Un vrai moment de bonheur …

La journée a bien commencé, je suis allé… chez ma coiffeuse ! Elle est charmante (c’est d’ailleurs pour ça que je vais chez elle), mais d’habitude plutôt silencieuse (c’est vrai que je n’encourage habituellement pas non plus ces discussions d’un platitude exaspérante…). Mais elle avait, ce matin, manifestement envie de parler. Dès le début des civilités d’usage, ça coince.

– Moi : alors, les affaires, ça marche ?
– Elle : non .
– Moi : ????
– Elle : Le mois de janvier a été pourri, on n’a vu personne.
– Moi (pour détendre l’atmosphère) : C’est vrai que vous, vous avez pas droit aux soldes !
– Elle : Ah ça non, on n’y a pas droit ! Et les fournisseurs non plus ils font pas de soldes. Et les impôts non plus !

Aïe ! Pour changer de sujet, je risque un
– Pouvez-vous jeter un œil sur ma voiture de temps en temps, j’ai pas mis de sous dans le parcmètre ?
– Elle : Ne vous inquiétez pas on « les » voit quasiment plus en ce moment.
– Moi : C’est comme d’habitude, à l’approche des élections, les contredanses se font plus rares !
– Elle : Ah ? Il y a des élections ?
– Moi : Euh… oui, les municipales !
– Elle : C’est vrai ! Mais on est quand même loin du mois de mai
– Moi : ????
– Elle : C’est pas au mois de mai, les élections ?
– Moi : Non, non, c’est dans un mois, le 9 mars.
– Elle : Ah ! C’est pour ça que M. Lepeltier est venu me voir ! Y’avait M. Gitton, aussi. Je leur ai dit, hein, que ça n’allait pas fort en ce moment. Et puis je leur ai dit aussi que le quartier est sale, y’a des poubelles qui traînent partout.

Elle s’arrête un instant, puis reprend :
– Tiens, les (le service de nettoyage) voilà ! Depuis que j’ai dit ça à M. Lepeltier, ils passent tout le temps pour nettoyer. De toutes manières ils viennent nous voir que pour les élections, après on ne les voit plus !
– Moi : C’est la magie des élections !
– Elle : En attendant, ils se moquent bien de nous, parce qu’après, ils nous oublient pas pour les impôts !

Je sens qu’on se dirige vers un terrain glissant et tente de changer de sujet, mais elle poursuit :
– De toutes manières, il (S. Lepeltier) va repasser (gagner à nouveau les élections), quand j’entends tout ce que me disent mes clientes…
– Je tente : Il y a une liste d’opposition, tout de même.
– Elle : Ah ? Et c’est qui ?
– Moi : Irène Félix.
– Elle : Ah oui, j’en ai entendu parler … Elle est quoi, elle, communiste ?
– Moi : Non, elle est socialiste, (elle m’interrompt avant que j’aie le temps de lui dire qu’il y a aussi des communistes, des MRC, des verts, des LO…)
– Elle : Ah ? Ben, c’est pareil. Tous des filous qui se battent pour avoir les places. Moi, pour les présidentielles, j’ai voté Bayrou. Il a l’air honnête, et j’aimais bien ce qu’il disait. Mais à la télé, ils l’ont empêché de parler, y’en avait que pour les people (sic), Sarkozy et l’autre là, Ségolène !

Je ne vous cache pas que ça m’a plongé dans un abîme de perplexité, et que je n’entendais plus trop ce qu’elle continuait à dire (ça parlait de Carla Bruni, de croisières en yacht , enfin, je crois)
Tous mes stéréotypes sur le commerçant réac et franchement à droite s’effondraient. Ma coiffeuse avait voté Bayrou ! Mais je suis tout d’un coup sorti de ma torpeur par cette phrase :

– Mais j’ai hésité à voter pour le facteur !
– Moi : Besancenot ???
– Oui, c’est ça ! Il disait des choses bien, lui. Mais bon, il est communiste quand même... , sous-entendu “faut pas exagérer” !

J’ai bien pensé lui préciser qu’il est trotskiste, et puis je me suis souvenu de la chanson de Renaud « Dans mon HLM » :

Du coup (mais elle n’a pas dû comprendre pourquoi), je change de sujet :
– Et les travaux à Avaricum (son salon est à 100m), ça vous gène pas trop ?
– Elle : C’est pareil, ça, vous vous rendez compte ? Tous ces pauvres gens qu’on a expulsé ! Et moi, je les vois, moi. Les nouveaux loyers, c’est beaucoup plus cher, ils me le disent tous ! Et puis ils sont perdus, ils ont plus leurs voisins d’avant, ils en parlent quand ils viennent chez moi…
– Je tente : Mais ça va améliorer les affaires, non, tous ces gens qui viendront faire leur courses ?
– Elle : et avec quels sous ? Les gens ils en ont plus des sous ! Et puis, s’il y a un coiffeur qui s’installe, je fais quoi, moi ? Je ferme ? De toutes façons, je vais arrêter. Je vais me chercher un petit salon à la campagne, j’en peux plus de voir tous ces gens qui font la gueule. Au moins, à la campagne, les gens sont simples.

A nouveau, je pars dans des réflexions intenses, mais je n’ai pas le temps de souffler :
– Elle : Et puis, on vit mal. Vous trouvez pas qu’on vit mal, vous depuis l’euro ? Moi, j’ai voté contre l’Europe. Et puis a quoi ça sert de voter, ils vont la faire passer quand même, l’Europe !

Là, ça devient trop fort pour moi, j’étais pas préparé à ça en allant chez ma coiffeuse ! Je me jette sur un « auto journal » (ma lecture favorite chez ma coiffeuse), et feuillette les pages mécaniquement. Mais ça ne l’arrete pas. Je ne sais plus trop ce qu’elle disait, mais je crois que ca parlait encore de Sarko, de Carla, des montres à 50000 euro, de… je sais plus. Après avoir repris un peu mon souffle, je tente un :

– Vous avez vu, vous aurez bientôt des cameras de surveillance.
– Elle : Ah, oui ! Y’a un policier qui est venu me dire qu’il y en aurai une juste en face de chez moi. En rigolant, il a dit qu’il pourrait voir tout ce qui se passe chez moi. Mais pourquoi ils font ça ?
– Moi : Parce qu’il y a de la délinquance, parait-il.
– Elle : Ah ? Ben moi, ici, j’ai rien vu. Faut dire que je suis pas là non plus la nuit.

Elle fait une pause, puis reprend :
– C’est quand même pas Chicago, à Bourges, c’est même plutôt mort, non ?
– Moi : Je sais pas, je ne sors pas beaucoup la nuit
– Elle : Et ça va coûter combien, tout ça ?
– Moi : 1 175 000 euro
– Elle (un peu abattue, manifestement) : Et ben, c’est nos impôts qui vont encore trinquer ! C’est vraiment du n’importe quoi !

Elle me présente la fameuse petite glace pour bien me faire voir qu’elle m’avait bien coiffé sur la nuque, et notre discussion s’arrête là. Je paye presque avec plaisir les 17 euro du ticket qu’elle me présente, et me promets d’aller la voir à la campagne pour me faire coiffer quand elle aura changé de commerce.

En montant dans ma voiture (qui n’avait pas eu de contredanse), j’entends à la radio que la grève des caissières de supermarché est fortement suivie. Décidément, c’est une vraie bonne journée qui commence.