EDITORIAL JANVIER 2003

Je sais.

vendredi 3 janvier 2003 à 15:11, par Mister K

On sait tous qu’on ne sait rien, ou presque. On sait presque tous qu’on ne sait presque rien. Voila qui est plus précis. Maintenant, le "rien" est relatif. Oui, je sais, cet édito est vraiment mal parti. En effet, je ne suis pas en train d’inventer la poudre. Et pourtant, en ce moment, on ne peut pas dire qu’on ne nous en mette pas plein les yeux, de la poudre. Je sais, les doubles négations, c’est difficile à lire, on peut les éviter. Mais franchement, là, je n’ai pas envie. Léviter, oui, ça pourrait être sympa, pourquoi pas ? Mais attention à l’atterrissage !

Ce qu’il y a de bien quand on plane, c’est qu’on se fout de tout. Personnellement, c’est en général le matin que je plane le plus. On me dit "Bonjour, ça va ?". Et devinez, ce que je réponds : "ça va, et toi ?". En général, on me répond "ça va". Parfois, on ne me répond pas. Je ne sais pas vous, mais moi, quand on me répond "ça va", je ne le prends pas pour argent comptant. Je veux dire que par-là, que dans mon cas, je dis souvent "ça va" par automatisme. Souvent, ça ne va pas du tout, mais ce serait trop long, trop difficile à expliquer. Souvent, d’ailleurs, mes interlocuteurs se foutent un peu de savoir comment je vais. Et vice-versa. En plus, vous le savez, si je commençais à me plaindre, on me mettrait vite dans la catégorie des gémisseurs, voir pire, dans la catégorie des pessimistes.

L’époque n’aime pas les pessimistes. Je devrais d’ailleurs être positif et dire l’époque aime les optimistes. Bref, l’époque aime se contempler dans le miroir, et tente d’y voir le beau et d’évacuer le reste (les clodos, les homos, les immigrés, les prostitués, que sais-je encore...). On n’aime pas trop se voir les deux pieds dans la merde. C’est comme ça qu’on se force à être plein d’optimisme quand on attaque une nouvelle année. On se dit, bon en 2002, Le Pen à fait deux fois 20%, mais en 2003, ce sera mieux, il fera 0%, vu qu’il n’y a pas d’élections. On oubliera gentiment que Sarkozy à plus de 50% d’opinion positive dans les sondages. On se consolera doublement en se disant que les sondages ne valent rien. On a beau savoir que la popularité de Sarkozy relative à son action c’est peut-être pire que Le Pen à 20%, mais on fait abstraction. Allez savoir comment le cerveau humain fonctionne, ou pire, comment la conscience collective fonctionne ! Non, on ne peut pas vraiment parler d’inconscience, mais presque.

En 2003, en France, on espère que personne ne crèvera de froid dans la rue. Pourtant, on sait que cela arrivera. On sera tous très choqués. Et puis on oubliera jusqu’à l’hiver prochain. Notre capacité à oublier ce que l’on sait, ou faire semblant de ne pas savoir est assez importante. C’est finalement, un bon alibi. Pourtant, c’est fou ce que le peu qu’on sait peut avoir des conséquences. Du coup, on peut vite être tous coupables. Ben, oui. Comme moi, vous savez, vous saviez, mais vous n’avez rien fait. Mais coupable de quoi, au fait ? Un peu de tout finalement. Peut-être d’avoir fermé les yeux quand on a tenté de vous mettre de la poudre aux yeux.

Alors, que faire ? Décréter la délation comme une attitude d’intérêt public ? Pff ! ... Malheureusement, les Français seront toujours plus prompts à dénoncer leur voisin qui truande le fisc qu’à dénoncer les véritables scandales nationaux ou les injustices les plus flagrantes. C’est ainsi. Il est vrai que les symptômes cliniques d’amnésie sont souvent doublés de crises de fatalisme. Je sais...