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CRISE DE LA PRESSE ECRITE

La presse écrite défend ses emplois davantage que son travail

lundi 6 septembre 2004 à 00:00, par Charles-Henry Sadien

On s’inquiète de la concentration et de la mainmise financière de quelques grands groupes sur les journaux. Mais le suivisme et l’uniformisation dans l’information, alliés au laxisme et à la médiocrité du travail des journalistes, risquent d’étouffer davantage la liberté et l’indépendance de la presse française. La défense des emplois dans ce secteur (ainsi que dans l’imprimerie) ne pourra se faire sans exiger plus de qualité journalistique.

En juin 2004, le fabriquant d’armes Dassault était autorisé par l’Union Européenne à prendre le contrôle de 70 publications françaises, parmi lesquelles un tiers sont des titres de la presse quotidienne régionale. Dans le même temps, l’Observatoire Français des Médias lançait un appel contre la concentration et la mainmise financière sur les médias, une « menace pour l’indépendance des moyens d’information, de communication et d’éducation. »

L’alarmisme au sujet des difficultés de la presse écrite n’est cependant pas nouveau. Dans leurs premiers temps, la radio et la télévision ont été accusées de tuer le « vrai » journalisme. Celui d’une presse écrite autoproclamée « sérieuse » par opposition à ces médias « de distraction ». Puis, ce sont les médias numériques (internet) et les journaux gratuits qui ont été accusés de tuer la poule aux oeufs d’or. Leur professionnalisme a parfois été violement mis en cause par des « grands professionnels des médias » sans lecture préalable, pourtant.

A chaque fois, on a mis en avant l’argument de la défense de la liberté et l’indépendance de la presse, de sa pluralité et sa qualité d’information, alors qu’on cherchait surtout à défendre des emplois, des intérêts financiers et des parts de marché. Si la « concurrence » et la « conjoncture économique difficile » sont souvent évoqués, jamais la qualité des contenus n’est débattue pour expliquer les difficultés récurrentes de cette forme de diffusion de l’information, apparemment vieillissante et agonisante.

la bataille perdue de l’indépendance de la presse

L’Observatoire Français des Médias craint à juste titre que la concentration des médias entre les mains de quelques groupes financiers ne menace l’indépendance de la presse écrite. Mais le terrain de débat est bien plus vaste. La presse écrite (et les grands médias en général) est sous la tutelle des publicitaires, dont elle tire une part essentielle de ses revenus. C’est aujourd’hui une réalité indiscutable.

Mais il y a aussi la dépendance par rapport à l’Etat lui-même, qui, pour répondre aux pleurnicheries des éditeurs de presse, n’hésite pas à redistribuer directement ou indirectement de l’argent public pour ces entreprises privées.

Au début du mois d’août 2004, le Premier Ministre M. Jean-Pierre Raffarin a annoncé le déblocage de sommes énormes dans le cadre du projet de loi de finance pour l’année 2005 : 19 millions d’euros afin d’aider les imprimeries des quotidiens nationaux et 19 autres millions pour les imprimeries des quotidiens régionaux. Par ailleurs, il a été confirmé la reconduction des crédits budgétaires finançant d’autres aides à la presse et à l’Agence France-Presse (source AFP). De même, l’Etat s’est engagé à verser une subvention de 242 millions d’euros à La Poste au titre d’aide au transport de la presse (selon l’accord Presse-Poste signé le 22 juillet 2004). Une somme qui sera reconduite jusqu’en 2008.

Mais la dépendance des médias n’est pas uniquement financière, ses conséquences étant d’ailleurs peut-être anecdotiques. Elle est aussi le résultat du laxisme et de l’oisiveté des journalistes français. Ceux-ci se limitent en effet le plus souvent à un travail de simple rédacteur, se contentant, lors de conférences de presse, de recueillir des informations et déclarations sans les vérifier, ou de reformuler des dossiers de presse qui comportent de plus en plus souvent des « articles clé en main ».

L’affaire de la fausse agression de la mythomane Marie-Léonie dans le RER a sans doute fait prendre conscience au grand public de la dépendance quasi-fusionnelle des médias à l’égard des pouvoirs publics et institutions françaises. En effet, à cette occasion, les plus grands journaux français - dont Le Monde et Libération - se sont maladroitement dédouanés de leurs fautes journalistiques - manquement au devoir de prudence, absence de vérification des informations et absence d’enquête sur le terrain - arguant que l’information provenait d’une « source officielle », en l’occurrence les services de l’Etat (comme l’a montré l’excellent dossier d’Acrimed action critique medias).

Tout porte à croire qu’une information, dès lors qu’elle émane d’une source officielle dispense les journalistes d’accomplir leur travail le plus élémentaire.

Ainsi, l’AFP a-t-elle diffusé une dépêche, reprise par la plupart des médias sans aucune vérification. Les journalistes se sont contentés, comme c’est souvent le cas, de la récrire en fonction de leur ligne rédactionnelle pour illustrer une montée de l’antisémitisme mise en avant par le Président de la République M. Jacques Chirac quelques jours plus tôt. Les médias se sont ainsi montrés, consciemment ou non, comme des organes officiels de la propagande du gouvernement, après avoir relativement ignoré, comme ces derniers, les vrais actes antisémites.

Des médias au service de la communication

des hommes de pouvoirs

Le procédé n’est pas nouveau. Lors de la dernière campagne présidentielle, les médias avaient tous déversé une prose abondante sur l’insécurité. Un thème jugé central sur la foi de quelques sondages, n’ayant évidement pas valeur d’enquête ou de travail d’investigation sérieux. Les médias sont dès lors devenus la plus importante arme publicitaire de la droite et de l’extrême droite. Le moindre fait divers de province a pris alors une dimension nationale. Soudain, la France devenait un pays très dangereux où la mort guettait chaque citoyen à tous les coins de rues.

Tout comme dans l’affaire Marie-Léonie, la presse écrite (et audiovisuelle ou radiophonique) n’a jamais fait son autocritique face à cet emballement hystérique. Pire, elle n’en a pas tiré de leçons. Sous couvert de mettre en lumière un « phénomène de société », les médias ne font apparemment que « fabriquer de l’opinion » et être le porte-voix dociles des pouvoirs en place, alors qu’ils devraient être en quête de justesse.

A titre d’exemple, un an après le phénomène de la canicule en France qui a causé près de 15.000 décès, très peu de médias ont enquêté sérieusement (France 3, Libération...) sur l’efficacité des mesures sanitaires et sociales prises par le gouvernement. La plupart se sont simplement fait le relais des déclarations rassurantes du ministre de la Santé, M. Philippe Douste-Blazy, contrebalancées parfois (mais pas toujours) par celles plus alarmistes d’un médecin omniprésent, le seul responsable syndical vraiment médiatisé. Entre un ministre occupé à faire de la communication et un syndicaliste hurlant au manque de personnel, chacun joue son rôle et le citoyen est prié de se faire sa propre idée subjective sur la situation sans autres éléments d’information constitutifs d’un jugement éclairé.

Un journalisme qui surfe sur les sujets

de société « préfabriqués »

La médiocrité et le travail approximatif des médias vont souvent de paire avec un suivisme qui finit par lasser les lecteurs abreuvés de sujets et thèmes d’actualité montés en épingle. C’est le cas du problème de la vétusté supposée des ascenseurs en France. Profitant de l’opportunité d’un fait divers parisien au plein coeur de l’été (un ascenseur s’écroule, les utilisateurs subissent des blessures plus ou moins légères), la plupart des médias ont voulu en faire un « phénomène de société » pour dénoncer un soit disant état de délabrement des ascenseurs en France... tout en reconnaissant paradoxalement dans le corps de leurs articles que les accidents d’ascenseurs de ce type étaient extrêmement rares !

La polémique relative à la présence jugée de plus en plus importante des véhicules de type 4x4 dans les grandes villes constitue un autre exemple édifiant du suivisme des médias. Il y a quelques mois, le maire de Londres s’emportait avec véhémence contre la prolifération des 4x4 dans sa ville. Quelques jours plus tard, toute la presse française menait sa propre « enquête » sur les désagréments de ces voitures à Paris. Enfin, durant l’été, la presse provinciale, en mal de sujets car en mal de travail en profondeur, y est allée de son petit reportage sur la « plaie » des 4x4 dans leurs villes respectives de diffusion, à l’image du quotidien Le Berry Républicain (Bourges - Cher) diffusé dans les fins fonds du Berry. Pour l’anecdote, L’Agitateur de Bourges a même été sollicité par un grand hebdomadaire national, Le Nouvel Observateur qui souhaitait obtenir la confirmation d’une rumeur parisienne (par ailleurs absolument infondée à notre connaissance) selon laquelle M. Serge Lepeltier, ancien maire de Bourges et actuel ministre de l’environnement, se déplaçait en 4x4.

La presse écrite devrait prendre davantage de recul et proposer une information de meilleure qualité par rapport aux médias radiotélévisés ou en ligne. Mais on constate au contraire une tendance à l’imitation dans une course à l’information aussi effrénée qu’insensée. Les lecteurs n’éprouvent donc plus le besoin de relire le lendemain la même information sans plus-value par rapport à ce qu’ils ont vu la veille au journal télévisé ou ce qu’ils ont consulté sur les portails d’information du web qui diffusent en direct les dépêches de l’AFP.

En courant désespérément derrière la télévision, la radio et l’internet, la presse écrite oublie que sa qualité principale est de pouvoir aller plus au fond des choses. Elle perd des lecteurs et se place à découvert face à de grands groupes financiers qui s’intéressent moins aux retombées financières qu’à la possibilité pour eux de contrôler l’information. En s’emparant d’Editis, la holding Wendel Investissement, dirigée par le Président du Medef, M. Ernest-Antoine Seillière, est ainsi devenue le deuxième groupe éditeur de manuels scolaires français...