Commémoration du 27 mai 1943

Création du CNR il y a 68 ans

Compte-rendu du débat du 21 mai 2011 à Bourges
jeudi 26 mai 2011 à 11:32, par Mercure Galant

Samedi dernier, par un bel après-midi ensoleillé, le Berruyer avait l’embarras du choix. Il pouvait aller encourager l’effort des jeunes rameurs au championnat d’aviron se déroulant sur le plan d’eau du Val d’Auron, applaudir les exploits acrobatiques des motards de la garde républicaine à Séraucourt, ou bien admirer les gros cubes lustrés des bikers se pavanant au rassemblement d’Harleylluia... Le Berruyer pouvait aussi choisir d’aller s’enfermer au frais et à l’ombre dans l’amphithéâtre des Archives départementales pour assister au débat commémorant le 68ème anniversaire de la réunion inaugurale du Conseil national de la Résistance (CNR) qui se tint le 27 mai 1943...

Passée une brève allocution d’introduction du président du Conseil général du Cher, Alain Rafesthain, le CG étant à l’initiative de cette table ronde, c’est Jean-Louis Laubry, enseignant et historien, chargé d’animer ce débat, qui prit la parole pour présenter les différents intervenants. [1]

Création du CNR il y a 68 ans
Le Conseil National de la Résistance à la Libération

Les circonstances de la création du CNR

En préambule, le doyen et unique survivant de cette rencontre historique, Robert Chambeiron, rappelle que juste après l’effondrement de juin 1940 il n’existe pas véritablement en France, de résistance organisée mais que l’on observe plutôt une série d’actes individuels de résistance.
L’idée de "résistance" émerge avec Jean Moulin qui, dès le 15 mai 1940, alors préfet d’Eure-et-Loir, écrit déjà en substance dans une lettre : "Nous avons perdu la guerre, nous allons être occupés mais il ne faut pas désespérer car il faudra préparer la résistance." Maintenu à son poste de préfet, puis arrêté pour refus d’obtempérer aux injonctions des allemands, il fait une tentative de suicide. Plus tard, il parvient à quitter la France grâce au colonel Mahnès qui s’arrange pour lui obtenir un visa de sortie - sous une fausse identité - par l’intermédiaire du sous-préfet de Grâce de l’époque. [2] En septembre 1941, passant par l’ Espagne et le Portugal, Jean Moulin rejoint finalement Londres où il est reçu par le Général De Gaulle. Ce dernier le renvoie une première fois en France dans le but de recueillir des informations et pour tenter de rassembler les principaux mouvements de résistance. Plus tard en 1943, Jean Moulin repartira avec pour mission de créer le CNR.

La rédaction du programme

Il était concrètement très difficile pour les membres du Conseil de se réunir. Les lieux publics tels que les bistrots où les squares étaient proscrits car trop dangereux. Seuls des appartements - le plus souvent prêtés par des connaissances et chaque fois différents - pouvaient permettre la tenue de réunions. C’est pourquoi le CNR, constitué de 17 membres au total, ne put se rencontrer qu’une seule fois lors le 27 mai 1943. Ensuite , par mesure de sécurité, on préféra déléguer un bureau exécutif constitué de 5 ou 6 membres pouvant se retrouver plus discrètement en commissions. [3]
À cela s’ajoutait une difficulté plus grande encore. Faire en sorte que, des propositions émanant de toutes les sensibilités de la résistance, surgisse un consensus autour des points de ce programme. il fallut faire des concessions de part et d’autre, et presqu’un an, pour parvenir à l’élaboration du texte final.

Les thèmes du programme

Robert Chambeiron se souvient d’un journal clandestin paru en Bretagne en 1942 dont l’éditorial développait les arguments suivants : "Nous voulons bien nous battre et nous sacrifier mais pas pour rien. Nous voulons que ça change !" Ce sera, selon lui, l’esprit qui anima dès le départ le CNR, refusant l’hypothèse d’un retour des anciens dirigeants politiques au pouvoir.

 [4]

À sa parution, le 15 mars 1944 , ce programme qui vise à reconstruire la France est " la manifestation d’une volonté tonique" selon l’expression de l’historien Alfred Grosser. Le programme CNR est un compromis à double échéance dans lequel chacun fait donc des concessions.
La première partie est un plan d’action immédiate, élaborée plutôt par les communistes. La victoire sur le régime nazi étant le premier objectif à atteindre, ils sont d’accord pour ne pas rédiger un programme anticapitaliste.
Les mesures plus attentistes sont a contrario plutôt défendues par le Parti Socialiste, ainsi que les réformes économiques et sociales que les conservateurs et des centristes comme René Pleven finiront par accepter également. Si, pour Alfred Grosser, « ce texte a été fécond avant même l’institution de la Vème République, les espérances nouvelles qu’il suscitent, seront essentiellement portées par les deux principaux courants que représentent le PCF (Parti Communiste Français) et les catholiques.  »
Jean-Louis Aubry, fit remarquer que certaines questions ne sont pas abordées dans ce programme. Pour ce qui concerne l’exemple du vote des femmes, il semble évident à Antoine Prost, que les membres du CNR y étaient favorables, c’est pourquoi la question ne se posa pas. Pour ce qui concerne la laïcité, cette question ne fut pas abordée car elle aurait probablement pu occasionner des départs dans la frange catholique du CNR.

Le CNR et de Gaulle

Le CNR fut avant tout un moyen pour de Gaulle de se faire reconnaître à Londres comme étant le représentant légitime d’un gouvernement Français.
Alors que le général Giraud tente, au premier semestre de 1943, de mettre en place un gouvernement à tendance vichyssoise à Casablanca, la création du CNR vient renforcer la position de de Gaulle. En élaborant un programme, ses membres affirment leur souhait d’une véritable refondation qui refuse de s’appuyer sur les anciennes bases du pouvoir. Tout est à refaire au niveau politique et au niveau international. Légitimer de Gaulle c’est également écarter un autre danger éventuel : la création aux lendemains de la Libération, d’un comité militaire dirigé par des officiers étrangers chargés d’exercer le contrôle des régions en France.

Libération et épuration

Les CDL (Comités départementaux de Libération) et les comités locaux implantés dans chaque commune ont-ils joué un rôle de régulateurs à la Libération, période pendant laquelle beaucoup d’excès furent dénoncés ? La réponse est variable en fonction des régions... Selon Antoine Prost, l’épuration aurait abouti à environ 10 000 exécutions sur l’ensemble du territoire. Un chiffre pas si démesuré pour l’historien, au regard du contexte de l’époque et des terribles années d’occupation ... [5]

La controverse

Quand Antoine Prost évoque le slogan du PCF après la Libération, " le parti des 75000 fusillés", il ajoute que le chiffre est contestable selon lui, les communistes présents dans l’assistance réagissent. Au premier rang, le député Jean-Claude Sandrier demande alors à l’historien de préciser ses sources. Celui-ci précise qu’une étude est actuellement en cours sur le sujet mais maintient que ce chiffre paraît exagéré. La vérité n’est pas simple à trouver si l’on doit faire la distinction entre les victimes fusillés, guillotinés, déportés etc... tout en évitant des doubles comptages...
Yannick Bedin, conseiller municipal de Bourges, prend ensuite la parole pour demander en quoi l’on peut affirmer que les communistes n’auraient pas défendu les mesures sociales (notamment les nationalisations) lors de la mise en place du programme du CNR.
Maurice Renaudat, adhérent du PCF, se rappelle lui aussi avoir combattu pour faire passer les idées du programme du CNR dans les entreprises alors qu’il était ouvrier agricole après guerre. Il garde en mémoire de nombreuses grèves qui furent menées notamment en faveur des nationalisations.
Là encore, Antoine Prost se justifie en expliquant que les tractations entre les différentes forces politiques ont conduit les responsables du PCF à faire varier leurs positions au fil des mois mais que pour eux, la libération nationale n’était pas la lutte des classes. Il invite ses détracteurs à relire les travaux de l’historienne Claire Andrieu à ce propos.

Que reste-t-il du CNR aujourd’hui ?

Alfred Grosser rappelle la parution d’un article de Jean-Philippe Feldman dans le Figaro du 7 mai 2008, mettant en cause les mesures économiques et sociales du CNR. Article qu’il juge scandaleux et qui annoncera le détricotage de cet héritage.

La parole étant donnée au public, on retiendra la question de Mourad Guichard, de LibéOrléans, demandant à Robert Chambeiron ce qu’il pense de l’appel renouvelé du CNR en 2004. Ce dernier précise qu’il n’empêche personne de s’exprimer mais que cet appel n’est pas son combat car principalement porté selon lui par les gens d’ATTAC.

En conclusion, Antoine Prost estime qu’il est heureux que la cour européenne des Droits de l’Homme puisse intervenir lorsque la politique de la France n’en respecte pas les principes. Il cite l’exemple des prisons françaises régulièrement épinglées par la cour, mais avec Alfred Grosser, ils évoquent plus généralement toutes les attaques mettant aujourd’hui à mal les avancées obtenues par l’application du programme du CNR. Ce dont semble convenir la majorité des participants au débat et du public dans la salle.

Participants au débat :

Robert Chambeiron, secrétaire général adjoint du CNR, dernier témoin de la réunion inaugurale du CNR . Né en 1915.

Alfred Grosser, professeur des universités, chroniqueur politique, spécialiste de l’histoire des relations internationales et de l’Allemagne. Né en 1925.

Antoine Prost, professeur des universités, spécialiste de l’histoire de l’éducation, du syndicalisme et des deux conflits mondiaux. Né en 1933.

Jean-Louis Laubry
, historien de la Résistance dans le Berry. Né ... bien après la guerre.

Le Berry Républicain a fait paraître à ce sujet :

Un article daté du lundi 23 mai 2011 dans la rubrique "le fait du jour".

Un article en ligne ici

Yannik Bedin a aussi publié un billet en réponse à l’article du Berry.

[1Voir le Post- scriptum ci-dessus.

[2Robert Chambeiron souligne l’efficacité du subterfuge imaginé par Mahnès dans cette affaire. Sous le nom de Joseph Jean Mercier, sa nouvelle identité, Jean Moulin est censé être natif de Péronne, ville complètement rasée en 1917. Impossible donc pour les autorités d’occupation d’aller vérifier sur registres l’authenticité des documents présentés.

[3Une anecdote datant de début 44, est racontée par Robert Chambeiron à ce sujet : Georges Bidault, qui dirigea le CNR à la suite de Jean Moulin, put grâce à une amie trouver un appartement à Paris situé non loin du ministère de l’intérieur pour une réunion clandestine. Mais des policiers français se présentèrent à la porte vingt minutes après le début de la rencontre, prévenus par des voisins ayant entendu des bruits dans cet appartement habituellement inoccupé. Fort heureusement ce jour là "le service de sécurité" des résistants, constitué de deux commissaires de police complices, permit d’impressionner et faire rebrousser chemin à leurs collègues.

[4Le discours du Général De Gaulle le 3 novembre 1943 à Alger,
qui lance l’inauguration solennelle de l’Assemblée Consultative (sorte de parlement de la Résistance) soulignera également cette volonté de changement.

[5Maurice Renaudat, résistant du Cher, voulut témoigner à ce sujet pour rappeler le contexte de cette période trouble. Il raconta qu’un homme de Vierzon, connu des maquisards pour se rendre très régulièrement à la Kommandantur, fut un jour intercepté par eux, en possession d’une liste de noms de paysans. Mesurant le risque encouru d’une dénonciation aux autorités allemandes, les résistants l’exécutèrent, sans autre forme de procès, au bord d’un fossé.


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commentaires
Création du CNR il y a 68 ans - bombix - 27 mai 2011 à 11:34

A lire en ligne, sur le site de la revue Persée, un compte-rendu sur Les nationalisations de la Libération. De l’Utopie au compromis. Claire Andrieu, Lucette Le Van, Antoine Prost. « Les nationalisations, un mythe identitaire » (A. Prost) Il y avait clivage, au sein même du PCF, entre « les aspirations sociales » de la base, et le « calcul politique » de la direction. Raison pour laquelle la « mémoire » des militants, aussi sincère et même exacte soit-elle, n’est peut-être pas suffisante pour écrire l’« histoire » de la période.


Mai 1941 : Le PCF lance la grande grève des mineurs - 28 mai 2011 à  11:41
Répondre à ce message #32543 | Répond au message #32530
Création du CNR il y a 68 ans - Hassen Chébili - 27 mai 2011 à 09:32

Très bon article.


Création du CNR il y a 68 ans - B. Javerliat - 27 mai 2011 à  10:31

Très bon article.

Ça, c’est du commentaire ! Même pas 140 caractères, en plus. Comme quoi, fesse-bouc et touitère, ça abime...

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[HS] - Création du CNR il y a 68 ans - Mister K - 27 mai 2011 à  15:18

Oui, mais c’est quand même un gentil commentaire ;-)
I like, +1 ;-)

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Création du CNR il y a 68 ans - 27 mai 2011 à 09:22

bonjour,

Merci pour le compte-rendu. Une petite précision : sur la position des communistes vis à vis des nationalisations, Antoine Prost a invité à relire Claire Andrieu, universitaire, auteur d’un livre sur le programme du CNR en 1984, et non René Andrieu.


Création du CNR il y a 68 ans - Mercure Galant - 27 mai 2011 à  13:18

C’est corrigé !
Merci plutôt à vous pour votre lecture attentive. C’est aussi l’intérêt de ce forum que de pouvoir permettre aux lecteurs d’ apporter toutes les précisions et corrections nécessaires, à la suite de la parution d’un article.

Répondre à ce message #32534 | Répond au message #32526