La grenouille est cuite
Quand on pense au phénomène de l’extrême droite en France, on pense souvent à la fable de la grenouille. Le bocal de la France a (re)commencé à chauffer avec l’extrême-droite, le Front National (FN), au début des années 80, il y a donc plus de 40 ans. À l’époque, nous étions à moins de 40 ans de la fin de la seconde guerre mondiale, beaucoup de gens l’avaient vécu et pour tous, c’était un premier choc. À l’époque, le FN avait dépassé les 10% dans quelques communes et les 30% à Dreux. Depuis, le FN est devenu Rassemblement National (RN).
La claque
Et aux dernières élections européennes, le RN a obtenu en France 31,4% des voix auxquels il faut ajouter celles de Reconquête et ses 5,5% de voix et quelques pourcents de deux trois autres mouvements. Donc oui, en 2024, l’extrême droite a pesé en France autour de 40% des voix près de 80 ans après la fin de la seconde guerre mondiale. Les causes sont certainement multiples mais la droite et la gauche sont coresponsables puisque les uns et les autres ont gouverné sans renverser la situation et ont participé, à leur manière, à ce que l’on a nommé longtemps "la lepenisation des esprits".
La dissolution
Les choses auraient pu s’arrêter là. Nous étions préparés psychologiquement, les sondages, qui se trompent parfois mais pas toujours, donnaient ce type de résultat pour le RN. Tout le monde devait se préparer à la prochaine échéance des élections municipales de 2026 et surtout de l’élection présidentielle de 2027 où tout le monde savait que le virage serait plus que délicat. Sauf qu’en France, on a un Président de la République avec des supers pouvoirs. Et notre président actuel, Emmanuel Macron, a décidé de se servir d’un de ses supers pouvoirs : la dissolution de l’Assemblée Nationale. Assemblée où il avait, avec son parti Renaissance, une majorité relative.
Beaucoup de gens en France, en 2024, pensent ou pensaient qu’Emmanuel Macron est supérieurement intelligent. Pourtant, on a le droit d’en douter : est-ce qu’il y a un pire moment pour dissoudre l’Assemblée Nationale après une rouste pareille où son parti n’a atteint que 14,6% des voix ? Par quel miracle pense-t-il que 3 semaines plus tard, il pourrait renverser totalement la situation ? Une hypothèse peut-être faite : il n’a jamais pensé qu’il pouvait renverser la situation mais, vexé, tout à son ego(ut), il a voulu punir les français qui n’auront que ce qu’ils méritent.
La clarification et l’accélération
Nous voici donc en pleine campagne électorale. Un moment de clarification selon les propres mots de Macron. Et à droite, la clarification n’a pas trainé : le président du parti Les Républicains (LR), Éric Ciotti s’est empressé de s’allier avec le RN de Jordan Bardella. Pour être surpris, il ne faut pas connaitre la droite française depuis les années 90 ou de nombreux militants sont pour un rapprochement de la droite et de l’extrême droite. Il se trouve que Ciotti a été élu par les militants... À gauche, alors que les européennes avaient été l’occasion de se déchirer un peu plus entre les différents partis, les différents mouvements ont réussi l’exploit de s’unir en un temps record : il a fallu 24h pour un accord de principe et un peu plus pour se répartir les investitures. On peut le dire, la gauche a été à la hauteur, au moins dans un premier temps. Depuis, ça c’est un peu gâté mais cette union tient déjà du miracle. Pour le camp des macronistes et du parti Renaissance, on assiste là aussi à une clarification : ceux qui officiellement luttent contre le RN et les idées de l’extrême droite avaient déjà fait des choix aux dernières élections législatives de 2022 en s’abstenant en cas de second tour entre un candidat LFI et un candidat RN. Résultat, le RN avait obtenu plus de 80 députés. Le pacte républicain avait été de fait rompu alors même que Macron avait été élu, face à Marine Le Pen grâce à une bonne partie des voix de gauche. Et c’est bien parti pour être la même chose en 2024. La logique moisie du "ni-ni" des macronistes et centristes ne fait que profiter au RN. Au moins les choses sont claires : entre le RN et la gauche, Macron et ses sbires préfèrent le RN.
Les seuls véritables opposants à l’extrême droite se trouvent donc, a priori, à gauche, de Poutou à Hollande pour reprendre les mots de leurs détracteurs.
Boule de cristal
Alors, que va-t-il se passer ? Difficile à dire tant que les français n’ont pas voté. Au premier tour, le RN devrait finir en tête devant le Nouveau Front Populaire de la gauche et devant Renaissance. Mais les élections législatives sont des élections à deux tours. Un sursaut d’une partie de la droite française et des macronistes est toujours possible. Mais auront-ils la lucidité d’un Dominique de Villepin qui annonce qu’il votera à gauche en cas de second tour face au RN ? Pas sûr. Si l’attitude de la droite républicaine et des macronistes ne change pas, on peut s’attendre au mieux à ce que le RN n’ait pas la majorité absolue. Mais en cas de revirement de l’attitude de la droite et du centre au second tour, on pourrait avoir une gauche en tête. Bon, c’est le cas le plus improbable à part une majorité pour le camp de Macron...
Et dans le Cher ?
Le Cher n’a malheureusement pas fait exception aux européennes : Bardella est arrivé largement en tête avec 37 ;95% des voix devant la macroniste Valérie Hayer (14% des voix) et le socialiste / place publique Raphaël Glucksmann (11,44%). Autant dire que le RN pourrait tout rafler dans le département. Mais les élections législatives ne sont pas les européennes. Dans la très droitière 1ère circonscription, le macroniste François Cormier-Bouligeon a toutes ses chances face au RN : depuis 7 ans, il a donné de nombreux gages à la droite et l’extrême-droite et pourrait très bien ainsi sauver son siège si, au second tour, la gauche s’efface et fait front républicain. Pour Nicolas Sansu, ce sera très compliqué. Mais là aussi, tout n’est pas perdu si le centre et la droite retrouvent leurs esprits au second tour et le soutiennent face au RN...mais ça pourrait être très serré. Pour la 3è circonscription, celle de Loïc Kervran, le risque est grand de voir le RN s’imposer. Là encore, seul un front républicain peut faire barrage au RN...et même là, ce n’est pas gagné.
Et elle devient quoi la grenouille à la fin de l’expérience ?
Ben, elle est cuite au bout de plus de 40 ans, non ? Comme les carottes. La grenouille est cuite, je répète, la grenouille est cuite.