Mai 68, 50 ans ! 22 mars à Nanterre, y’a du mouvement
En 1968, la fac de Nanterre, posée dans un no man’s land boueux de grands chantiers, aura un drôle de calendrier : le 22 mars commencera le 8 janvier. Il n’y avait plus de saisons.
La fac de Nanterre a été imaginée par on ne sait quelle tête d’œuf vraisemblablement adonnée à la boisson. Au milieu de rien, on avait mis tout : amphis et salles de cours, bureaux pour administrer, résidences pour les étudiants ; tous les légumes et aromates dans la même cocotte-minute. Résidence pour étudiants et… étudiantes. Au printemps 1967, c’est donc justement le printemps : en mars, une bande d’une cinquantaine de garçons avait envahi le bâtiment des filles ravies. La police était arrivée, avait assiégé le bâtiment et avait attendu. Puis d’autres étudiants ayant ouï la nouvelle, étaient arrivés aussi, assiégeant alors la police, et attendaient. Tout s’était réglé pacifiquement mais le vers était dans le fruit.
Cinoche et partouze
A partir de janvier 1968, c’est l’agitation permanente touillée par un tout petit groupe : interruption de cours, demande de modification du programme d’études, interpellations de professeurs, y compris les plus prestigieux. Et des graffitis ici ou là : sur le mur d’un bâtiment, on peut lire : "Professeurs vous êtes vieux… Votre culture aussi.". Ainsi, le petit groupe, demande à un professeur de remplacer sa leçon par la projection du film sur la grève de l’usine Rhodiaceta de Lyon,À bientôt, j’espère de Chris Marker. Le professeur refusera. la légende nous dit que l’affaire sera ponctuée d’un « Vous êtes un con ! » adressé au prof récalcitrant. Ce serait un étudiant rouquin qui aurait dit ça, un dénommé Daniel Cohn-Bendit, celui qui devient le leader de cette bande qui va vite être surnommée les "enragés".
Autre algarade désormais entrée dans la geste de l’année 1968, une histoire d’eau. Le 8 janvier, François Missoffe, Ministre de la Jeunesse et des Sports, se rend à la fac de Nanterre pour inaugurer la piscine. Dès son entrée à Nanterre, une inscription énorme "ce soir, à 18 heures, partouze à la piscine" a dû lui donner une p’tite inquiétude. Mais il trouve facilement cette piscine : d’énormes phallus en pointent un peu partout la direction. Ouf, tout se passe bien, et le ministre après s’être réjoui de voir une piscine avec de l’eau dedans, ressort du bâtiment l’abritant.
Tiens ? Y’a un p’tit groupe ? y’a un type qui s’en détache et s’avance ? Daniel Cohn-Bendit interpelle le ministre, et demande pourquoi dans le Livre blanc sur la jeunesse, il n’y a pas un mot sur les problèmes sexuels des jeunes ? Humm, pourquoi ? Le ministre aux cheveux crantés répond qu’il est pour les activités sportives. Cohn-Bendit n’en démord pas : pourquoi on ne parle pas de sexualité ? Le ministre s’énerve et conseille au jeune rouquin de plonger dans la piscine pour oublier ses problèmes sexuels. Cohn-Bendit, du tac au tac : « Voilà une réponse digne des jeunesses hitlériennes. » Et l’incident se termine. Mais c’est le début de l’aura attribuée au jeune provocateur qui était alors inconnu du grand public – Ce 8 janvier, sa notoriété va franchir d’un seul coup l’enceinte de Nanterre.

Le gouvernement envisagera l’expulsion de l’étudiant l’allemand Daniel Cohn-Bendit puis se ravisera. Presque la gloire, presque, pas encore. Les enragés continuent le torpillage, leur groupe grossit de provocation en remue-ménage, couci-couça.
22 mars, les trublions trublionnent
Non, pas le 22 mars, tout de suite. D’abord le 20 mars, et rien à voir avec Nanterre. Un petit groupe de sauvages, pour protester contre la guerre menée par les américains au Vietnam, saccage les vitrines de l’American Express. Pendant que d’autres sauvages scandent "Vietnam vaincra", brûlent un drapeau étoilé, badigeonnent le mur avec des slogans. Et hop ! Juste en quelques deux à trois minutes, et le groupe s’évanouit. La police n’a même pas eu le temps de coiffer un képi et sortir voir ce qui se passe. Et voilà qu’un sauvage, Xavier Langlade revient sur ses pas, histoire de voir un peu si y’a eu assez de dégâts. Il n’a pas le temps de jauger la vitrine, les policiers l’alpaguent illico. Xavier Langlade se retrouve au poste. Puis au p’tit matin, quelques lycéens seront appréhendés ainsi qu’un autre militant. Jusqu’ici, c’est la routine. Sauf que…
Sauf que Xavier Langlade est un étudiant de Nanterre, ah zut. Les enragés alors s’enragent. On est donc, le 22 mars. Cohn-Bendit en tête, ils pénètrent dans les salles de cours, informent de l’histoire et appellent à une réunion en fin d’après-midi. En fin d’après midi, des centaines d’étudiants se retrouvent dans l’amphi B2. Des centaines ? Les enragés feraient-ils des petits ?
Cohn-Bendit harangue : « Nous proposons pour que l’opinion publique soit alarmée […] une occupation d’un bâtiment de la faculté de nanterre où nous resterons toute la nuit. » Ouaih, ouaih, clameurs d’approbation. Conciliabules. Ça se décide finalement : c’est une tour du bâtiment administratif qu’il faut occuper. Et en haut : c’est la salle du conseil de la fac. Bière, sandwiches, comme par magie, on se débrouille, on campe. Comme Cohn-Bendit a récupéré les clefs des divers bureaux, on trouve même du champagne. La fête, la fête.
On est là, on est nombreux, on se dit déterminé. On en profite pour rédiger un appel : « L’heure n’est plus aux défilés pacifiques […]. À chaque étape de la répression, nous riposterons de manière de plus en plus radicale. » On est le 22 mars (peut-être même le 23, l’heure tourne). Le texte est proposé aux voix : 142 pour, 2 contre, 3 abstentions. Et voilà une journée bien remplie, on se sépare, on va se coucher. Il est une heure trente du matin. Xavier langlade et les autres ont été libérés. La police n’a pas eu le temps de préparer une intervention. On ne sait même pas qui a nommé ça le Mouvement du 22 mars. Ce qu’on sait, c’est que les jeunes enragés avaient rédigé la feuille de route de mai 68 à venir.