Les Béruriers sont-ils toujours les rois ?
La rumeur l’annonçait déjà il y a un ou deux ans, mais il était difficile d’y croire. Et pourtant les faits sont là : Bérurier Noir est de retour. Coup fumeux ou pas ? Toujours est-il que les Bérus ont mis le feu - au sens figuré comme au sens propre - aux dernières Transmusicales de Rennes, et arborent un nouvel outil de propagande bérurière avec la sortie de leur double DVD avec CD audio de vieilleries inédites.
Lorsqu’en novembre 1999 le collectif Bérurier Noir donne comme un pied de nez ses trois derniers concerts d’adieux dans l’antre du show business à l’Olympia, il est probablement pas loin de se douter qu’il sonne aussi le glas de l’ère du rock dit « alternatif ». Avant « les bérus », la France traînait comme un boulet de canon ses dix ans de retard par rapport au rock anglo-saxon. Berrurier Noir va ouvrir la brèche entraînant dans son sillage, des dizaines de groupes aux influences punk-rock. L’immense majorité d’entre-eux sont d’un intérêt assez relatif. Les détracteurs du mouvement parlent de « rock franchouillard ». Ces groupes n’ont souvent empruntés aux bérus que leur esprit festif, leur côté braillard et alcoolisé. Il en ressort malgré tout quelques formations intéressantes qui tireront quelque peu la France de son indigence musicale à l’instar des Négresses Vertes, des Wampas, de la Mano Negra et bien sûr du génial François Hadji Lazaro.
Avant les Béruriers Noirs, il y avait les béruriers. Le groupe faisait entre 1978 et 1983 un punk rock des plus banal selon une configuration classique de type guitare-basse-batterie-chant. A partir de 1983, les Béruriers ne sont plus que deux et deviennent les Beruriers Noirs. François et Loran forment un duo hors norme. L’un est plutôt braillard, l’autre est quasiment autiste. Le groupe prend une forme minimalise autour d’une boîte à rythme, une guitare et une voix. Les premières prestations scéniques du groupe ressemblent à des performances théâtrales extrêmes où l’on voit le chanteur déguisé en officier Stalinien, débiter des textes sombres sur la mort, l’enfermement la violence ou la misère humaine, en lançant des coups de hache dans le vide, juste au dessus des têtes du public, à la fois médusé et terrifié.
Bérurier Noir n’est alors déjà plus un groupe punk-rock comme les autres. On y découvre une dualité forte entre intellectualisme et éthylisme. A travers une démarche réfléchie et très politique - le groupe se dit très influencé par le groupe terroriste allemand d’extrême-gauche « La Bande à Baader » et concède volontiers que sa musique n’est qu’un prétexte à ses concerts qui s’apparentent à des meetings tribaux - Béruriers Noir parvient néanmoins à conserver son public de keupons de base. François et Loran s’efforcent de tout contrôler, de la conception à la diffusion de leur musique, sans omettre un travail particulièrement poussé sur leur image. Et l’alchimie fait merveille. Au fil des concerts et des rencontres, le groupe s’enrichi d’un cracheur de feu, de deux danseuses et autres jongleurs kamikazes.
Si les textes sont toujours aussi noirs, le jeu de scène devient plus festif, donnant l’impression d’un improbable mélange entre le petit théâtre de Guignol, et un cirque composé de déments. Les Bérus attirent un public très nombreux en marge des circuits commerciaux classiques et des médias. A l’époque, la presse se précipite pour mendier trois mots de François et Loran, alors qu’aujourd’hui les groupes subissent un rapport inversé.
Revers de la médaille, en raison de positions très marquées à l’encontre du fascisme et du nazisme, chaque concert des Béruriers Noirs devient une occasion d’affrontement avec les Skin Heads qui se déplacent en nombre pour en découdre. BXN se retrouve alors obligé de créer son propre service d’ordre pour… protéger son public. De plus, dans un climat social très tendu marqué par de nombreuses bavures policières et particulièrement le meurtre de Malik Oussekine par deux policiers, les Services de Renseignements Généraux se voient confiés pour mission de comprendre et de contrôler l’organisation de la jeunesse gauchiste de l’époque afin de préserver les institutions contre toute tentative de déstabilisation et éviter le basculement de certains vers des actions de nature terroristes. Bérurier Noir est identifié comme un facteur stimulant de la colère collective et fait l’objet d’une surveillance très sévère. Les courriers des membres du groupe et de son entourage sont ouverts, certains soupçonnent des écoutes téléphoniques et sont victimes de cambriolages organisés où seuls des carnets d’adresses sont dérobés. En 1987, les Bérus sont même contactés par les « RG », qui leurs demandent très clairement de cesser leurs activités artistiques.
Le groupe poursuit malgré tout sa route avec la même intransigeance, provoquant ainsi l’agacement des professionnels de l’industrie du disque qui voient s’échapper une manne financière importante. C’est en novembre 1989, les Bérus décident de se séparer après trois concerts à l’Olympia, temple du show-business, envahi pour l’occasion par un public d’une grande diversité, prouvant ainsi que le phénomène ne se réduisait pas à quelques punks et marginaux. A la fin du dernier concert, les Bérus lancent un appel : « combien êtes-vous dans la salle ? Prenez vos guitares et formez des groupes de rock, libres ! ». Des mots qui ne seront pas écoutés. Aucun groupe français ne parviendra à reprendre le flambeau. La relève viendra en fait du groupe de rap hardcore NTM dont la filiation est reconnue par les Bérus, mais qui ne bénéficiera pas de la même crédibilité.
Jusqu’à aujourd’hui, les ventes des albums des Béruriers Noirs ne cesseront pas. Il y a deux ans, des rumeurs de reformation se font même entendre. En novembre dernier, un double DVD « Même pas mort » agrémenté d’un CD audio d’inédit « Bloody Party » est distribué aux éditions Wagram. Dans la foulée, un concert unique est programmé aux Transmusicales de Rennes. Voitures brûlées, affrontements avec les forces de l’ordre, et, dans la salle, 5000 spectateurs, dont beaucoup n’étaient même pas nés en 77-78. Un coup d’essai réussi qui fait renaître un espoir de reformation moins éphémère puisque François et Loran avaient expliqué qu’un hypothétique retour des Bérus était suspendu à la réussite ou non de ce concert surprise. Et même s’ils semblent confus voir embarrassés à la question de savoir les raisons d’un retour sur le devant de la scène, il est évident que dans un contexte social régressif, les Bérus auraient beaucoup à dire.
Pourtant, les Bérus, quarantenaires, seront-ils capables de revenir avec un état d’esprit aussi intègre ? Si aujourd’hui les moyens techniques permettent à n’importe qui de réaliser chez eux des maquettes de qualité studio, en revanche, les petits labels ont pour la plupart disparus et les grosses structures misent sur la rentabilité à outrance plutôt que sur la qualité artistique. Si l’on en croit les entretiens réalisés pour le DVD, les Béruriers seraient très tentés d’utiliser le média internet pour court-circuiter les majors. En revanche, au niveau musical, il est difficile de s’imaginer à quoi ressemblerait les Bérus version 2004, puisque les quelques inédits présents sur le CD « Bloody Party » sont surtout des instrumentaux sortis de fonds de tiroirs. Il apparaît évident cependant que BXN pourrait donner un bon coup de fouet à un paysage musical français agonisant qui ne jure que par ses « reality stars » qui ont toutes pour point commun de savoir utiliser leur voix mais pas leur cerveau. Un retour « raté » n’effacerait en rien le mythe des Bérus. Quoiqu’il arrive, la jeunesse actuelle continuera à faire raisonner dans les rues le refrain-slogan « la jeunesse emmerde le Front National ». Alors pourquoi ne pas tenter à nouveau l’aventure ?
Berurier Noir - Double DVD "Même pas mort" contenant de larges extraits du concert "Viva Bertaga" à l’Olympia, avec commentaires, archives, clips, photos etc. CD audio "Bloody Party" comprenant trois inédits instrumentaux et treize versions inédites ou live des précédents albums. 2003 Productions Folklore de la Zone mondiale, distribion Wagram. http://www.beruriernoir.fr