Bedin, bedeau ?

vendredi 4 janvier 2008 à 22:03

Il fut un temps où les communistes citaient Marx. Aujourd’hui, signe des temps, ils préfèrent citer l’Abbé Pierre. Ainsi, Yannick Bedin termine ses voeux pour 2008 avec une phrase de l’Abbé Pierre, qui dit en substance qu’une civilisation qui sert d’abord les puissants court au suicide. D’abord, c’est contestable : il y eut et il reste des civilisations inégalitaires, voire esclavagistes, prospères. Ensuite, s’il existe un système apte à surmonter ses contradictions, c’est bien le capitalisme. Il est détestable naturellement. Mais peut-être d’abord parce qu’il s’arrange assez bien avec l’injustice qu’il sait à merveille développer et faire durer.

La gauche radicale en France est moribonde. Le fait qu’un communiste ponctue ses voeux en citant un ecclésiastique, aussi sympathique fut-il, est le signe inquiétant d’un effacement des repères idéologiques et politiques. L’Abbé Pierre était sans doute un homme bon, un homme engagé, mais c’était un curé. Les curés ne sont pas des révolutionnaires car ils promettent le salut, mais pour l’au-delà. Le programme des curés, c’est la charité. Cela fait très bien l’affaire du capitalisme. Pour preuve, les yeux doux de Sarkozy à l’Eglise catholique, et son discours sur « les valeurs chrétiennes », comme si la laïcité était impuissante sur le terrain éthique. Car dans un système qui produit de l’inégalité et de l’injustice, le recours à la charité est un bon expédient. On mise sur les initiatives privées pour compenser et masquer les dysfonctionnements les plus graves du système.

Ce que les pauvres et les exclus exigent, ce n’est pas la charité. Ce qu’ils veulent, c’est la justice [1] .«  Je hais la charité parce qu’elle retarde la justice » disait Albert Camus. Et pourtant, il ne figurait pas parmi les penseurs les plus radicaux.

Drôle d’époque que la nôtre, où il faut rappeler ces vérités élémentaires à ceux qui devraient, par leurs orientations philosophiques et leur engagement, en être traversés. Il ne suffit pas de lutter pour le progrès social et contre la misère. Il faut avoir une conscience claire de son origine. L’enfer de la gauche est pavé de bonnes intentions confusionnistes.

[1Dans un petit texte sainement caustique, Roland Barthes soulignait que, dans le cas de l’Abbé Pierre, on se contentait d’ailleurs des signes de la charité : « J’en viens alors à me demander si la belle et touchante iconographie de l’abbé Pierre n’est pas l’alibi dont une bonne partie de la nation s’autorise, une fois de plus, pour substituer impunément les signes de la charité à la réalité de la justice. »


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commentaires
Bedin, bedeau ? - B. Javerliat - 8 janvier 2008 à 12:44

Car dans un système qui produit de l’inégalité et de l’injustice, le recours à la charité est un bon expédient.

Téléthon, Restos du coeur, Pièces jaunes... Les exemples de transfert de la responsabilité de l’état vers le privé par le truchement de la charité sont légion. Et c’est d’autant plus dangereux qu’il est très difficile de ne pas compatir et de ne pas répondre aux sollicitations, la culpabilité s’installant très vite.

Pour preuve, les yeux doux de Sarkozy à l’Eglise catholique, et son discours sur « les valeurs chrétiennes », comme si la laïcité était impuissante sur le terrain éthique.

C’est vrai que la notion d’état laïc est de plus en plus remise en cause. Pourtant la religion est « l’opium du peuple » comme disait Marx. Et un état qui fait entrer les religions dans la sphère publique, comme une autorité ou une caution, s’éloigne dangereusement des idéaux de la République.


#9407
Bedin, bedeau ? - Yannick BEDIN - 5 janvier 2008 à 16:16

Une fois n’est pas coutume, je me permets de répondre à cet article par ailleurs anonyme ce qui est bien dommage. Oui je cite l’Abbé Pierre. J’aurais pu citer Aimé Césaire, dans son discours sur le colonialisme, qui écrivait « Une civilisation qui ruse avec ses principes est moribonde », mais je l’ai déjà fait dans le passé.

Cette citation de l’Abbé Pierre, outre qu’elle émane d’un personnage qui est allé souvent plus loin que l’Eglise elle même sur de nombreux sujets, est aussi un clin d’oeil au discours sur la civilisation que Nicolas Sarkozy a tenu lors de ses voeux, mais aussi à son voyage au Vatican, ce qui en tant que défenseur de la laïcité m’a choqué.

En ce qui me concerne, je respecte « celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas », parce que je sais que des combats communs peuvent être menés par des personnes aux options philosophiques différentes. Croyez moi, il y a de nombreux catholiques et chrétiens plus généralement, qui ont depuis longtemps dépassé la notion de charité et que j’ai vu oeuvrer pour la justice. Le sentiment charitable n’est d’ailleurs pas l’apanage des seuls croyants. Je sais dans les combats que je mène avec d’autres, notamment aux côtés des personnes en situation irrégulière, le travail accompli et l’engagement de nombreux chrétiens aux côtés de militants des droits de l’homme, aux options politiques différentes. Leurs objectifs sont les mêmes et c’est bien cela qui importe.


#9379
Bedin, bedeau ? - bombix - 5 janvier 2008 à  18:25

Bonsoir,
Je suis l’auteur de la brève. Le squelette n’affiche pas les auteurs pour les brèves, d’où l’anonymat du texte.
Vous écrivez

En ce qui me concerne, je respecte « celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas »

Moi aussi. Mais je trouve toujours dans cette référence au "respect" quelque chose d’intimidant qui ne me plait pas. Toute personne est respectable en elle-même. Cela ne veut pas dire que ses croyances le sont. Il faut faire cette différence, sinon, plus aucun combat d’idées n’est possible. Vous écrivez aussi

Croyez moi, il y a de nombreux catholiques et chrétiens plus généralement, qui ont depuis longtemps dépassé la notion de charité et que j’ai vu oeuvrer pour la justice.

Ils le font comme citoyens, non ? Plus loin :

Le sentiment charitable n’est d’ailleurs pas l’apanage des seuls croyants.

Je crois qu’on peut vivre sans ce sentiment charitable, un peu condescendant. On peut lutter aussi politiquement, pour la justice, en en faisant l’économie. Vous dites enfin :

Leurs objectifs sont les mêmes et c’est bien cela qui importe.

Je trouve assez triste justement que vos objectifs soient les mêmes. Cela signifie que tout le monde a renoncé à bouleverser la société pour la reconstruire sur d’autres bases. Le communisme français, dont vous êtes l’un des responsables, s’aligne sur une position sociale-démocrate. Le capitalisme, y compris pour vous, est devenu "un horizon indépassable", pour reprendre une formule célèbre. D’ailleurs un interlocuteur que je suppose chrétien écrit dans un autre post « comme vous le faites remarquer, les temps ont changé. Le communisme est mort, mais la France est toujours "aux ordres d’un cadavre" (Maurice Druon). Tant mieux si, en France mais plus généralement dans le monde, le naturel revient au galop : la dimension religieuse de l’homme. » Marx, et d’autres avant et après lui, on dénoncé les mystifications que l’on construit au nom de cette dimension religieuse de l’homme. Bien dommage que vous n’en souffliez mot. Vous dites que c’est un clin d’oeil aux attaques contre la laïcité de Sarkozy. Quand la laïcité est attaquée, il faut la défendre, et ne pas mettre dans le même sac les sentiments charitables, la lutte politique, le sentiment religieux ... ou simplement laisser le flou sur cette question. Il y a urgence.

Merci en tous cas d’avoir répondu à un texte d’humeur, sans prétentions particulières.

#9380 | Répond au message #9379
Bedin, bedeau ? - Tannhäuser - 5 janvier 2008 à 10:47

Et oui comme vous le faites remarquer, les temps ont changé. Le communisme est mort, mais la France est toujours "aux ordres d’un cadavre" (Maurice Druon). Tant mieux si, en France mais plus généralement dans le monde, le naturel revient au galop : la dimension religieuse de l’homme.
VOus dites que les "curés" ne sont pas révolutionnaires, ils ne le sont certes pas au sens où vous l’entendez. Cependant, la naissance de Jésus et la mission que Celui-ci confie à ses apôtres de tous les temps, ça c’est révolutionnaire. La révolution fait passer d’une époque à une autre, faisant donc apparaître l’ancienne comme révolue, terminée, derrière nous. La révolution n’a pas toujours un sens politique : quand elle en a un, c’est toujours au prix du sang et des larmes.

Les prêtres promettent le Salut maisdans l’au-delà... rectifions. Ils promettent la vie éternelle, laquelle commence ici et maintenant. Dès que vous avez été conçu dans le sein de votre maman, votre vie éternelle commençait... donc ne parlons pas d’une autre vie qui ne serait qu’après la mort, puisque celle-ci a déjà commencé. La mort n’est qu’un passage. Oui le programme des curés c’est la charité, c’est le programme de Jésus. La charité, c’est l’amour gratuit et inconditionnel, ce n’est pas simplement le fait de donner l’aumône... on peut donner l’aumône sans aimer celui à qui on la donne, on peut très bien le mépriser : dans ce cas ce ne sera pas de la charité. La charité est la forme la plus haute et la plus accomplie de l’amour. Puiissiez-vous penser ce concept sur de nouvelles bases saines et vraies.

Ce que les pauvres demandent, c’est plus d’amour, et c’est de l’amour que naît la justice. Votre cher Calmus était certes un grand écrivain, mais il semblait méconnaître le vrai sens de "charité". D’ailleurs, la charité ne se traduit pas que matériellement, elle peut être un regard aimant, qui redonne vie à celui qui est exclu. Ce qui fait mourir les pauvres, ce n’est pas le manque matériel, mais le fait de ne pas être regardé comme une personne digne, le fait d’être ignoré.Combien, par ce regard, par la disponibilité, par l’écoute, bref par l’amour, des exclus ont trouvé un travail, puis un logement ! j’en connais personnellement !


#9377
Bedin, bedeau ? - 5 janvier 2008 à  14:34

Quand Pepone se meurt, Don Camillo déjante...

#9378 | Répond au message #9377