EDITORIAL DECEMBRE 1998

Le personnel de l’Agitateur est en grève !

mardi 1er décembre 1998 à 00:00, par Charles-Henry Sadien

Il n’est vraiment pas facile de nos jours d’être le patron d’un grand organisme de presse. De par mes hautes responsabilités, je me dois de faire face régulièrement aux mouvements sociaux au sein de la rédaction de l’Agitateur.

Le personnel de l'Agitateur est en grève !

L’autre jour, je préparais bien tranquillement un article sur les sadoscatomasochistes, quand soudain, le stylo bleu, excédé, a refusé d’écrire. « J’en ai assez de ne me consacrer qu’à des tâches ingrates ! », m’a-t-il dit. Et de poursuivre : « Pourquoi suis-je toujours utilisé pour écrire des insanités ! Moi qui rêve d’être au service d’un Flaubert des temps modernes, je me retrouve assujetti à un petit scribouillard pervers qui ne jure que par le pipi caca popo ! » Comme je ne suis pas d’un naturel susceptible, je lui ai fait remarquer qu’il n’était qu’un vulgaire stylo bic, et que les grands de ce monde ne faisaient appel qu’à des stylos plûmes sortant de grandes écoles comme Reynolds, ou Waterman. Mais comme monsieur le stylo crâneur ne voulait rien entendre, je l’ai viré : direction la poubelle.

Je croyais bien alors pouvoir étaler ma prose cradolique sur mon petit cahier Clairefontaine, mais hélas, j’ai commis une grossière erreur stratégique : j’ai utilisé le stylo rouge. Celui-ci m’a immédiatement fait remarquer qu’il n’était payé que pour souligner des titres ou effectuer des corrections, mais en aucun cas pour rédiger. J’ai alors tenté de l’amadouer en lui expliquant que je devais faire face à une pénurie momentanée de personnel du fait de mon altercation avec le stylo bleu. Que n’avais-je pas dis ! Le stylo rouge a réclamé la réintégration immédiate du stylo bleu au sein de l’équipe de l’Agitateur, et comme je refusais de revenir sur ma position, il a immédiatement décrété une grève générale. Le stylo vert, le stylo noir, la règle, le tube de colle, et même ma fidèle trousse, tous ont sauté de mon bureau pour manifester par terre. Comme c’est souvent le cas, la grève a dégénérée : on ne comptait plus les tâches d’encre sur la moquette et sur les murs. Je n’ai alors eu d’autre solution que de faire appel aux forces de l’ordre.

La femme de ménage a donc débarquée, mais elle n’était munie que d’un simple chiffon à poussière. Rapidement débordée, il lui a fallu s’employer à des méthodes que je réprouve comme tout bon démocrate, mais qui étaient pourtant parfaitement adaptées à la situation : projection d’eau de Javel, de détergents et autres armes chimiques sur les casseurs. L’aspirateur est venu à la rescousse, et là, les feuilles rebelles ont voltigées, les stylos à encre snipers qui se cachaient en haut des armoires ont été délogées sans ménagement. Le stylo rouge qui a été interpellé avec plusieurs grammes d’alcool dans l’encre a été présenté au Tribunal Correctionnel de Bourges en comparution immédiate. Il a été condamné à 350 heures de travaux d’intérêts généraux à effectuer dans l’éducation nationale. Il aura la charge de la correction des dictées dans une classe d’adolescents en grand retard scolaire.

Voilà qui devrait le mater ! Comme le dit mon copain président de l’ex-CNPF, aujourd’hui n’est plus ce qu’il était.