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Faites parler les données ! - Charles-Henry Sadien - 28 juillet 2010 à 17:34

deux propos à mettre en rapport qui viennent du même site http://www.davduf.net

Le premier sur une culture du "slow journalism" (http://www.davduf.net/Warlogs-la-nouvelle-guerre-de-l.html)

Un des faits d’armes de cette bataille de l’info, c’est évidemment l’embargo imposé à trois des plus prestigieux titres de la presse mondiale. En effet, le New York Times, le Guardian et le Spiegel ont accepté — chose inédite — de travailler ensemble et en silence ; et d’attendre le 25 juillet pour faire feu, au moment même où Wikileads mettait en ligne ses documents. Le Guardian a ce mot, étonnant, dans le monde ultra-compétitif dans lequel la presse se débat : les journaux en question et Wikileaks ont scellé une « joint venture ». La masse d’informations à traiter impliquait une telle solidarité.

Jusqu’ici, cette solidarité se voyait parfois sur le terrain, entre deux reporters copains ; ou entre télévisions (pour des raisons techniques : satellites, lumières, batteries, K7) ; mais jamais à ce niveau, et jamais sur cette durée, jusqu’à dimanche.

Plus notable encore, cette alliance est aussi la marque du slow journalism, le journalisme lent, calqué sur le mouvement slow food, celui qui prend son temps, qui recoupe, qui évalue, pèse, doute, soupèse, et re-doute. Il faut des nerfs, ne pas craindre les fuites aux fuites, les tirs amis de la concurrence. Sur ce coup, le New York Times, le Guardian et le Spiegel ont été magistraux.

Dès la publication des warlogs, les deux premiers s’expliquaient d’ailleurs. Ils faisaient du méta journalisme, comme c’est devenu désormais l’usage, depuis l’irruption du Net comme aide logistique à la critique des médias. C’est ainsi qu’un rédacteur en chef du NY Times nous apprend que son journal « a passé près d’un mois à fouiller les données à la recherche d’informations et de tendances, les vérifiant et les recoupant avec d’autres sources. » Il ajoute que « Wikileaks n’a pas révélé la manière dont il a obtenu les fichiers, pas plus qu’il n’a été impliqué dans le travail journalistique des entreprises de presse ». Au détour de ce making of salutaire, on apprend aussi que chacun a pris ses responsabilités : la Maison Blanche, mise au parfum par le New York Times, qui légitimement lui demandait sa version des faits, a exhorté WikiLeaks à ne pas rendre publics des documents qui auraient pu nuire à la sécurité des troupes présentes sur place. Ce qui a été fait. On notera au passage le fair-play du bureau ovale (qui ne pouvait, de toutes façons, que constater les dégâts) : pas de pré-fuites, pas de diversion ante-publication, comme c’est bien souvent le cas en France.

Pour être complet, le slow journalism existait avant le slow journalism. Le New Yorker en est l’illustration parfaite, voir le portrait fleuve de Julian Assange publié en juin.

... et le second sur l’investigation appréhendé comme "le capitalisme le plus dur appliqué au journalisme" (http://www.davduf.net/Clearstream-A-Denis-Robert-en-ces.html) :

... Dans la salle d’audience, il doit y en avoir un qui ne twitte pas. Un qui ne quitte pas, ni ne lâche rien : le journaliste Denis Robert, à l’origine des révélations sur la banque d’affaires luxembourgeoise Clearstream. Et voilà quelques pisse-froid de la copie-rapide qui se jettent sur le bonhomme. Haro sur « le naïf », « l’hirsute », l’« écrivain mal rasé », sur le « lampiste », le gugusse gogo qu’a-même-pas-vu-que-Lahoud-était-un-manipulateur.

Pour comprendre une telle prose, il est bon de savoir comment grouille le monde des journalistes d’investigation de la presse parisienne. Ils sont une poignée à se partager des miettes judiciaires, qui font de bons titres et de gros gâteaux (ou l’inverse). Une poignée souvent plutôt bien payée (pas de problème avec ça) en échange d’une obligation de résultats : ramener du scoop. Au kilo. Sous plastique ou non, sous blister, avec ou sans alarme, mais le plus clinquant possible. Du front page, de la cover, du facing, de la tête de gondole. L’investigation, c’est le capitalisme le plus dur appliqué au journalisme : pas de quartier pour le voisin, pas de pitié pour le concurrent, je te nique, je vais vite. Tout le talent tient dans le flingage. Désormais, la boutique est ouverte 24h/24, dimanche compris. Faut que ça tourne et à plein régime avec ça ! Faut que ça abatte du boulot — et tant pis si ça abat au passage quelques voyelles et consonnes jetées en pâture. Faut être le premier sur le fournisseur (flic, juge, avocat, indic), le premier sur le client (lecteur, spectateur), à l’affût du bilan comptable (les revues de presse scrutées comme des bonus de fin d’année) et n’être pas toujours trop regardant sur la camelote (que signifie la vérité judiciaire ? Quelles sont les conditions du recueillement de la parole retranscrite ? En garde à vue ? Chez le juge ? Qui file les P.V., et pourquoi, et comment, et à qui, et pour qui ? Et pour combien de temps ? Etc). Dans l’investigation, désormais, tout n’est qu’une question de rentabilité et de plus-value express. Et de rotation : surtout, surtout, passer d’une affaire à l’autre. Ne pas creuser au delà de l’économiquement raisonnable, ne pas aimer ses sujets, ne pas douter, fureter toujours, et fourguer encore. « Et on fera une mise à jour sur le site, si on s’est planté, va... » A ce train là, l’investigation connaîtra bientôt son affaire Madoff ou Kerviel.

journalisme "open source" versus journalisme "chasseur de primes" ?


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