EDITORIAL JANVIER 2001

A propos de mon angine.

lundi 1er janvier 2001 à 00:00, par Charles-Henry Sadien

La nuit dernière, j’ai fait un drôle de rêve. J’étais dans mon lit et la mort venait me chercher. Alors que je m’attendais à rencontrer un type sans visage avec un corps squelettique, tenant entre ses mains une faucheuse abracadabrantesque, c’est une toute autre vision qui m’apparut.

La mort prenait les traits d’une jeune femme à la beauté singulière. Quiconque n’y prenait pas garde pouvait se noyer dans la profondeur de son regard bleu azur. La blancheur de sa peau était telle qu’elle paraissait transparente et que l’on pouvait deviner la lueur bleutée de ses veines qui contrastait avec le rouge vif de ses lèvres carnivores. Son souffle sibérien pouvait vous tétaniser alors que sa chevelure blonde et sauvage pouvait vous lier pieds et poings, puis vous étouffer sans que vous n’en ressentiez aucune souffrance. En posant ma tête sur sa poitrine, j’ai même pu constater que son coeur (si elle en avait un), ne battait pas. Aucun doute possible : je venais enfin de rencontrer la femme de ma mort.

Renseignement pris, il ne s’agissait pas de la mort en personne, mais simplement de sa compagne. Avec un fort accent berrichon, elle m’expliqua en effet que son mari était trop occupé à cause d’une sombre histoire de génocide. Sans que personne ne s’en émeuve, des milliers de vaches étaient à cette heure exécutées de la façon la plus barbare qui soit, simplement parce que quelques unes d’entre elles ne tenaient plus sur leurs petites guiboles. La race humaine se sentait menacée par quelques dizaines de vaches aux papattes branlantes. Connaissant l’immense empire bovin (dont certains affirment qu’il détiendrait de l’arme nucléaire), il ne faut prendre aucun risque.

Egoïste que je suis, je ne me suis pas lamenté une seconde sur ces pauvres vaches, et je n’ai songé qu’à sauver ma peau. « Comment ça ? Mon heure est déjà venue ? Mais je suis bien trop jeune pour mourir ! ». Sa réponse ne me laissa aucun espoir quant à la nature de ses intentions : « Comme tu le vois, je fais en ce moment le boulot de mon époux. Autant joindre l’utile à l’agréable. Tu ne crois quand même pas que je vais m’embêter avec des petits vieux tout ridés dopés au viagra ? ! ». Ça allait être ma fête.

J’ai pourtant essayé d’argumenter. « Sans vouloir vous offenser, ce n’est vraiment pas le moment pour moi, d’accepter votre invitation au voyage vers les mystérieuses sphères de l’au-delà. Il me reste encore pas mal de forfaitures à accomplir impunément sur cette planète endormie. De plus, j’aimerais être encore de ce bas monde pour fêter la défaite de la droite singulière à Bourges lors des élections municipales. J’aimerais aussi savoir quelles seront les prochaines catastrophes qui mettront les médias en émoi et feront grimper leurs courbes d’audience ou leurs ventes. En toute modestie, je pense qu’il n’y a pas suffisamment de mauvais esprits sur terre pour vous permettre le luxe de rappeler le plus vil et le plus maléfique d’entre-eux. »

Mais mon vibrant plaidoyer pour moi-même laissait visiblement madame la mort de marbre. A mesure que son corps se penchait sur moi, je sentais mon esprit se détacher de mon envelopper charnue, et s’envoler dans le ciel épais de nuages noirs, à moins qu’il ne s’agissait de la fumée des pots d’échappement des bus de la Compagnie des Transports de Bourges.

J’y ai croisé le Père Noël avec son masque à gaz, conduisant des rennes transgéniques à huit pattes. Je suis même allé à hauteur de la station Mir Laine, chargée d’étudier la planète des singes et je crois avoir aperçu la fille de Yves Montand qui suçait des berlingots sur une météorite.

Pendant ce temps, madame la mort s’acharnait sur mon pauvre corps maculé de poudre de cacao, de résidus de meringue et de crème chantilly. Alors qu’elle m’administrait avec délectation le langoureux baiser de la mort, son téléphone portable avec liaison internet sonna. Sa présence était requise de toute urgence en territoire palestinien. « C’est une aberration ! », s’est-elle exclamé, déplorant au passage un manque cruel de main d’oeuvre et les charges trop importantes pesant sur ses frêles mais douces épaules.

En me réveillant, je me suis rendu compte que j’étais allongé nu dans la neige, sur les marches de la cathédrale Saint Etienne de Bourges. Mon téléphone portable sonnait dans le vide intersidéral. Une petite mamie me demandait si j’avais besoin d’aide en léchant mes marrons glacés. J’avais 40 de fièvre et des amygdales grosses comme des pastèques.