Gros temps à la MCB
Hier, vendredi 16 mai, les personnels de la Maison de la Culture de Bourges ont marqué un retard au démarrage du spectacle programmé [1], pour signifier leur mécontentement devant le public et face à la direction.
Les soutiers, les travailleurs de l’ombre, sont donc montés sur le pont. En silence. Car il leur avait été interdit de s’exprimer devant le public à l’intérieur du théâtre. Peine perdue : un spectateur a dit pour eux le texte préparé par les grévistes et l’intersyndicale CGT-CFDT. Nous le reproduisons ci-dessous.
Cette démonstration est l’aboutissement de semaines et de mois de guérilla larvée avec le nouveau directeur, Monsieur Roussillon, dont le style et les méthodes de « management » ne sont pas appréciées, c’est le moins qu’on puisse dire.
En cause : la mauvaise organisation du travail, le non respect des conventions collectives, le harcèlement et l’intimidation des personnels ... L’autoritarisme, l’opacité et l’incohérence font mauvais ménage. Les personnels en ont assez d’en faire les frais, d’autant que certains voient maintenant leurs emplois menacés.
Cette nouvelle dégradation du climat de travail a suscité un sursaut de solidarité parmi les personnels qui se sont organisés et ont trouvé l’appui des organisations syndicales.
Après cette démonstration, il est à espérer que les parties trouveront le chemin de la négociation. La vénérable maison pourrait souffrir de ces tensions sociales. Personne n’a intérêt à voir le grand navire de la Place Malraux heurter les récifs.
Texte lu au public
Ce texte devait être lu aux spectateurs pour expliquer le retard au lever de rideau. La direction s’y est opposée. C’est pour cela qu’il vous est distribué à l’extérieur de l’entreprise.
Mesdames, Messieurs, bonsoir.
Vous êtes les spectateurs. Nous, nous sommes les salariés de cette entreprise du spectacle. Nous sommes ceux que vous ne connaissez pas ou que vous apercevez dans la pénombre.
Nous représentons une partie de ceux, qui, nous le souhaitons vous offrent des spectacles de qualité.
Avant que le rideau ne se lève, vous ne pouvez ignorer le travail de toute une équipe.
Des relations publiques et du service communication qui vous informent et suscitent votre curiosité, accueillent artistes et compagnies
Des régisseurs du son qui doivent étudier les spectacles afin que le matériel soit opérationnel : réglages, synchronisation des effets sonores ….
Des régisseurs lumière qui étudient le déroulé du spectacle, installent et règlent les projecteurs….
Des régisseurs plateau qui ont dressé les décors, disposé les accessoires...
Les agents d’entretien se sont efforcés de rendre les lieux agréables, les caissiers vous ont vendu votre place, les ouvreuses ont œuvré … avec professionnalisme.
L’ensemble des personnels est vigilant à votre sécurité et soucieux de votre accueil dans ce lieu magique du spectacle.
Ceci est un bref aperçu du travail que réalisent les personnels de cette maison.
Après le spectacle, en commentant la soirée, en rêvant pour d’autres, vous quitterez ces lieux.
Pour les techniciens, la journée de travail continue. Il nous faut démonter les décors afin que le spectacle reparte vers d’autres villes et préparer la salle pour la prochaine production et ce jusqu’à minuit, une heure ou deux heures du matin.
Nous sommes ceux qui travaillent dans l’ombre, le jour, la nuit, régulièrement les week-ends et les jours fériés.
Il nous paraissait indispensable de nous présenter avant de justifier ce retard du lever de rideau.
De graves problèmes se posent à nous. Bien entendu, en interne, nous avons tenté, au préalable, de discuter, de résoudre ces difficultés. Or, nous heurtons à une absence de dialogue et un refus de prise en compte de nos problèmes. Notre situation se dégrade : les conditions d’exercice de nos métiers deviennent de plus en plus difficiles.
Nous peinons à faire respecter la convention collective qui définit notre cadre professionnel et parfois même, le code du travail n’est pas respecté. Les instances élues du personnel (comité d’entreprise, délégués syndicaux) ont du mal à exercer sereinement et de manière constructive leur mandat.
Nous avons exposé ces problèmes de fonctionnement. Les seules réponses qui nous parviennent sont des décisions unilatérales, purement hiérarchiques, caduques.
L’organisation du travail par les responsables techniques est insatisfaisante : manque de préparation, de clarté, de précision et manque d’anticipation. Les techniciens sont rendus responsables des conséquences de cette absence d’organisation alors qu’elle ne leur incombe nullement. Depuis septembre, plusieurs techniciens ont reçus des avertissements ou des mises en demeure. Actuellement, l’un des régisseurs est menacé injustement de licenciement, alors que curieusement il donnait satisfaction au poste qui est le sien depuis 5 ans.
Nous nous élevons contre ce fonctionnement, contre ce climat de suspicion et d’insécurité, contre les pressions qui sont exercées, contre cette défausse régulière sur les salariés d’une mauvaise organisation du travail. Régler les problèmes par des sanctions n’est pas une solution.
Dans ce monde magnifique du spectacle, ce théâtre qui parle souvent des droits des hommes, de la difficulté d’être, de l’humanité, des relations humaines, il est important que vous sachiez que le drame (au sens théâtral) se joue aussi dans les coulisses et dans notre vie de salarié.
Nous souhaitons exercer nos beaux métiers dans des conditions décentes, au service du spectacle et à votre service.
Cordialement et malgré tout, nous vous souhaitons une très bonne soirée.
Les salariés de la Maison de la Culture
[1] Sans retour, mise en scène et lumière de François Verret ; inspiré par le Moby Dick de Melville, ce spectacle de danse — très réussi — qui met en scène des corps qui luttent contre les éléments tourbillonnants et l’invisible mal, formait une coïncidence curieuse avec le présent du théâtre qui l’accueillait.