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Omission - epujsv - 27 novembre 2017 à 11:54

D’autres réflexions sur l’Université.

Par exemples :

De Daniel Bensaïd :
"Faut-il défendre l’Université ? Entre contraintes marchandes et utopies académiques" de juillet 2009, dans la revue Contretemps.
Extraits :
Après l’adoption durant l’été 2007 de la loi LRU, dite d’autonomie des universités, nombre d’universitaires, choisissant d’ignorer le caractère orwellien de la rhétorique sarkozyste, ont complaisamment confondu le mot et la chose : en Sarkozie, l’autonomie, c’est l’hétéronomie ; et la loi Pécresse, l’autonomie contre l’autonomie : moins de pouvoir pédagogique aux enseignants, plus de pouvoir bureaucratique et administratif, plus de dépendance envers les financements privés et les diktats du marché. Il y a plus de dix ans, l’Areser dénonçait déjà la confusion entre autonomie concurrentielle et liberté académique : « L’invocation de l’autonomie des universités est devenue aujourd’hui une arme administrative pour justifier le désengagement global de l’État et pour diviser les établissements concurrents entre eux du point de vue de la distribution des moyens financiers »1.
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Au lendemain de Mai 68, les ministères Faure et Guichard détournaient l’aspiration du mouvement contestataire au profit d’une « adaptation de l’université aux besoins de l’économie capitaliste » : « Les mots clefs de cette reconversion sont l’autonomie et l’autogestion. Il s’agit de réduire le “corps dans l’État”, qu’était l’université traditionnelle nantie de ses franchises, à une série d’unités associées aux économies régionales et de ramener le mouvement étudiant à un corporatisme provincialisé.
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Le juriste Olivier Beaud a bien résumé le sens du texte ministériel : il contribue « à réaliser une lente mise à mort de l’université française parce qu’il aspire à transformer les universitaires en employés de l’université et en sujets des administrateurs professionnels »5. Sous couvert d’autonomie s’institue ainsi, comme dans la réforme hospitalière, une double hétéronomie autoritaire de l’université, envers l’encadrement administratif et envers la commande des marchés.
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Guy Debord était catégorique : « Nous sommes bien d’accord : il n’y a pas pour nous d’étudiant intéressant en tant qu’étudiant ; son présent et son avenir planifié sont également méprisables »6
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La plupart des étudiants ne se vivent plus aujourd’hui comme des « intellectuels en devenir », accumulant à l’université du capital symbolique. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles la mobilisation étudiante a été beaucoup plus massive en 2005 contre le contrat première embauche (CPE) qu’au printemps 2009 contre les mesures d’application de la LRU. Selon un collectif d’étudiants italiens, l’évaluation des études selon une unité de mesure du temps (le crédit européen ECTS) configurerait, un « idéal-type » d’étudiant7.

L’accélération et l’intensification des rythmes d’étude, l’introduction de classes obligatoires et la multiplication des cours, séminaires et examens, viseraient ainsi à « l’assujettissement disciplinaire au marché du travail et la réduction de la condition étudiante au statut de précaire en formation »8
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Le processus d’assujettissement des études et des étudiants aux commandes du marché du travail s’est amorcé dès les années 1960 avec la première massification de l’université. La logique des métamorphoses universitaires est alors clairement perceptible : « Le rythme d’innovation technologique, la croissance constante des besoins de main-d’œuvre qualifiée mettent en relief le rôle de l’université et de l’école dans le développement des forces productives
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« À mesure que se développe la grande industrie, la création de la richesse réelle dépend moins du temps de travail employé que de la puissance des agents mis en mouvement au cours du temps de travail, laquelle n’a elle-même aucun rapport avec le temps de travail immédiatement dépensé pour les produire, mais dépend bien plutôt du niveau général de la science et du progrès de la technologie, autrement dit de l’application de la science à la production »
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Les réformes gouvernementales ont habilement essayé de présenter la loi sur l’autonomie comme l’émancipation d’un enseignement supérieur traditionnellement soumis à la tutelle d’un État jacobin centralisateur
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La liberté académique, de ceux qui enseignent comme de ceux qui sont enseignés, ne se confond pourtant pas avec l’autonomie. Il peut y avoir autonomie sans liberté, et liberté sans autonomie.
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Si la défense des franchises universitaires, parties prenantes d’un espace public critique, fait pleinement partie de la défense de libertés démocratiques de plus en plus menacées, « l’interruption de la continuité avec les espaces où l’ordre est assuré par les forces publiques » est très relative, dès lors que l’université reste un service public sous financement public.

L’alternative à cette dépendance consisterait à pousser jusqu’au bout la logique de l’autonomie financière, ce qui reviendrait à troquer une dépendance pour une autre.
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Si de plus en plus d’enseignants et de chercheurs sont appelés à se vivre comme des salariés de l’entreprise universitaire, ce qu’écrivaient Bourdieu et Passeron à propos des étudiants vaut en effet pour l’ensemble de cette « communauté » imaginaire : « Plus proche de l’agrégat sans consistance que du groupe professionnel, le milieu étudiant présenterait tous les symptômes de l’anomie si les étudiants n’étaient qu’étudiants et s’ils n’étaient pas intégrés à d’autres groupes (famille ou partis) »17

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Inversement, en essayant de faire avec réalisme la part des choses, l’Areser assignait à l’université la double tâche de former « des citoyens éclairés », mais aussi « des « travailleurs compétents » par « une vraie formation et de vrais diplômes ». Les auteurs reconnaissaient aller ainsi « sur le terrain de la politique au point même de [se] substituer, au moins sur le papier, aux instances exécutives et législatives et d’agir en législateurs ». Ils prétendaient certes y aller « très strictement en intellectuels autonomes. » C’était reconnaître l’hétéronomie du champ universitaire tout en revendiquant l’autonomie de l’intellectuel au nom de la scientificité de son travail pour soutenir la proposition d’une « autogestion rationnelle du système d’enseignement »20.

Ambition délirante, s’interrogeaient aussitôt les auteurs ? L’enfer libéral est en effet pavé des meilleures intentions démocratiques : quand les rapports de forces sont en faveur du capital, le patronat dicte les critères de la compétence et détermine la valeur des diplômes. L’autogestion rationnelle rêvée se transforme alors en cauchemar bureaucratique, sous la double tutelle de l’État et des marchés.
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Péguy opposait déjà le « dehors » de l’université, le vent du grand large social, à son « dedans » confiné poussiéreux. En 1968, nous voulions l’ouverture sur la société au nom du nécessaire passage « de la critique de l’université bourgeoise à la critique de la société capitaliste ». Avec la contre-réforme libérale et la détérioration des rapports de forces, cette ouverture à la vie est détournée en ouverture au marché.

En plaçant la source de la pensée critique et créatrice tantôt hors, tantôt dans l’espace universitaire, ils auraient ainsi contribué à perpétuer le tourniquet infernal « dedans/ dehors » au lieu de le remettre en cause. Ces oppositions entre l’intérieur et l’extérieur, la science et l’opinion, le travail et l’imposture, rejouent en effet à l’infini la scène originelle de la confrontation entre le philosophe et le sophiste.
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Comme si les conservatismes, les effets idéologiques, les routines n’opéraient pas aussi « dehors », comme si « l’insurrection des savoirs assujettis » prônée par Michel Foucault ne pouvait éclater que du dehors, et comme si la production sociale des savoirs n’avait pas de multiples sources et ressources, dont notamment celles de l’université, à condition d’en contrarier pied à pied la logique dominante, en matière de programmes, de pédagogie, de division du travail.

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Cet espace académique, insistait cependant Derrida, n’en doit pas moins subsister « symboliquement protégé par une sorte d’immunité absolue, comme si son dedans était inviolable ». La subtilité du « comme si… » permet d’esquiver la contradiction sans la surmonter. L’université idéale « à venir » « serait ce qu’elle aurait toujours dû être ou prétendu représenter, c’est-à-dire, dès son principe et en principe une cause autonome, inconditionnellement libre dans son institution, dans sa parole, dans son écriture et dans sa pensée ». C’est pourquoi cette idée doit « être professée sans cesse, même et surtout si elle ne doit pas nous empêcher de nous adresser en dehors de l’université ». Nous adresser pour donner, mais aussi pour recevoir ?
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Dedans/dehors, on n’en sort pas ! Car c’est à sa frontière incertaine « que l’université est dans le monde qu’elle tente de penser ». C’est donc, ni dedans ni dehors, mais « sur cette frontière qu’elle doit négocier et organiser sa résistance. Et prendre ses responsabilités. Non pour se clore et pour reconstituer le fantasme abstrait de souveraineté, dont elle aura peut-être commencé à déconstruire l’héritage théologique ou humaniste, si du moins elle a commencé à le faire. Mais pour résister effectivement en s’alliant à des forces extra-académiques »23. Car « l’université sans condition ne se situe pas nécessairement ni exclusivement dans l’enceinte de ce qui s’appelle aujourd’hui l’université » : elle « cherche son lieu partout où cette inconditionnalité peut s’annoncer ».

« Avec l’effondrement de ce lieu de concurrence et de mise en question des savoirs qu’est encore l’enseignement supérieur, c’est une forme irremplaçable d’esprit critique et civique, d’esprit civique critique qui viendrait à disparaître, atrophiant toute réflexion générale capable de passer les limites des spécialisations disciplinaires et des compétences économiquement fonctionnelles, et enlevant à toute une partie de la jeunesse cette part de distance critique à son destin social qui est la condition d’une vie culturelle éclairée et d’une participation active à la démocratie. »

+ Libération, 29 juin 2015 : L’université française dans l’ère de la précarité néolibérale

+ Slate du 14.02.2016 présentant le livre de Christophe Granger : La destruction de l’université française

etc... Ce n’est pas ce qui manque.


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