Le temps presse.
Petite devinette : quel est le rapport entre la peut-être future/nouvelle guerre du Golfe, la polémique sur le journal "Le Monde", le film de Michael Moore "Bowling for Colombine", le livre de François Ruffin "Les petits soldats du journalisme", la loi sur l’économie numérique qui vient d’être votée à l’assemblée nationale...je m’arrête là, la liste pourrait être longue.
Prenons le cas de la crise Irakienne. Aux Etats-Unis, alors que la population semble relativement partagée sur l’opportunité d’un conflit avec l’Irak, la presse dans sa grande majorité, a pris la défense la politique de Bush. Tout américain (états-uniens devrais-je dire...) a bien entendu le droit de s’exprimer contre cette guerre pour laquelle "on" prépare l’opinion, mais il devient de fait "un mauvais américain", un paria. Tout du moins, c’est le message qu’essait de faire passer une partie des éditorialistes américains pro-guerre. C’est d’autant plus grave qu’on s’apercoit qu’au final, ce genre de campagne est mené par de grands groupes de communication qui mélangent allègrement information, intérêts économiques et relations politiques. Vu d’ici, on s’en amuse ou s’en agace quand "une certaine presse" vient s’en prendre à la France, n’empêche que les mêmes travers nous ont déjà touché ou nous guettent. Les Etats-Unis exportent dans le monde entier leur image, leur soif de démocratie (et de Coca-Cola), mais ce qui se passe actuellement aux USA est-il réellement digne d’une démocratie, quand on en vient a un quasi délit d’opinion qui ne dit pas son nom ?
Revenons à nos moutons franco-français. La liberté de la presse, comme dans de nombreuses démocraties, y est célébrée. Si, d’un point de vue politique, il est vraisemblable que les médias d’information n’aient jamais été aussi libres qu’à ce jour, d’un point de vu économique, c’est exactement le contraire. Une entreprise de presse est une entreprise comme les autres, soumise aux pressions des actionnaires et à la dictature de la rentabilité. Et les plus grandes écoles de journalisme préparent essentiellement les futurs journalistes à cette réalité, bien avant toutes autres considérations éthiques, c’est en tout cas l’un des grands enseignements du récent livre de François Ruffin [1]. Alors, bien sûr, rien de bien nouveau la-dedans (les professionnels de la profession ne seront pas surpris), mais cette source de compromission est forcément un frein à la liberté d’expression des journalistes. Dans l’affaire du journal "Le Monde", l’attaque contre quelques personnalités fait diversion et oublie par là-même de mauvaises pratiques qui sont mises en avant dans de nombreux ouvrages depuis quelques mois [2].
Dans ces conditions, les journaux web indépendants (notamment de toute pression économique) pourraient apparaître comme le rempart à certaines dérives de la presse institutionnelle. Hélas, pour l’instant, c’est plutôt mal parti ! Pourtant, ce n’est pas l’envie qui manque, mais bien les moyens, et plus exactement le temps. Forcément, faire vivre un journal en dehors des circuits économiques, ça ne permet pas de manger...
Et puis, quand ces journaux tentent d’échapper aux pressions économiques, c’est la justice qui les rattrappe comme le journal Fakir à Amiens menacé de plusieurs milliers d’euros d’amende dans deux procès. Et comme si ça ne suffisait pas, l’assemblée nationale vient de voter une loi qui permet à quiconque, par simple lettre recommandée, de faire pression sur les hébergeurs internet pour faire retirer des contenus génants à leurs yeux [3]. Bienvenue dans un pays de démocratie, de justice...et de pognon, car au final, c’est bien le pognon que vous avez ou non en poche qui fera la différence.
Alors, une autre petite devinette pour la route ? Quelle est la différence entre journalisme et communication ?
Et quel est le rapport entre Jean-Pierre Raffarin et la communication ?
[1] Les petits soldats du Journalisme, de François Ruffin. Editions Les arènes , février 2003, 271 pages, 15 Euros
[2] - Bévues de presse. L’information aux yeux bandées, de Jean-Pierre Tailleur. Editions du Félin, février 2002, 239 pages, 19,80 euros.
– Bien entendu c’est off : ce que les journalistes ne racontent jamais, de Daniel Carton. Editions Albin Michel, janvier 2003, 200 pages, 15 euros.
– La tyrannie de la communication, d’Ignacio Ramonet. Editions Folio Actuel (Poche), 290 pages, 6,40 euros.
[3] L’Agitateur est signataire de deux pétitions qui s’opposent à cette loi, synonyme de justice privée :
– La pétition de l’Iris
– La pétition de l’association ODEBI