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LEGISLATIVES AVEC LE P.C.F. (3ème PARTIE)

Annie Frison : "Nous n’avons pas assez réfléchi sur la montée de l’extrême droite" (3ème partie)

dimanche 9 juin 2002 à 20:23, par Charles-Henry Sadien

Dans cette troisième partie, Annie Frison et Yannick Bedin dénoncent les relations ambiguës de la droite locale avec le Front National, débattent sur la fuite d’un électorat populaire vers un vote d’extrême droite et plaident en faveur d’une reconnaissance de l’existence d’une "classe ouvrière", qui a été "ringardisée" ces dernières années, et s’interrogent sur la crédibilité de Jacques Chirac en cas de victoire de la gauche aux législatives.

1ère partie : Le Parti Communiste fait son bilan

2ème partie : Les communistes veulent décomplexer la gauche

3ème partie : Annie Frison : "Nous n’avons pas assez réfléchi sur la montée de l’extrême droite"

4ème partie : Yannick Bedin : "J’espère que nous allons sauver notre député communiste dans le Cher"

La droite locale est assez singulière...

Yannick Bedin : Dans ce département, il y a un bouillon de culture droite-extrème droite phénoménal. Thomas-Richard, Fromion, Lepeltier...

Annie Frison : et Alain Tanton !

Yannick Bedin : ... On est loin d’une droite claire. Il suffit de se remémorer ce qui s’est passé aux Régionales ou aux municipales. En 1995, Bourges était l’une des six villes où Jean-Marie Le Pen a apporté son soutien au candidat de la droite républicaine. On ne peut pas ne pas penser à des contreparties. C’est honteux pour le département d’avoir cette droite qui entretient la confusion. C’est un jeu très malsain.

Il y a eu cette fameuse déclaration de Serge Lepeltier en tant que Président du RPR estimant qu’il était moins grave de favoriser l’élection de quelques députés d’extrême droite plutôt que de risquer un gouvernement socialiste...

Yannick Bedin : Ce qui fait que je suis inquiet, c’est que je pense que les déclaration de M. Lepeltier ne sont pas une gaffe. C’est un ballon d’essai. Il valait mieux que ce soit un second couteau comme lui qui le lance. C’est une manière de dire aux élus qui veulent tout faire pour sauver leurs sièges, qui sont prêts à toutes les contreparties, à toutes les compromissions : "A Paris, il y en a qui y pensent". En disant cela, le RPR ne donne pas carte blanche mais il indique que les chefs planchent sérieusement sur la question.

Annie Frison : Malgré la candidature unique à gauche, cette situation parait très inquiétante, car à cela s’ajoute un nombre très important de candidats. Qu’est-ce que cela va donner ? Pour se maintenir au deuxième tour il faut tout de même 12,5% des inscrits. C’est énorme au regard de la multiplicité des candidatures.

La candidature unique provoque tout de même quelques incohérences. Dans le cher, M. Ledoux (Verts) a été désigné comme candidat unique de la gauche alors que sont parti n’a recueilli que 4% des voix aux présidentielles dans la circonscription où il se présente... Cela ne revient-il pas à apporter la victoire sur un plateau au représentant de la droite extrême, Yves Fromion ?

Yannick Bedin : C’est clair, sa candidature ne pèse pas beaucoup. Sur cette circonscription, on est dans le "donnant-donnant". Les Verts réclamaient cette première circonscription, le PS et le PC réclamaient autre chose ailleurs... Pour nous, cela permettait d’avoir Jean-Claude Sandrier pour candidat de la gauche unie. C’est un peu du marchandage. On en est là. Il faut se battre maintenant pour M. Ledoux. Selon moi, il était une nécessité de faire l’unité là où il y avait des députés de gauche sortants. Ailleurs, il fallait présenter des candidats avec des suppléant ayant une couleur politique différente.

Annie Frison : Cela ne s’est pas encore fait, mais c’est une bonne idée.

Yannick Bedin : Oui, car ce que l’on constate, c’est que chacun fait un peu campagne dans son coin. C’est dommage. Dans la première circonscription que vous évoquez, la victoire était jouable. Si Irène Félix s’était maintenue, nous aurions proposé un ticket Verts-PCF. Ça ne s’est pas fait On va dire que c’est de l’histoire ancienne. Ces candidatures uniques vont remobiliser l’électorat qui s’est fait une frayeur aux présidentielles. Mais cela ne remobilisera pas l’électorat qui a fuit vers le FN, l’abstention ou l’extrême gauche.

Un moyen de motiver les électeurs de gauche serait de réclamer clairement la démission de Jacques Chirac en cas de victoire aux législatives ? Lui même avait affirmé avant le premier tour, qu’en cas de cohabitation, il en tirerait toutes les conséquences personnelles qui s’imposent. Les électeurs ayant voté par force pour Chirac seraient peut-être motivés de voter aux législatives pour le faire "désélire " ?

Yannick Bedin : Si tel était le message, cela motiverait encore plus (rires). Je crains cependant que l’élection de Jacques Chirac soit une élection par convenance personnelle plus que par idéal. C’est criant. On a un Président discrédité par toutes ses casseroles. Je ne fais pas un dessin, car sur L’Agitateur vous en faites déjà pas mal là-dessus. Mais je ne crois pas à la démission de Chirac en cas de cohabitation, même si je la souhaiterais. Mais il y a trop de choses derrière qui l’attendent pour qu’il fasse cela.

Sur l’hypothèse d’une démission de Jacques Chirac, François Hollande est apparu un peu frileux...

Annie Frison : Est-ce que les gens accepteraient de nouvelles élections ?

Yannick Bedin : J’espérais avant le 5 mai que Jacques Chirac promettrait un réforme constitutionnelle. Je suis favorable à une Sixième République. Il y a besoin de réformer nos institutions. Mais Chirac n’a même pas le courage d’annoncer cela. C’est un Président qui a été élu suite à une crise politique forte et il ne propose pas de solution à cette crise. Il y a un consensus autour de ça, y compris à gauche où ceux qui parlent d’une Sixième République sont minoritaires. Ce qui est détestable, c’est que cela renforce l’idée d’une connivence entre les états-majors qui se partageraient le gâteau. C’est ce sur quoi surfe Jean-Marie Le Pen.

Annie Frison : On ne parle que de cohabitation ou non comme si c’était le sujet le plus important. Le sujet le plus important, c’est de prendre des mesures pour améliorer la vie des gens. A partir du moment ou le débat ne reste que sur la cohabitation, cela ne peut que renforcer le mécontentement des gens. Ça me fait très peur, car cela renforce l’idée d’un vote aux extrêmes ou l’abstention.

Yannick Bedin : En parlant d’extrêmes, je pense que l’on ne peut pas mettre la LCR et le Front National dans le même sac.

Annie Frison : Je pensais surtout à Lutte Ouvrière. Si tu préfère, je parlerais de vote protestataire, car dire que la LCR est à l’extrême gauche n’est pour moi pas péjoratif.

Yannick Bedin : On pourrait se demander si le vote FN est encore un vote protestataire. La structuration du vote FN depuis dix ans pose pas mal de questions entre le vote d’adhésion et le vote de contestation. Je pense qu’il y une sédimentation du vote Front National.

Annie Frison : C’est un gros problème, nous n’avons pas assez réfléchi, même au Parti Communiste sur cette montée de l’extrême droite. On en a parlé le 21 avril, mais il n’y a pas eu une poussée énorme. Le vote FN existait massivement bien avant.

Le vote populaire se tourne beaucoup vers l’extrême droite...

Yannick Bedin : Si on prend les catégories populaires, qui votent à l’extrême droite, c’est là que se pose la question d’un Parti Communiste et de sa crédibilité révolutionnaire. A mon avis, les électeurs issus du monde du travail de la précarité, du chômage qui votent pour le Front National, c’est à dire pour un milliardaire aux antipodes de leurs préoccupations, sont des gens qui ont perdu leur identité sociale. C’est un parti où il y a de vieilles bases légitimistes, royalistes insupportables et complètement anachroniques. Ce n’est pas normal qu’une famille dans le quartier des Gibjoncs puisse se reconnaître là-dedans. Ces gens là ont perdu ce que le Parti Communiste leur donnait, c’est a dire une identité de classe très forte. Même si le racisme a toujours existé dans la classe ouvrière, il y a quelques décennies, tous étaient fières d’appartenir au monde ouvrier. Ils ne revendiquaient pas leur pauvreté ou leurs problèmes...

Annie Frison : ... Mais il y avait une certaine dignité.

Yannick Bedin : Ils avaient conscience de ce qu’ils étaient comme force sociale. L’abandon par le Parti Communiste de certaines notions sous prétexte que c’était ringard auprès d’une partie de la presse, a contribué a faire perdre des repères à une partie de la population de France.

Y-compris l’attitude du Parti Socialiste clamant la disparition de la classe ouvrière.

Yannick Bedin : Au sein même du Parti Communiste, nous avons tenu à un moment donné ce discours. Lors du mouvement de 1995 contre le plan Juppé, ceux qui sont descendus dans la rue, ce sont les cheminots. Et les cheminots, ce sont des ouvriers. Ces gens là ont été ringardisés en 1995. Il faut à nouveau se demander qui fait tourner la société. Qui fabrique cette table, qui fabrique ce banquette, ce micro ? Il faut revenir à une analyse Marxiste adaptée à notre temps. La richesse dans notre société est encore produite par le travail des hommes. Ce sont les ouvrières de Moulinex qui sont au smic depuis vingt-cinq ans et qu’on balance. Il faut revenir à ça et ne pas laisser ce type de discours à Lutte Ouvrière.