Élections espagnoles
La droite espagnole a obtenu hier une écrasante majorité lors des élections législatives, gagnant même la majorité absolue des sièges. Les espagnols ont porté au pouvoir ceux-là mêmes qu’ils avaient viré avec pertes et fracas huit ans plus tôt (gouvernement de José María Aznar). Le Parti Socialiste, qu’ils avaient porté aux nues en 2004, a pris la pire raclée de son existence en 2011. Alors quoi, les Espagnols seraient-ils des girouettes, ou n’auraient-ils pas plus de mémoire qu’un poisson rouge ?
C’est oublier que l’accession des socialistes au pouvoir en 2004 relevait plus de la conjoncture que d’un programme. L’envoi de troupes en Irak par Aznar, en bon larbin de Bush qu’il était, avait fini par excéder les espagnols qui n’en pouvaient plus de ses mensonges pour justifier cette participation à une guerre « illégale » et de voir leurs soldats se faire tuer pour rien. Le dernier coup de pouce (ou coup de grâce pour Aznar, qui expliquait que l’ETA en était l’auteur) viendra avec le plus grand attentat terroriste survenu en Espagne (191 victimes à Madrid) quelques jours avant les élections. José Luis Zapatero arrive au pouvoir presque par « effraction », par rejet massif de la droite, dans une Espagne alors citée comme référence de la réussite économique libérale en Europe. Elle ne faisait pas encore partie des « pays du Club Med » ou des « PIGS ». Zapatero sera d’ailleurs réélu en 2008.
Mais quand la bulle immobilière a explosé, Zapatero fut bien dépourvu ! En bon social-démocrate, (tendance Papandréou), il appliqua avec zèle toutes les injonctions des marchés. Le résultat dépassa toutes les espérances : le pays fut plongé dans une profonde récession, la dette, les taux d’intérêt et le chômage explosèrent, des manifestations monstres se succédèrent et donnèrent naissance au mouvement des Indignés. Plus les espagnols hurlaient leur colère, plus Zapatero en rajoutait dans l’austérité : à quelques semaines des élections, il fut même l’un des rares dirigeants européens à inscrire la fameuse « règle d’or » des néolibéraux dans la constitution. Perdu pour perdu, autant finir le sale boulot dicté par l’Europe et le FMI ! La droite n’avait plus qu’à ne rien faire ni rien dire pour revenir au pouvoir. Il suffisait d’attendre.
Ce fut fait le 20 novembre 2011 : Mariano Rajoy emporte la majorité absolue. Comme ils avaient chassé Aznar du pouvoir en 2004, les Espagnols ont viré Zapatero plus qu’ils n’ont élu Rajoy en 2011. C’est à cause d’une abstention massive des électeurs socialistes que la droite à gagné, et non pas grâce à un vote massif à droite des Espagnols. Alors que Zapatero avait fait environ 11 millions de voix en 2004 lors de sa ré-élection, le score du PSOE est tombé à moins de 7 millions dimanche dernier. Le PP n’a progressé quant à lui que d’un demi million de voix. Où sont passées alors ces voix manquantes ? Quasiment nulle part. Les « petits » partis, s’ils ont progressé, n’atteignent pas des scores très significatifs. La « gauche unie » gagne quelques sièges ainsi que les centristes et les nationalistes. Les Espagnols sont restés chez eux, écœurés. Prostrés, plutôt.
Car, le vrai vainqueur, ce sont « les marchés ». Leur travail de sape du moral des Espagnol a été colossal. Pour récupérer leur mise suite à la faillite des « subprime à l’espagnole », ils n’ont eu de cesse ensuite d’exiger des mesures d’austérité auprès du gouvernement socialiste. Et à chaque fois que Zapatero obéissait à leurs injonctions, ils en demandaient encore plus en dégradant à nouveau la note de l’Espagne. Et plus les Espagnols se serraient la ceinture pour éponger leur dette, plus les marchés augmentaient les taux des prêts qu’ils leurs concédaient, rendant le remboursement impossible. Ce chantage infernal a duré 3 ans jusqu’à ce que Zapatero jette l’éponge et organise des élections anticipées. Quelques semaines encore avant le scrutin, alors que la victoire de la droite était acquise, les agences Fitch, Moody’s et Standard & Poor’s accentuaient leur chantage en dégradant la note espagnole d’un cran supplémentaire. Il fallait finir la bête aux pieds.
La stratégie du choc, celle qui consiste à neutraliser son adversaire sous une avalanche de coups, à encore parfaitement réussi. Les marchés ont remis leurs amis – leurs larbins, plutôt – au pouvoir. Avec ce raffinement suprême dans la torture : alors qu’en Grèce et en Italie, les marchés ont dû piétiner la démocratie en organisant des coups d’État pour prendre le pouvoir, en Espagne ils ont contraint les Espagnols à voter « démocratiquement » pour leurs bourreaux.
Comme dit Irène Félix : « S’en inspirer pour la suite. Surtout si la gauche gagne en 2012. »