qui a donné un texte inspiré des idées historiques de l’extrême-droite avec de nombreux relents de préférence nationale, texte qui traite notamment les travailleurs ou étudiants de façon différenciée selon qu’ils soient étrangers ou non. Depuis, les macronistes jurent que ce n’est pas le cas. Pourtant, tous les signaux vont dans ce sens avec tout d’abord Marine Le Pen qui revendique une victoire idéologique, avec un texte qui ne serait pas passé sans les voix du Rassemblement National qui a voté pour [3], avec ensuite plusieurs ministres qui menacent de démissionner [4], des députés de la majorité qui s’abstiennent ou votent contre et avec enfin la presse étrangère qui souligne la compromission de Macron. On vous passe bien sûr l’opposition de gauche qui se dit scandalisée ou feint de l’être.
Nos valeureux représentants locaux de la majorité présidentielle, François Cormier-Bouligeon et Loïc Kervran qui luttent la main sur le cœur contre l’extrême-droite, ont bien sûr voté pour ce texte, relents nauséabonds inclus. A l’instar des autres députés macronistes, ils auraient pu s’interroger préalablement sur la meilleure façon de lutter contre l’extrême-droite [5]. On est en droit de douter que voter des textes qui contiennent une partie des idées de l’extrême-droite soit la bonne méthode. Au contraire, en validant objectivement leurs idées, ils leur servent ainsi de marche-pieds pour ne pas dire qu’ils leur font la courte-échelle pour 2027. Ils espèrent peut-être que ce déshonneur évitera ainsi une victoire du RN lors de la prochaine élection présidentielle. Ils risquent d’avoir le déshonneur et la défaite face à ce fascisme rampant. Ils ont en tout cas déjà perdu moralement en ce triste 19 décembre 2023.
Alors évidemment, beaucoup espèrent que le Conseil Constitutionnel censurera une partie du texte. Cela ne fera que remettre une pièce dans la machine et donner du grain à moudre à la droite et l’extrême-droite en mettant en évidence la nécessité de changer la constitution pour pouvoir appliquer la préférence nationale. Les idées de l’extrême-droite au pouvoir, nous changerions effectivement de régime politique. D’ailleurs en parlant de remettre une pièce dans la machine, la promesse faite à la droite de Ciotti, de mettre sur la table le sujet de la réforme de l’Aide Médicale d’État dès le début 2024 va bien dans ce sens. Les macronistes sont comme des lapins pris dans les phares de la droite radicalisée et de l’extrême-droite. Pris au piège et aveuglés. Ils participent à faire de l’étranger un ennemi ou un danger. Macron peut encore se rattraper et ne pas promulguer cette loi. Malheureusement, on doute fort d’une soudaine prise de conscience et d’une capacité à se remettre en cause. Pourtant, ce serait certainement salutaire.
[1] 41,45% des voix en 2022 soit 13 288 686 électeurs contre 33,9% des voix soit 10 638 475 électeurs en 2017
[2] Un argument "amusant" des macronistes est que les français seraient majoritairement pour cette loi selon les sondages...c’est marrant car ces mêmes macronistes n’ont pas vraiment tenu compte de l’avis des français dans le cas de la réforme des retraites, comme quoi quand il s’agit de fric on ne rigole pas, mais les droits humains, on peut s’asseoir dessus tranquillement...
[3] Si les 88 députés RN avaient voté contre la loi, il aurait été rejeté avec 261 voix pour et 274 contre
[4] Pour l’instant seul le ministre de la santé Aurélien Rousseau a eu ce courage et c’est tout à son honneur
[5] Certains députés de la majorité se sont abstenus ou on voté contre, c’est bien que c’était faisable...