Sexe et soutane au Québec : les lettres du frère Marie-Victorin
Un homme religieux et botaniste célèbre, et québecois, bah, banal ?... Mais lorsque ce religieux botaniste s’intéresse aux fleurs sexuelles humaines, c’est moins banal. L’Agitateur vous raconte ça, en totale avant-première !
La sainteté par les plantes

Le frère Marie-Victorin, né en 1885, est un personnage religieux du Québec, de l’ordre des Ecoles Chrétiennes. Il fut un botaniste de renommée internationale – ce qui justifia l’édition d’un timbre par les postes canadiennes (image sage, avec son jabot d’ecclésiastique). Professeur, jusqu’à son décès accidentel en 1944, à l’Université de Montréal, c’est lui qui a fondé le Jardin Botanique de cette ville et il est l’auteur de la Flore Laurentienne, ré-éditée jusqu’à aujourd’hui.

La botanique était bien sanctifiée au Québec, dans les années d’avant-guerre. Une jeune femme catholique, Marcelle Gauvreau, née en 1907, entre en 1931 à l’Institut Botanique du frère Marie-Victorin : elle y sera étudiante puis bibliothécaire. Deux ans après elle a ses diplômes de botanique et écrira elle aussi des ouvrages de botanique plutôt destinés à la jeunesse.
Marcelle Gauvreau fonde, en 1935, une école destinée à initier les jeunes aux sciences naturelles : l’École de l’Éveil. De son côté le frère Marie-Victorin était un des fondateurs de l’ACFAS (Association Canadienne-Française pour l’Avancement des Sciences), créée en 1923, à Montréal. L’homme scientifique n’adhéra pas non plus aux diatribes contre la théorie de l’évolution professées par les religieux.
Le religieux et la jeune catho deviendront collaborateurs (elle sera son assistante) et amis - et ils échangeront une correspondance étonnante, et unique, et surréaliste, et passionnante.
Sexe : la lettre et l’esprit
Voici quelques semaines, début février, l’émission Enquêtes – diffusée sur une télé canadienne – révélait la relation particulière entre le frère Marie-Victorin et Marcelle Gauvreau. Ce documentaire, Le jardin secret du frère Marie-Victorin est disponible sur Youtube. Ne vous en privez pas : c’est une surprise réjouissante.

Marcelle Gauvreau et le frère Marie-Victorin avaient échangé pendant 10 ans, de 1933 à 1944, des lettres où le sujet principal était simple : le sexe, le plaisir, l’orgasme, sujets totalement impossible à aborder publiquement durant les années 1930 [1]. Le documentaire accompagnait ainsi la publication, en février, par les Editions du Boréal, les lettres du frère Marie-Victorin : Lettres biologiques, Recherche sur la sexualité humaine.
Des lettres époustouflantes : rarement on a serré d’aussi près la sexualité féminine et masculine. Tout y passe : description des sexes, tentatives de compréhension des orgasmes, de l’excitation, de l’envie, comme éléments naturels de notre humaine nature. Le frère Marie-Victorin le dira à la jeune Marcelle : « Et le diable n’a rien à voir là-dedans ». Eh oui, le coquin et la coquine, catholiques fervents, passent ainsi de la fesse à la messe.
Sur le site de Radio-Canada, on peut trouver un bon dossier sur la curiosité sexuelle du religieux frère Marie-Victorin. Mais rien ne vaut la lecture du bouquin qui vient de paraître : des lettres fascinantes, émouvantes, amusantes, un ton unique [2] . Le livre devrait être disponible en avril, en France, à La Librairie du Québec au prix de 22 €.
Des p’tis morceaux de lettres - mais des sages...
« Comme vous me l’avez dit un jour, tant qu’une femme n’a pas été touchée, elle ne sait pas quelle charge de dyna…
« Si vous relisez ce que j’ai écrit, vous verrez que, sans érection violente, j’ai éjaculé insen…
« La femme a beaucoup plus de capacité orgasmique que nous, pauvres…
« La description que vous me faites de votre orgasme concorde bien avec…
« Je lisais ce matin, après la messe, quelques pages de Saint François d’Assise…
« Il arrive parfois quand je suis avec vous, seul à seul ou en compagnie, que votre robe glisse et découvre…
« Lorsque la fille ayant craché à l’évier…
« Ce coin de chair, ce con, puisqu’il faut l’appeler par son petit nom…
« Je n’ai pu retrouver la capote qui me restait. Et je ne puis en demander dans une pharmacie avec un habit religieux…
"La tristesse durera toute la vie", Vincent Van Gogh
Le frère Marie-Victorin meurt dramatiquement en 1944, dans un accident de voiture, en passant à travers un pare-brise. Marcelle Gauvreau traînera ce deuil toute sa vie. La pionnière de l’enseignement préscolaire au Québec, restée célibataire, sans enfants, est décédée en décembre 1968, emportant avec elle le tourbillon de ses orgasmes racontés. Hélas, pour le moment nous ne disposons pas des lettres de la jeune dame blonde, juste des bribes dérobées : une histoire d’ayant-droit, pff, pas gentil ça. Mais ça ne saurait tarder ? J’allais dire : prions pour que... Mais faut pas déconner quand même !
[1] Pendant ce temps, en France, durant la même période, l’abbé Viollet tentait de répondre comme il pouvait, aux lettres de catholiques hommes et femmes qui se débattaient dans les souffrances sadiques imposées par la morale de l’église et son horreur du sexe. On est loin de l’audace du frère Marie-Victorin, mais le désespoir trouvé dans ce livre, L’Amour en toutes lettres : Questions à l’abbé Viollet sur la sexualité, 1924-1943 mérite d’être lu.
[2] Incidemment, en lisant le livre on découvre aussi un grand amateur de littérature : Clochemerle de Gabriel Chevalier, Alain Fournier, Brantôme (eh oui !), Gamiani d’Alfred de Musset (aussi ?!), etc.