Souvenirs d’un camp nazi
Il n’avait pas encore 18 ans que sa vie s’est arrêtée : déporté dans un camp nazi, Pierre Ferdonnet fait partie de ces résistants de la première heure qui n’ont jamais abdiqués ni ne sont planqués. Ancien maire adjoint sous la municipalité de Jacques Rimbault, continue aujourd’hui la résistance en intervenant régulièrement en milieu scolaire. Son mot d’ordre ? Ni haine, ni oubli. Rencontre.rnrn
Quelles ont été vos conditions d’arrestation ?
Pierre Ferdonnet : Nous avons été dénoncés et arrêtés pour avoir distribué des tracts appelant à la résistance. Nous avons été déportés et amenés aux " douches ". Cela consistait à nous mettre à nu des pieds à la tête et à remplacer nos vêtements par d’autres vêtements civils qui appartenaient à des gens qui avaient été envoyé dans un camp et passés au four crématoire. On nous a donné un pantalon, une chemise, une veste et des claquettes. Ensuite, on nous a tatoué un numéro sur le bras. C’est le seul camp qui procédait de la sorte. Dans les autres camps, c’est un morceau d’étoffe avec un numéro et un triangle rouge qui était cousu sur la veste. Dans le triangle, il y avait une lettre indiquant notre nationalité. Il faut dire que notre convoi était destiné au four crématoire.
Et ensuite ?
Pierre Ferdonnet : On est resté un bon mois à Birkeno. C’était un camp d’extermination composé de cinq fours crématoires qui fonctionnaient jour et nuit. J’ai finalement été transféré dans un camp de représailles, à Flossenbourg.
Comment cela se passait au quotidien ?
Pierre Ferdonnet : On nous faisait travailler jusqu’à 1h30 et on était ensuite relayé par l’équipe de nuit. Il y avait une pose d’une demi-heure pour manger la soupe... où du moins une espèce de liquide. Ensuite, après le travail forcé, on nous donnait un morceau de pain. Puis on rentrait dans le bloc et on allait se coucher. On couchait à quatre par paillasse : deux dans un sens et deux dans l’autre. A quatre heures du matin, il y avait l’appel pour aller au travail. Le dimanche, on restait dans le camp. On ne savait pas quoi faire, bien sûr. Et puis le lundi, ça reprenait.
Comment se déroulait la sélection pour les chambres à gaz ?
Pierre Ferdonnet : On était arrêté en grand nombre. On amenait les femmes, les hommes, les enfants, les vieillards... Les enfants étaient séparés de leur mère, et les femmes de leur mari. Mais ils allaient tous dans la même direction : les chambres à gaz. Avant le crématoire, il y avait la chambre où l’on préparait les cadavres. Les vêtements et les bijoux étaient récupérés... La plupart de ceux qui travaillaient dans les crématoires étaient des Polonais. Ils restaient six mois à faire ce travail. Ils avaient ainsi droit à un régime particulier, notamment au niveau de la nourriture. Mais au bout de six mois, c’était à leur tour de passer dans les crématoires.
Y-avait-il des révoltes dans les camps ?
Pierre Ferdonnet : Je n’en ai jamais vu. Nous étions dans un état physique lamentable : nous n’aurions pas pu aller bien loin. Certains ont essayés de s’évader. Un soir, nous avons étés réunis sur la place d’appel pour assister à la pendaison d’un polonais qui avait le bras cassé. Il était debout sur un tabouret avec une corde au cou qui était reliée à une charpente. Le commandant SS s’est approché pour retirer le tabouret. A ce moment, le polonais d’un pied a envoyé un grand coup dans la poitrine du SS et de l’autre a fait tomber le tabouret. On nous a forcé à rester la toute une partie de la nuit, dans le froid, pour " admirer le pendu ". C’était la mesure de représailles du commandant SS qui avait été bien amoché.
Il y avait beaucoup de pendaisons. On arrivait tout de même à l’intérieur des camps à faire de la résistance. Mais ce n’était pas facile. Il fallait qu’il y ait parmis les français ou les allemands, des personnes sûres. A Flossensbourg, nous avions réussi à former un petit groupe de résistants autour d’un ancien député allemand qui avait été emprisonné au moment de l’arrivée de Hitler au pouvoir. Nous sabotions les pièces que l’on nous faisait construire.
N’y avait-il que des SS Allemands pour s’occuper des camps ?
Pierre Ferdonnet : Oui, mais il y avait des personnes d’autres nationalités qui faisaient fonctionner ce système. A Bourges, par exemple, il y avait Paoli.
En 1948, comment avez-vous été accueilli par vos compatriotes ?
Pierre Ferdonnet : Indifférence totale. Les gens ne nous écoutaient pas. De toute façon, nous devions nous réinsérer, alors on parlait peu des camps.
Certains hauts dignitaires nazis ont été pendus, quelques uns ont été jugés à l’image de Paul Touvier... que sont devenus les autres ?
Pierre Ferdonnet : On a simplement l’exemple d’un camps où les américains ont livré le responsable nazi aux prisonniers soviétiques qui lui ont infligé toutes les heures 25 coups de Chlag. C’était un traitement que nous subissions régulièrement. On nous mettait sur un tabouret, les fesses à l’air et on nous administrait 20 coups de Chlag. C’était un morceau de caoutchouc rempli de sable avec au bout, un boulon. Quand vous avez reçu 25 coups et que vous n’êtes déjà pas dans un bon état physique, vous arrivez à vous en sortir une fois, mais pas deux. Le responsable nazi, lui, a reçu 25 coups toutes les heures, si bien qu’à la fin de la journée, il était mort. C’est le seul cas à ma connaissance. Vous savez, parmis les SS, il y en a beaucoup qui sont partis à l’étranger : aux Etats Unis, en Argentine, en Espagne...
Vous intervenez beaucoup en milieu scolaire : quelles sont les réactions à vos récits ?
Pierre Ferdonnet : On s’aperçoit que les jeunes s’intéressent beaucoup à ce que l’on raconte. C’est un travail que l’on continuera à faire de manière à ce que plus jamais de telles choses se passent. Les dangers existent. En Autriche, bien sûr, mais pas seulement. A Anvers, les extrémistes sont arrivés en tête des élections avec 38% des voix. Ces dangers existent aussi en Italie. Ils existent encore chez nous. Quoi qu’on en dise, Le Pen et Mégret sont toujours là. Et puis on assiste à une montée en puissance des négationnistes qui falsifient l’histoire. Tant qu’on pourra le faire, on continuera à témoigner pour appeler à la conscience des jeunes.