Chronique des rues de Bourges

Petite chronique d’une promenade à la Chancellerie

Deuxième billet
mercredi 24 octobre 2007 à 10:45, par Mercure Galant

"Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte."

Chanson d’automne,
Paul Verlaine
(1844-1896)

Petite chronique d'une promenade à la Chancellerie

C’est par la rue de la Sente aux loups que je m’engage au petit matin dans le quartier de la Chancellerie. La Sente aux loups... Curieux toponyme ! Probable vestige d’un temps où l’endroit ne se situait même pas à la lisière de la ville qui allait l’engloutir. Je laisse derrière moi le stade du même nom... Sur ma droite, j’aperçois déjà “le champignon”, [1] qui surplombe le secteur.

A gauche, une série de rues perpendiculaires plongent vers les premières barres, qui se dessinent en contrebas. Arborant les noms de peintres célèbres : Matisse, Renoir, Gauguin, Dufy, Cézanne, elles reproduisent un même schéma. Toutes, constituées d’une série de petits pavillons mitoyens masquant des jardinets, le plus souvent coquets. Toutes, se terminant en impasses, avec un parking central. Toutes, reliées entre elles par un chemin de maigre verdure. Un espace herbeux sur lequel j’ai joué étant enfant... Dans cette sorte de no man’s land, des bagarres éclataient parfois entre gamins. Invectives, menaces, jets de pierres. Forme de “Guerre des boutons” où l’ « étranger » d’alors n’était ni algérien, ni turc, ni même Hmong, mais tout bonnement le gosse de la rue d’à côté. L’endroit n’a guère changé, bien qu’il semble déserté à présent...

Je poursuis et rencontre sur mon chemin quelques “lève-tôt”. La rue s’anime enfin. Au bout, l’église St-Jean. Sans doute la plus récente de Bourges puisque construite – comme le reste quartier - dans la première moitié des années soixante. On reconnaît aisément son architecture massive, aux allures de temple grec. Sa façade, se compose de douze colonnes de béton, fendues de fines lignes vitrées. Le tout est recouvert d’un fronton de métal, où se dresse une simple croix. Sur ma droite, l’avenue de la Libération. Le grand marché, comme chaque mercredi, s’y installe.

Dès les premiers pas, des odeurs de nourriture me cernent. En fond sonore, une musique orientale distillée par un vieux poste aux enceintes sifflantes. Une bonne soeur, menue et fripée, apparaît derrière l’étal d’un commerçant asiatique. Elle vient de sortir de l’arrière-cour de l’église St-Jean. Souriant à tout va, elle trottine, son parapluie lui servant de canne. Son discret voile gris croise ceux plus colorés d’un groupe de femmes maghrébines volubiles. Sa frêle silhouette se perd dans la foule près de l’établissement scolaire privé Saint Jean-Baptiste de La Salle. Petits fromagers, crémiers et charcutiers se succèdent sur l’un des trottoirs. Vendeurs de chaussures, de tissus, de tapis et de matelas leur font face. Des conversations s’amorcent. Les marchands de bijoux fantaisie ou de vêtements à la mode, invitent le chaland à venir voir de plus près. Un vendeur de lingerie affriolante, au sourire enjôleur, essaie de fourguer sa marchandise par lots de deux à sa cliente amusée... Statues vivantes, des vieux palabrent, tandis que de jeunes couples les dépassent en riant. Un monde d’ échanges dans un bain de langues, issues de tous les horizons. Je reviens vers la place André Cothenet, où le marché s’étend encore. En bas de la place, s’élève l’imposante tour Jean Rameau, vouée à la destruction, malgré la résistance de ses derniers habitants [2]. Comme venus à son chevet, des pompiers grimpent sur la grande échelle pour un exercice d’entraînement. Ils montent à l’assaut des balcons vides. Quelques silhouettes silencieuses semblent, malgré tout, vouloir monter la garde aux fenêtres encore ouvertes. La manoeuvre, assez spectaculaire, attire les badauds et suscite un ou deux commentaires...

Non loin, le Hublot. Bel écrin de verre et de béton ... J’essaie sans succès de pénétrer à l’intérieur. J’y suis venu, deux ou trois fois, voir des spectacles, mais je n’y ai pas souvent rencontré les gens du quartier... J’avais pu suivre sur l’Agitateur, la polémique relative à la décision de confier la gestion de cette salle à l’agence culturelle
 [3]. J’ignore si la situation a vraiment évoluée depuis, mais il paraît logique qu’à l’avenir, les habitants et les associations puissent véritablement s’approprier ce lieu afin qu’il devienne vivant et ouvert à tous.

Retour vers le centre commercial. Lui aussi semble bien délaissé. Beaucoup de pas de portes sont fermés. Le petit bassin de mosaïques, dans lequel on pouvait barboter jadis, est vide et sec désormais. Il porte même les récents stigmates d’un début d’incendie. Un bidon d’essence et un pot d’échappement calcinés gisent au fond, sous le regard désabusé de deux jeunes zonards. Je garde pourtant de ces lieux des souvenirs moins désolants. Juste à côté, le tout premier supermarché affichait l’enseigne Suma. Lieu extraordinaire qui paraissait immense pour un gamin. On y trouvait de tout... Privilège d’y rencontrer l’une des vedettes du petit écran : Le fameux Roger Lanzac ! Le présentateur phare de l’émission “la piste aux étoiles” étant venu se perdre ici (pour je ne sais quelques obscures raisons alimentaires), je découvrais, ébahi, qu’il existait en chair, en os et en couleurs ! [4]

La pluie qui s’était jusqu’alors abstenue, déverse maintenant des torrents sur nos têtes. Un regard vers le marché pour découvrir la valse multicolore des parapluies qui s’ouvrent. Je continue mon chemin trempé comme une soupe. Je descends la rue Paul Cravayat pour rejoindre l’ancienne rue des frères Michelin (mais débaptisée depuis, sur cette portion, au profit de Louise Michel). Les bâtiments de ce secteur n’ont guère changés depuis leur construction, hormis l’habillage des balcons et des entrées de parois d’aluminium, les incontournables huisseries en PVC et une floraison des paraboles. Sur ma gauche, un supermarché type. En face de moi, la salle des fêtes, en cours de rénovation : un des poumons du quartier depuis toujours. Evénements familiaux (mariages et fêtes multiculturelles), rencontres sportives (galas de boxe dans les années 80 par exemple), et spectacles ( J’ai applaudi, il n’y a pas si longtemps, Rachid Taha en concert dans cette salle).

Je remonte ensuite la rue Louise Michel, avec son école maternelle, ses bâtiments aux fenêtres closes et ses espaces de jeux (désertés par ce temps). J’arrive au hameau de la Fraternité qui abrite plusieurs associations. Tout est trop calme. Je risque un oeil dans l’entrebâillement de la porte de l’espace “atelier multimédia-internet”. Seule une femme de ménage occupe les lieux. Deux ombres discutent derrière la porte vitrée du service Enfance. Je poursuis ma route... Plus haut, les tours rasées ont laissé place à un grand chantier qui proposera des logements de taille plus modeste.

Je fais un détour sur le chemin qui conduit à la plaine du Moulon. Paysage bucolique... La presse locale avait pourtant fait ses gros titres sur un meurtre commis ici assez récemment. On évoquait un règlement de compte, une affaire de drogue... La plaine du Moulon : lieu d’insécurité ? Rien n’y fait songer en contemplant la vaste prairie entretenue. Autre temps , autre meurtre... Ce grand espace - isolé et encore sauvage - avait déjà connu une histoire de crime ... passionnel celle-là. Découverte du corps mutilé d’une jeune femme ... Cela s’était traduit pour moi , par des cauchemars et une interdiction d’aller jouer dans ce coin...

La pluie persiste mais ne me décourage pas, j’ai pris l’habitude... Je continue et décide d’aller faire un tour au Point Rencontre Jeunes. Déception là encore, car le bâtiment, assez récent, est fermé. Bon d’accord, les jeunes sont sans doute au collège ou au lycée à cette heure... De retour rue Louise Michel, toujours le même constat. De nombreuses fenêtres condamnées, des murs décorés de tags et des entrées dégradées... Je tourne rue Henri Moissan. J’entends des cris provenant de la cour de l’école des Merlattes, toute proche... Les maîtresses capuchonnées surveillent la récréation. Les élèves, heureux de cette parenthèse de liberté accordée, s’ébattent malgré les caprices du temps. Je tourne encore, rue Gustave Eiffel. La chaussée est entièrement retournée. Un vrai champ de bataille, avec ses tranchées et quelques arbres déracinés. Dans ce paysage chaotique, une patrouille de la police municipale, imperturbable, dresse un procès verbal à un véhicule stationné illégalement à proximité des bulldozers.

Que dire de tout cela ?.... La Chancellerie : quartier de tous les contrastes ? Contraste entre la musique parvenant des étals et le silence des balcons déserts. Contraste entre les multiples chantiers... “promesses d’avenir” et les bâtiments vétustes ...“promis” à la démolition. Contraste entre mes souvenirs édulcorés d’ enfant et la froide réalité d’une banlieue à peine réveillée. Ce quartier, c’est finalement un quadragénaire en pleine crise existentielle... [5] Il vient de terminer un marathon sur les genoux. Mais, on ne lui a jamais laissé le temps de souffler, de se poser. Avec son pendant des Gibjoncs, il a longtemps reçu la lourde tâche d’accueillir par vagues successives et sans interruption tous les nouveaux habitants, que la ville ne savait où loger : au tout début, ouvriers et classe moyenne "du cru", puis très vite les populations immigrées en quête de travail et de nouveau départ. Ce quartier, témoin fatigué des espérances, des bonheurs mais aussi des désillusions et de l’amertume de ceux qui ont vécu ou qui vivent encore ici. Maintenant, plus question de médecine douce. On considère que la réanimation se fera à coups d’électrochocs ! Cassons et transformons... Songeur, je m’éloigne tandis qu’une vieille femme rentre déjà du marché en tirant péniblement sur son cabas à roulettes. Ses pieds collant à la boue et aux feuilles mortes, elle marmonne. Se demandant comment elle va bien pouvoir se frayer un chemin à travers les ornières...

[1Pas vraiment champêtre en l’occurrence... C’est le surnom donné au château d’eau métallique du quartier, en raison de sa forme

[2Voir le site des habitants de la tour Jean Rameau.

[4On possédait une télé en noir et blanc à cette époque...

[5Bien que la quarantaine, ce soit plutôt jeune à l’échelle d’un quartier !

commentaires
Petite chronique d’une promenade à la Chancellerie - ual-clcv18 - 3 novembre 2007 à 09:36

Simplement pour préciser que l’activité du Hameau de la Fraternité est visible l’après-midi essentielleemnt.


#8561
Petite chronique d’une promenade à la Chancellerie - Mercure Galant - 3 novembre 2007 à  10:08

Merci pour votre remarque... A vrai dire, j’ai déjà pu voir le hameau de la Fraternité plus animé en d’autres circonstances... Mais comme indiqué dans la chronique, lorsque j’y suis passé , il était assez tôt le matin... Je profite de votre message pour rappeler aux lecteurs , qu’ils sont invités à contribuer en apportant toutes précisions jugées utiles, afin d’affiner la vision du quartier traversé...

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