Élections espagnoles

lundi 21 novembre 2011 à 20:44, par B. Javerliat

La droite espagnole a obtenu hier une écrasante majorité lors des élections législatives, gagnant même la majorité absolue des sièges. Les espagnols ont porté au pouvoir ceux-là mêmes qu’ils avaient viré avec pertes et fracas huit ans plus tôt (gouvernement de José María Aznar). Le Parti Socialiste, qu’ils avaient porté aux nues en 2004, a pris la pire raclée de son existence en 2011. Alors quoi, les Espagnols seraient-ils des girouettes, ou n’auraient-ils pas plus de mémoire qu’un poisson rouge ?

C’est oublier que l’accession des socialistes au pouvoir en 2004 relevait plus de la conjoncture que d’un programme. L’envoi de troupes en Irak par Aznar, en bon larbin de Bush qu’il était, avait fini par excéder les espagnols qui n’en pouvaient plus de ses mensonges pour justifier cette participation à une guerre « illégale » et de voir leurs soldats se faire tuer pour rien. Le dernier coup de pouce (ou coup de grâce pour Aznar, qui expliquait que l’ETA en était l’auteur) viendra avec le plus grand attentat terroriste survenu en Espagne (191 victimes à Madrid) quelques jours avant les élections. José Luis Zapatero arrive au pouvoir presque par « effraction », par rejet massif de la droite, dans une Espagne alors citée comme référence de la réussite économique libérale en Europe. Elle ne faisait pas encore partie des « pays du Club Med » ou des « PIGS ». Zapatero sera d’ailleurs réélu en 2008.

Élections espagnoles

Mais quand la bulle immobilière a explosé, Zapatero fut bien dépourvu ! En bon social-démocrate, (tendance Papandréou), il appliqua avec zèle toutes les injonctions des marchés. Le résultat dépassa toutes les espérances : le pays fut plongé dans une profonde récession, la dette, les taux d’intérêt et le chômage explosèrent, des manifestations monstres se succédèrent et donnèrent naissance au mouvement des Indignés. Plus les espagnols hurlaient leur colère, plus Zapatero en rajoutait dans l’austérité : à quelques semaines des élections, il fut même l’un des rares dirigeants européens à inscrire la fameuse « règle d’or » des néolibéraux dans la constitution. Perdu pour perdu, autant finir le sale boulot dicté par l’Europe et le FMI ! La droite n’avait plus qu’à ne rien faire ni rien dire pour revenir au pouvoir. Il suffisait d’attendre.

Ce fut fait le 20 novembre 2011 : Mariano Rajoy emporte la majorité absolue. Comme ils avaient chassé Aznar du pouvoir en 2004, les Espagnols ont viré Zapatero plus qu’ils n’ont élu Rajoy en 2011. C’est à cause d’une abstention massive des électeurs socialistes que la droite à gagné, et non pas grâce à un vote massif à droite des Espagnols. Alors que Zapatero avait fait environ 11 millions de voix en 2004 lors de sa ré-élection, le score du PSOE est tombé à moins de 7 millions dimanche dernier. Le PP n’a progressé quant à lui que d’un demi million de voix. Où sont passées alors ces voix manquantes ? Quasiment nulle part. Les « petits » partis, s’ils ont progressé, n’atteignent pas des scores très significatifs. La « gauche unie » gagne quelques sièges ainsi que les centristes et les nationalistes. Les Espagnols sont restés chez eux, écœurés. Prostrés, plutôt.

Car, le vrai vainqueur, ce sont « les marchés ». Leur travail de sape du moral des Espagnol a été colossal. Pour récupérer leur mise suite à la faillite des « subprime à l’espagnole », ils n’ont eu de cesse ensuite d’exiger des mesures d’austérité auprès du gouvernement socialiste. Et à chaque fois que Zapatero obéissait à leurs injonctions, ils en demandaient encore plus en dégradant à nouveau la note de l’Espagne. Et plus les Espagnols se serraient la ceinture pour éponger leur dette, plus les marchés augmentaient les taux des prêts qu’ils leurs concédaient, rendant le remboursement impossible. Ce chantage infernal a duré 3 ans jusqu’à ce que Zapatero jette l’éponge et organise des élections anticipées. Quelques semaines encore avant le scrutin, alors que la victoire de la droite était acquise, les agences Fitch, Moody’s et Standard & Poor’s accentuaient leur chantage en dégradant la note espagnole d’un cran supplémentaire. Il fallait finir la bête aux pieds.

La stratégie du choc, celle qui consiste à neutraliser son adversaire sous une avalanche de coups, à encore parfaitement réussi. Les marchés ont remis leurs amis – leurs larbins, plutôt – au pouvoir. Avec ce raffinement suprême dans la torture : alors qu’en Grèce et en Italie, les marchés ont dû piétiner la démocratie en organisant des coups d’État pour prendre le pouvoir, en Espagne ils ont contraint les Espagnols à voter « démocratiquement  » pour leurs bourreaux.

Comme dit Irène Félix : « S’en inspirer pour la suite. Surtout si la gauche gagne en 2012. »


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commentaires
Élections espagnoles - B. Javerliat - 23 novembre 2011 à 07:14

Les marchés ont remis leurs amis – leurs larbins, plutôt – au pouvoir.

Ca n’aura pas trainé : Standard and Poor’s a déclaré hier, soit 2 jours après le scrutin :

"La majorité claire obtenue par le Parti populaire pourrait faciliter une mise en oeuvre concentrée en début de législature de mesures de réformes".

Concentrée...


Élections espagnoles - DD - 23 novembre 2011 à  13:27

Quel gaspillage, ils auraient fait gagner du temps à tout le monde en annonçant leur programme de réforme plutôt que de ménager le nouveau pantin.

Répondre à ce message #34151 | Répond au message #34139
Elections espagnoles - DD - 22 novembre 2011 à 12:53

Autre bonne raison de s’inquiéter : la technocratie financière gagne la bataille jusque dans les politiques publiques.

En effet, comment les Etats européens prétendent-ils répondre à la crise des dettes souveraines ? Par un débat sur le traité de Lisbonne et le recours aux banques nationales ? On aimerait bien ... Mais pour les partis traditionnels, il semble que cette question soit réservées aux ringards et au débiles qui n’ont toujours pas compris l’avenir de l’économie (sans doute parce qu’ils partent toujours après le dessert au diner du siècle).

Non, non, on créé des produits financiers (vivement l’eurobonds) des fonds de garantie qui eux-mêmes son garantis. On se laisse taxer par des banques privées qui servent déjà de conseil d’administration à la France (entre autres) et la punissent avec des taux d’intérêt élevés. C’est tout un pays, toute une région qui est sous crédit revolving.


Elections espagnoles - bombix - 22 novembre 2011 à 06:15

Oui. Plusieurs remarques : La stratégie du choc renvoie à l’ouvrage de Naomi Klein. C’est une grille de lecture qui n’est pas inintéressante en effet. 1) Ca met à mal l’un des dogmes du libéralisme, l’idée qu’une politique libérale laisse faire les acteurs, et subséquemment qu’il n’y aurait pas de constructivisme (idée chère à Hayek) Et bien voilà, le néolibéralisme n’a rien d’un repli du politique : il est politique de part en part ; il n’a rien d’un laisser faire : il est construit et mis en place avec les méthodes les plus brutales.
2) la crise des subprimes n’est pas un problème de mauvaise gestion — comme s’il y avait une bonne gestion du capitalisme, une gestion acceptable, un capitalisme équitable ! — due à des acteurs incompétents ou crapuleux, mais est inscrite dans la logique du système, la spéculation immobilière ayant suppléé pour un temps à la chute du taux de profit. Cela s’appelle reculer pour mieux sauter. Corollairement, le mouvement des indignés, qui chérit les causes et maudit les conséquences, comme la gauche et l’extrême gauche électoraliste française, sont condamnés à l’impuissance, à la mauvaise foi, et aux pleurnicheries. Le slogan débile du Front de gauche "l’humain d’abord" est tout un programme : le programme d’une faiblesse politique et intellectuelle humaine, trop humaine ... L’intersyndicale propose une riposte à la hauteur des enjeux : une nouvelle journée d’action le 13 décembre ! Et puis ensuite on réfléchira si on en organise une autre au mois de janvier ... Nous voilà bien partis.


Elections espagnoles - DD - 22 novembre 2011 à  12:42

la crise des subprimes n’est pas un problème de mauvaise gestion — comme s’il y avait une bonne gestion du capitalisme, une gestion acceptable, un capitalisme équitable ! — due à des acteurs incompétents ou crapuleux, mais est inscrite dans la logique du système, la spéculation immobilière ayant suppléé pour un temps à la chute du taux de profit.

Pas d’incompétence ni de crapulerie ?
Pourtant des règles ont été enfreintes : des réserves obligatoires ont été investies, Madoff a mis en place une véritable escroquerie d’une ampleur démente. Même pour un thuriféraire du capitalisme financier, une pyramide de ponzi n’est pas un système sain ou une tentative louable.
Je veux bien qu’on puisse y accorder une importance toute relative quand on souhaite une remise en cause du système aussi profonde que vous mais il y a tout de même des faits. Je ne suis pas certain que les nier donne du crédit à vos argumentaires.
Ou alors j’ai raté quelque chose ...

Je me demande également pourquoi décrire l’apparition de ces produits financiers comme un paliatif ? Un paliatif provisoire même. Les fameuses subprimes ont vu le jour dans l’immobilier mais si je me souviens bien, la secousse provient d’un ensemble de produits dérivés qui concerne l’ensemble de la consommation des ménages.
C’est d’ailleurs une partie du problème actuel : tout ça continue ans la joie et la bonne humeur : un crédit revolving peut donner naissance à un autre produit quand il est racheté, ou en combinant plusieurs société de crédit qui se partagent les marges... bref l’avidité continue de générer du surendettement, des bulles financières, de l’opacité et une sorte particulière de bureaucratie privée (sans tout ce merdier pas besoin d’agence de notation pour jouer (piètrement) les fanals dans le brouillard).
Du reste la spéculation immobilière n’est pas une grande nouveauté, si ?

Répondre à ce message #34131 | Répond au message #34129
Elections espagnoles - bombix - 22 novembre 2011 à  13:35

Bon alors disons que c’est la logique du système qui est elle-même crapuleuse. Au reste on a de plus en plus de mal à distinguer entre les voyous et les grands patrons, entre DSK et "Dodo la saumure". Je voulais simplement dire que le recours à des boucs émissaires genre J. Kerviel pour expliquer tous ces dysfonctionnement est une malhonnêteté intellectuelle. La spéculation immobilière est si peu une nouveauté que la crise de 29 s’origine dans le même genre d’opération, décrit naguère par Galbraith.

la secousse provient d’un ensemble de produits dérivés

Les produits dérivés font partie intégrante de ce système. Il n’y a pas un système sain et un système malsain. Il y a un système mortifère qui se nomme le capitalisme et la première chose pour en sortir et de prendre conscience de son existence et de son fonctionnement.

Répondre à ce message #34133 | Répond au message #34131
Elections espagnoles - DD - 22 novembre 2011 à  14:11

Bon alors disons que c’est la logique du système qui est elle-même crapuleuse.

J’aime mieux ça !
Woerth et Madoff, même combat !

Répondre à ce message #34134 | Répond au message #34133