La tyrannie de l’humour au cinéma
Plus la société est malade, plus elle a besoin de rire. A voir la déferlante des films de comédie proposés ces dernières années sur le grand écran, il faut croire qu’elle est particulièrement mal en point. Problème : alors qu’autrefois l’humour mettait en évidence et dénonçait les travers d’un monde qui ne tourne pas toujours rond, il ne représente plus aujourd’hui qu’un justificatif et un renforcement des symptômes de notre quotidien fait de moralisme, d’infantilisation, d’insipidité et d’anti-conformisme convenu.
« Par le rire, on peut tout dire ». Alors pourquoi les comédies au cinéma sont-elles si creuses ? La question telle que formulée mérite d’abord d’être distinguée de celle, récurrente et d’un intérêt tout relatif de savoir si l’on peut rire « intelligemment ». Car le rire passe inévitablement quelque part dans le cerveau avant de provoquer d’irrésistibles contractions au niveau de l’abdomen, accompagnées de rictus incontrôlables au niveau du faciès et parfois de la sécrétion d’un liquide salé produit par deux glandes situées sous les paupières au-dessus des globes oculaires, voire, chez les femmes, de légères fuites urinaires. A moins d’être un dément - ce qui peut être le cas de manière permanente ou passagère - il n’est pas possible de rire sans raison. L’absurdité ou la vulgarité, ingrédients humoristiques souvent décriés par des intellectuels de profession, doivent inévitablement passer par une étape cognitive pour provoquer le rire. Il n’existe pas d’humour « intelligent » à dissocier d’humour « bête », mais un seul et unique humour « sensible », accessible selon le degré de sensibilité plus ou moins étendu de chaque individu.
LAVANDE EN POULPE. L’humour au cinéma, c’était mieux avant ? On entend déjà les « anciens », vantant le talent d’un Louis de Funès donnant une image a la fois terrifiante et juste de la bourgeoisie française. On repense aux vieux films de Bourvil ou de Fernandel pleins de poésie qui sentaient bon les robes à fleurs et le pinard associé au saucisson sec et à la baguette de pain. On revoit les images de la satire sociale de Coluche... Oui, mais bon. Il y a aussi ces séries dites cultes, « Les bronzés font ceci, les bronzés font cela », qui dépeignent la vie romancée d’une bande de crétins d’où découle peut-être aujourd’hui la real-tv. Et puis il y a ces nanars aux titres à rallonge du style « Arrête de ramer, t’attaque la falaise », qui ne valent pas mieux que « Ma femme s’appelle Maurice » et beaucoup moins que le très touchant « Moi, César, 10 ans et demi 1m39 ».
Alors, où est le malaise ? Regardons-nous tout d’abord le nombril. Le cinéma français manque d’inspiration. Il vit sous la perfusion de la télévision. En effet, les acteurs français spécialisés dans le domaine du rire provoqué qui sont le plus en vogue actuellement, sont tous passés de la radio à la télévision et de la télévision au cinéma. Certains ont transité par le théâtre afin d’obtenir une certaine crédibilité pour « faire du cinéma » ou « en refaire » après un échec retentissant dans ces salles de plus en plus impersonnelles ou l’on observe des images à vocation artistique en se gavant de pop-corn et de boisson impérialiste.
GAMINERIES. Involontairement, Canal+ et la chaîne Comédie ont fait beaucoup de mal au cinéma comique. Le succès télévisuel des Nuls puis de leurs héritiers, Djamel, Les Deschiens, Les Robins des Bois et consors a pu être perçu par les producteurs comme une manne financière inespérée pour un cinéma français plutôt morose, fortement concurrencé par les productions d’outre Atlantique. Chaque comique de télévision s’est donc vu ouvrir les portes du septième art pour passer de la réalisation de sketchs de quelques minutes à celle de longs métrages. Le résultat est souvent drôle et réussi mais il s’agit essentiellement d’un assemblage de gags et de jeux de mots greffés sur un scénario plus ou moins bien ficelé adapté spécialement aux registre des facéties de la star de télévision, « d’Astérix » à « La Tour Montparnasse infernale » avec Eric et Ramzy. Le comique utilisé se base énormément sur des concepts infantilisants et surnaturels à l’image du film « Didier » dans lequel un chien qui joue bien à la baballe se transforme soudain en un footballeur d’exception au Paris SG. Même constat dans les films des Robins des Bois où les acteurs ressemblent à des débiles légers et provoquent le rire en se comportant comme des enfants dans des corps d’adultes. Le prochain film avec les Robins « RRRRRRR ! ! » en cours de tournage depuis le 15 avril, poussera plus loin encore le retour aux sources, puisque l’histoire se déroulera à l’ère préhistorique.
Avec le film « Mais qui a tué Pamela Rose ? », Kad & Olivier exploitent le même filon en jouant le rôle de deux flics en apparence plutôt loufoques et immatures qui doivent résoudre l’énigme d’un meurtre. Là encore, une succession de sketchs ne fait pas forcément une bonne comédie puisqu’il s’agit d’une énième parodie de films policiers. Certes, la société américaine, à travers ses médias ou sa police, est quelque peu tournée en dérision, mais en cela, le réalisateur Eric Lartigau enfonce les portes ouvertes. L’humour potache est largement éculé au travers de films comme « Le bison » et « Filles uniques » (qui ont tous deux le même scénario : deux personnes radicalement différentes vont finir par s’apprécier), ou encore « Les Côtelettes » de Bertrand Blier avec Philippe Noiret et Michel Bouquet.
A l’inverse, l’humour satirique de Karl Zéro n’a jamais été transcendé au cinéma alors qu’il n’a été gardé des « Guignols de l’info » que la notion de comique de répétition inspiré par le succès du fameux « ben pourquoi ? » de la marionnette de Jean-Pierre Papin. L’humour (faussement) impertinent d’aujourd’hui est représenté par Michel Muller et Mickael Youn. L’un scandalise grâce à sa sensibilité pipi-caca-hémoglobine, l’autre choque par son aptitude à se dévêtir en moins de deux secondes sur les plateaux de télévision et à gesticuler dans tous les sens comme Antoine de Caunes... ce qui lui a tout de même permis de faire « La beuze ».
POLITIQUEMENT CORRECT. Avec le cinéma américain, la comédie s’est imposée dans le monde au détriment du « film comique » pur. Rire est devenu vulgaire. Il faut « sourire affectueusement ». La comédie vise à provoquer chez le spectateur des émotions contradictoires au travers de situations comiques et dramatiques suscitant des rires et des larmes, stimulant de la joie et de la tristesse. C’est une soupape de sécurité dans un monde où il est convenu de cacher son émotivité pour « réussir ». Ainsi, le scénario de « Coup de foudre à Manhattan » n’est qu’une version remasterisée de celui de « Pretty Woman », lui-même chipé à un conte de notre enfance, Cendrillon. C’est du déjà vu, on connaît la fin, c’est cul-cul... et pourtant, rien à faire, on rigole et on pleure, à moins de s’appeler Jean-Pierre Raffarin, Alain Juppé, Edouard Balladur ou Lionel Jospin.
Les mécanismes de l’émotivité auraient pu être finement analysé dans « Self control » de Peter Segal. L’idée de départ est intéressante. Dans un monde superficiel et individualiste, un homme, issu du milieu modeste de Brooklyn qui a appris à cacher ses ambitions personnelles et à être un bon petit soldat de la société libérale, va apprendre malgré lui à perdre la maîtrise de ses émotions pour s’imposer dans sa vie professionnelle et dans sa vie privée. Dès lors qu’il parvient à dire à une femme à la beauté confondante mais bête comme ses pieds (encore un cliché éculé du cinéma) qu’il est sur le point d’« exploser dans son pantalon » et qu’il rabat le caquet de son directeur (qui le mérite bien), sa vie devient jouissive. En filigrane, aucune critique mais au contraire un cautionnement moral implicite de cette société post-moderne où il n’y a pas de place pour la fragilité et le doute, où celui qui ne cherche pas à s’imposer en écrasant l’autre, n’arrive à rien. Pour faire avaler la pilule, le réalisateur balance quelques gags assez peu originaux avec des pistolets à eau, les caricatures habituelles de travestis et les scènes sans intérêts construites uniquement pour permettre quelques clins d’oeils avec le passage épisodique de quelques personnalités dans le film. Seul le sourire carnassier et les sourcils pointés du Docteur Buddy Rydell, incarné par Jack Nicholson parviennent à créer un effet comique efficace, ce qui est quantitativement un peu léger. Il y avait pourtant de la place pour une critique acerbe et universelle de la société ultra-libérale.
Même constat d’échec avec « Attrape-moi si tu peux ». Là encore, le scénario aborde une des perversions de notre monde contemporain, en l’occurrence, « l’habit fait le moine ». Mais les seuls moments pertinents du film sont ceux qui montrent les prisons françaises comme des lieux insalubres dignes des goulags de Staline. En dehors de ce seul moment d’humour ( ?) grinçant, on rigole franchement et avec plaisir mais on ne s’enrichit de rien du tout. Un bon moment s’est écoulé. Point, à la ligne. Le rire ne sert plus à critiquer, mais à faire la morale à l’instar de « Comment se faire larguer en dix leçons » de Donald Petrie où il est inculqué l’idée affreusement banale selon laquelle l’amour revêt une importance que la réussite sociale
Y-A-T-IL UN PILOTE DANS L’AVION ? « Par le rire, on peut tout dire ». Le problème, c’est qu’aujourd’hui, au cinéma, on ne dit plus rien en se perdant soit dans les mots soit dans les gags ou dans les deux à la fois. La satire politico-sociale n’a pas le vent en poupe. Il y a pourtant largement matière à rire des absurdités et des injustices de ce monde. Paradoxalement, les humoristes de cabaret, les impitoyables chroniqueurs radio et les journalistes à la plume tranchante comme une lame de rasoir ont encore la côte lorsqu’il s’agit d’endosser l’habit du fou du roi. Mais le cinéma, englué dans son escalade aux budgets démentiels, au spectacle pour le spectacle paraît comme pris au piège de la mondialisation libérale, sa nourricière. Pas question que le serpent se morde la queue, que l’oiseau picore sa branche ou que le poisson assèche sa rivière. Autant s’en tenir à faire rire avec des nez rouges qui font « pouet-pouet », des stylos baveurs, quelques quiproquos et cabrioles irrésistiblement grotesques...
A VOIR :
– Les Côtelettes, de Bertrand Blier avec Philippe Noiret et Michel Bouquet
– Filles uniques, de Pierre Jolivet avec Sabdrine Kiberlain et Sylvie Testud
– Mais qui a tué Pamela Rose ? de Eric Lartigau avec Kad & Olivier
– Self Control, de Peter Segal avec Adams Sandler et Jack Nicholson
– Comment se faire larguer en dix leçons, de Donald Petrie avec Kate Hudson et Matthew McConaughey