Lepeltier : ce dont on ne peut parler, il faut le taire
Avant de s’envoler pour Durban pour sauver la planète, Serge Lepeltier nous a laissé sur son blog une version corrigée [1] de son article paru la semaine dernière dans un grand journal du soir [2].
Jugeant sans doute que, pour s’adresser aux berruyers, braves mais un peu simples, il faut simplifier son langage, Lepeltier a expurgé son texte paru dans le Monde de ses difficultés et obscurités. Envolés, les morceaux de bravoure du genre : « Nous avons un discours solidaire avec les pays en développement en acceptant que la responsabilité des pays développés dans le changement climatique est majeure. Mais en leur demandant aussi de comprendre que l’engagement des pays émergents est indispensable pour des résultats probants. ». Plus marquant : la référence à la décroissance, centrale dans le papier du Monde titré « La décroissance, une fausse solution à la crise climatique » a carrément disparu ! Tout comme l’antagonisme fort entre les pays « en voie de développement » et les pays riches.
Restent quelques formules incompréhensibles du genre : « il n’en demeure pas vrai que stratégie économique et stratégie climatique sont indissociablement liées pour l’avenir. » Bah ! notre ambassadeur multicartes a un emploi du temps tellement chargé (à tel point qu’on ne le voit plus dans la ville dont il est maire) qu’il n’a pas le loisir de travailler son style.
Reste que ces petits réajustements rhétoriques témoignent peut-être d’une prise de conscience chez leur auteur.
Finalement, Serge Lepeltier en aurait-il trop dit ? Désigner la « décroissance » comme adversaire, c’est reconnaître sa légitimité ; cliver nettement les intérêts des pays émergents et des pays « développés », c’est souligner des antagonismes réels qui risquent de faire exploser le système qu’il défend.
Les politiques parlent aussi par leurs silences. Et parlent d’autant plus clairement et distinctement qu’ils laissent apparaître sans ambiguïté ce qu’ils ont décidé de ... taire ! A cet égard, le nouveau texte de l’ambassadeur de Sarkozy pour le climat est convaincant. On savait Serge Lepeltier grand lecteur de Simone Weil et de Saint Augustin. On le découvre aujourd’hui fan de Ludwig Wittgenstein [3].
[1] Sur le blog du maire : Conférence de Durban sur les changements climatiques : économie et climat intimement liés.
[2] Voir notre article : Lepeltier sur le climat : pas convaincant
[3] Wovon man nicht sprechen kann, darüber muß man schweigen, « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire », Tractatus logico-philosophicus, proposition 7, demeurée célèbre car fermant le premier livre du philosophe le plus original du XXème siècle, et témoignant du mysticisme possible de celui qui voulut d’abord défendre un positivisme rigoureux, fondé sur l’expérience et la logique.