La règle d’or, la vraie.

samedi 27 août 2011 à 08:32, par B. Javerliat

«  Si vous voulez une règle d’or qui s’applique à tout le monde, la voici : n’ayez rien dans vos maisons que vous ne sachiez être utile ou croyiez être beau  » William Morris.

En faisant des recherches sur la fameuse Règle d’or, je suis tombé par hasard sur un texte d’une incroyable actualité, pourtant écrit à la fin du 19è siècle par William Morris. En tant qu’artiste, il dénonce la masse d’objets dénués d’esthétique, d’utilité et de qualité que produit ce qu’il appelle le « Capitalisme compétitif ». En tant que socialiste, il y voit la principale cause d’asservissement des peuples. Pour ceux qui les produisent dans des conditions misérables, bien sûr, mais aussi « les gens insensés et malheureux qui les achètent », car en achetant ces choses, « c’est la vie des être humains qu’ils achètent  ». En 1884, il fonde la Ligue Socialiste et publie « Art et socialisme », dont voici quelques passages : [1]

Art et socialisme  [2] [3]

« 
Il y a eu des époques où l’Art a dominé le Commerce ; quand l’Art était une bonne affaire et le Commerce, dans le sens dans lequel nous l’entendons, n’occupait qu’une part congrue. Aujourd’hui, le Commerce a acquis une importance suprême, alors que l’Art a sombré dans l’insignifiance. La civilisation moderne, dans sa hâte à conquérir la prospérité matérielle inéquitablement répartie, a entièrement supprimé l’Art populaire.
 »

Travail toujours plus dur

« 
Et là n’est pas tout le mal, ni même le pire ; en raison de cette disette d’Art, les gens ont perdu – en perdant un Art qui était fait par et pour le peuple – la rançon naturelle de leur effort, alors qu’ils travaillent aussi dur, dans le monde civilisé, qu’ils l’avaient toujours fait. Mais, par une cécité étrange, une erreur dans la civilisation de ces derniers temps, le travail du monde presque dans son entier est devenu une telle charge que chaque homme, s’il le pouvait, s’en débarrasserait.
 »

Croissance des inégalités

« 
Et l’on ne peut pas même soutenir le système de la civilisation moderne en plaidant que les purs gains matériels et physiques de celui-ci compensent la perte de plaisir à laquelle il a conduit dans le monde entier. Ces gains ont été si inégalement répartis que la disparité entre les riches et les pauvres s’est dangereusement accrue. Tout cela résulte d’un système qui a piétiné l’Art et élevé le Commerce au rang d’une religion sacrée. Et maintenant, contre cette tyrannie stupide, j’avance une revendication en défense du travail réduit en esclavage par le Commerce : Il est juste et nécessaire que chaque homme ait un travail qui vaille la peine d’être fait et qui soit en lui-même plaisant à faire ; et qui doive être fait dans des conditions telles qu’elles ne le rendent ni trop pénible ni trop stressant.
 »

Biens de consommation inutiles

« 
En premier lieu, le travail doit valoir la peine d’être fait. Je suis frappé de stupeur à la pensée de l’immensité du travail qui est enduré pour faire des choses inutiles. Personne, qu’il soit sérieux ou frivole, n’a vraiment besoin de la plupart de ces choses ; seule une folle habitude conduit même le moins doté d’entre nous à supposer qu’il les désire. Mais je vous prie de penser à l’énorme quantité d’êtres humains qui sont occupés à ce misérable non sens. Tous ceux-ci sont les esclaves de ce qu’on appelle le superflu qui, dans le sens moderne du mot, comprend une masse de fausses richesses, l’invention du Commerce compétitif, et réduit en esclavage non seulement les pauvres qui sont obligés de travailler à sa production, mais aussi les gens insensés et malheureux qui l’achètent et se chargent eux-mêmes de son encombrement.
 »

Publicité et mode

« 
En fait, s’il ne s’agissait que de nous libérer, nous les gens aisés, de cette montagne de déchets, cela vaudrait la peine d’être fait : des choses dont tout le monde sait qu’elles sont inutiles ; les vrais capitalistes savent bien qu’il n’y a pas de véritable demande pour elles, et ils sont obligés de les introduire grâce à la publicité en stimulant un désir étrange et frénétique pour de petites choses excitantes, un phénomène connu sous le nom conventionnel de mode – un étrange monstre né de la vacuité de la vie des gens aisés et de l’ardeur du Commerce compétitif pour tirer le meilleur parti de cette immense foule de travailleurs-euses, qu’il multiplie tels des instruments sans valeur pour ce qu’on appelle le profit. Alors que les objets à la mode, lorsqu’ils perdent leur premier éclat, deviennent évidemment inutiles, même aux personnes frivoles, – une œuvre d’Art, même la plus simple, résiste au temps ; la raison en est qu’elle a une âme, la pensée de l’être humain, qui sera perçue en elle tant que le corps sur lequel elle a été greffée existe.
 »

« C’est la vie des êtres humains que vous achetez… »

« 
Jusqu’ici nous avons pensé à cela du point de vue de l’usager-ère ; il était certes suffisamment important ; maintenant voyons celui du producteur, qui est bien plus important. Car je le répète, en achetant ces choses « c’est la vie des être humains que vous achetez ». Voulez-vous pour de pures folies et absurdités vous faire les complices de ceux qui obligent leurs compagnons à travailler pour rien ? La perte qu’implique le fait de faire des choses inutiles afflige doublement l’ouvrier-ère. En tant que public, il est obligé de les acheter, et la plus grande partie de son misérable salaire est happé par cette espèce de système universel de troc ; en tant que producteur, il est obligé de les fabriquer et ainsi de perdre les fondements essentiels du plaisir du travail quotidien, que je revendique comme l’une de ses prérogatives ; il est contraint de travailler sans joie à fabriquer le poison que le système de troc l’oblige à acheter. De sorte que l’immense foule des êtres humains qui sont contraints par folie et avarice à faire des choses inutiles et nocives est sacrifiée à la Société.
 »

Ne produire que ce qui en vaut la peine

« 
Rien ne devrait être produit par le travail humain qui ne vaille la peine d’être produit ; ou qui doive être fait par un travail qui dégrade ceux qui le font. Aussi simple que soit cette proposition, elle représente un défi mortel pour le système actuel de travail des pays civilisés. Ce système que j’ai appelé le Commerce compétitif est clairement un système de guerre ; c’est-à-dire de gaspillage et de destruction : puisque sous son empire, tout ce qu’un homme gagne, il le gagne du fait des pertes d’un autre homme. Un tel système n’a et ne peut avoir cure que les choses qu’il produit vaillent la peine de l’être ; il n’a et ne peut avoir cure que ceux-celles qui les fabriquent soient dégradés par leur travail : il ne se préoccupe que d’une seule chose, en l’occurrence, ce qu’il appelle faire du profit ; un terme qui a été utilisé de façon si conventionnelle que je dois vous expliquer ce qu’il signifie réellement, c’est-à-dire le pillage du faible par le fort !
 »

Progrès mécaniques et aliénation du travail

« 
Et toute cette maîtrise sur les forces de la nature que les quelque cent dernières années nous ont apportées : qu’a-t-elle fait pour nous dans le cadre de ce système ? Selon John Stuart Mill, il est douteux que toutes les inventions mécaniques des temps modernes aient contribué à alléger la pénibilité du travail : soyez sûrs sans aucun doute qu’elles n’ont pas été conçues pour cela, mais pour « faire du profit ». Ces machines presque miraculeuses auraient pu , si une prévoyance ordonnée s’en était chargée, jusqu’à faire disparaître rapidement tout travail pénible et inintelligent à l’heure qu’il est.
La guerre commerciale a tiré profit de ses merveilles ; en réalité, grâce à elles, des millions de travailleurs-euses malheureux ont été mis à son service, machines inintelligentes pour ce qui est de leur travail quotidien, de façon à disposer de travail bon marché et à poursuivre sans trêve son jeu excitant et mortifère. Egale à elle-même, par l’agrégation brutale des machines et des ouvriers-ères qui leur sont attachés dans les grandes villes et les districts manufacturiers, elle a dégradé la vie parmi nous et la maintient à un niveau misérablement bas. Grâce aux communications rapides qu’elle a développées, et qui auraient dû élever la qualité de la vie en diffusant l’intelligence de la ville dans les campagnes et en suscitant la création de modestes centres de liberté de pensée et de pratiques culturelles, elle a attiré à elle de nouvelle recrues pour son armée de réserve de compétiteurs infatigables, dont ses gains spéculatifs dépendent tant, vidant les campagnes de leur population et privant de tout espoir raisonnable et de toute vie les plus petites agglomérations.
 »

Protéger la nature

« 
Je ne peux pas non plus, en tant qu’artiste, ne pas relever les effets sur le monde extérieur de ce règne de l’anarchie ruineuse qu’engendre la guerre commerciale. Pensez à cette gangrène qui avale sans scrupule, sans merci et sans espoir les champs, les bois et les collines, se moquant de nos faibles efforts pour combattre même ses maux les plus limités, comme les cieux enfumés et les rivières contaminées : l’horreur noire et la saleté repoussante de nos districts manufacturiers est si odieuse aux sens qui n’y sont pas accoutumés, qu’il est de mauvaise augure pour le futur de notre race que des êtres humains puissent parvenir à s’y accoutumer. Personne ne devrait être autorisé à couper, pour le simple profit, des arbres dont la perte abîmerait un paysage ; sous aucun prétexte non plus, des gens ne devraient être autorisés à voiler la lumière du jour par de la fumée, à souiller des cours d’eau, ou à dégrader quelque parcelle de la terre avec des ordures polluantes ou un désordre brutal fondé sur le gaspillage.
 »

Plaidoyer pour une révolution

« 
Voilà ce que trois siècles de Commerce ont apporté à cet espoir qui a surgi lorsque le féodalisme a commencé à tomber en ruines. Qu’est-ce qui pourrait nous donner le signal d’un nouvel espoir ? Quoi, sinon la révolte généralisée contre la tyrannie de la guerre commerciale ? Les palliatifs, que nombre de personnes de valeur développent actuellement, sont inutiles : parce qu’ils ne représentent que des révoltes inorganisées et partielles contre une vaste organisation tentaculaire qui va, avec l’instinct inconscient d’une plante, s’opposer à chaque tentative d’amélioration de la condition des gens en attaquant sur un nouveau front ; de nouvelles machines, de nouveaux marchés, une émigration de masse, le renouveau de superstitions humiliantes, les appels à la frugalité pour ceux qui manquent de tout, à la tempérance pour les sinistrés. La seule chose à faire est d’amener partout les gens à penser qu’il est possible d’élever la qualité de la vie. Si vous y réfléchissez, vous verrez clairement que cela signifie encourager le mécontentement général.
 »

Nos véritables besoins

« 
Tout ce qui est nécessaire – mais qu’est-ce qui est nécessaire à un bon citoyen ?
Premièrement, un travail honorable qui lui convienne : ce qui suppose de lui donner la possibilité d’acquérir les compétences requises pour son travail par une éducation adaptée.
La seconde nécessité réside dans un environnement décent. Cela signifie que nos maisons soient bien construites, propres et saines ; qu’un espace suffisant soit réservé aux jardins dans nos villes ; et de plus, que des zones inexploitées soient laissés à l’état naturel, si nous ne voulons pas que la romance et la poésie qui incarnent l’Art ne meurent parmi nous ;
Enfin que règnent l’ordre et la beauté, ce qui implique que nos habitations soient non seulement solidement et convenablement bâties, mais qu’elles soient décorées de façon appropriée ; que les champs ne soient pas seulement voués à l’agriculture, mais qu’ils ne soient pas dégradés par elle plus que ne l’est un jardin.

De la fin du moyen-âge à nos jours, l’Europe a gagné la liberté de penser, des connaissances accrues, et d’immenses talents pour maîtriser les forces matérielles de la nature ; et de même, la liberté politique et le respect de la vie des hommes civilisés, et d’autres avantages qui vont avec cela. Néanmoins, je dis résolument que si la situation présente de la Société doit durer, elle aura payé ces avantages beaucoup trop cher en perdant le plaisir du travail quotidien qui, autrefois, réconfortait certainement les hommes de leurs peurs et de leur oppression : la mort de l’Art était un prix trop élevé pour la prospérité matérielle de la bourgeoisie.

Un être humain doit avoir le temps de penser individuellement sérieusement, d’imaginer – de rêver même – sans quoi la race humaine va nécessairement se dégrader. Et même de ce travail honorable et convenable dont j’ai parlé, qui est un véritable paradis comparé au travail forcé du système capitaliste, il ne faut pas demander à un être humain d’en donner plus que sa part ; sans quoi ils se développerait inégalement, maintenant foyer de pourriture au sein de la société.

Je vous ai présenté ici les conditions dans lesquelles un travail digne d’être fait, non dégradant, peut être accompli : il ne peut pas être effectué dans d’autres conditions. Si le travail général du monde ne vaut pas la peine d’être fait et qu’il est dégradant, c’est une plaisanterie que de parler de civilisation.
 »

La règle d'or, la vraie.
William Morris
(1834-1896)

[1Extraits de « Art et socialisme - Un manifeste écosocialiste de la fin du 19e siècle » - Sur le site de Solidarités

[2Discours prononcé en 1884, devant la
Leicester Secular Society

[3Version originale sur le site Marxists.org


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commentaires
La règle d’or, la vraie. - Eulalie - 31 août 2011 à 13:55

Sur le site (québécois) "Nouvelles Internationales" on trouve encore le documentaire d’Arte " La Conspiration des bulbes incandescents-Obsolescence programmée-" qui rejoint la pensée de ce monsieur William Morris sur les objets. Quand bien même ils sont utiles, le documentaire explique comment on en est arrivé à l’obsolescence programmée pour le buisness et comment les fabricants de ces produits ont réagi.


La règle d’or, la vraie. - Eulalie - 30 août 2011 à 10:42

Ne plus en pouvoir d’achat