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FILM D’ART

Nekromantik 2 ou la mort comme objet de jouissance ultime

dimanche 14 septembre 2003 à 20:11, par Charles-Henry Sadien

Se substituant à la faiblesse de la programmation cinématographique actuelle, voici venir le DVD de Nekromantik 2, the return of the loving dead, douze ans après le scandale suscité par sa sortie sur les écrans de cinémas allemands. Le genre de film incontournable que vous n’avez vraiment aucune chance de voir dans les supermarchés du cinéma de type Mega CGR.

Une histoire d’amour physique perverse avec un cadavre en cours de décomposition. Le scénario, a priori casse-gueule, pourrait ramener à un film d’horreur pour adolescent attardé en mal de sensations, teinté de pornographie scabreuse. L’affiche, représentant une femme castratrice tranchant entre ses jambes interminables la gorge d’un homme toutes tripes dehors, tendrait à confirmer la piste du parfait nanar. Nekromantic 2 - The return of the loving dead, entre pourtant probablement dans la catégorie des films cultes tant par sa recherche esthétique que par son sens poétique à fleur de peau.

Interdit en Allemagne lors de sa sortie sur les écrans en 1991, c’est finalement grâce à la justice que le réalisateur allemand Jörg Buttgereit se verra reconnaître la portée artistique de son oeuvre, ce qui lui fera dire avec un peu d’ironie qu’il est devenu depuis « officiellement un artiste », certifié par voie judiciaire. Ce n’est pourtant que récemment que son oeuvre est sortie en édition DVD non censurée*. Après un premier épisode de ce film underground que Jörg Buttgereit qualifie lui même de mauvaise farce, ce second volet est un véritable coup de maître, car l’écueil délirant et sordide de partouzes géantes avec des cadavres au milieu d’un cimetière lugubre tel que cela aurait pu être imaginé par un mauvais scénariste qui aurait voulu aller plus loin que Nekro 1 dans la provocation et dans le ridicule, a été évité.

Au contraire. Nékromantik 2 est une histoire d’amour fusionnelle entre une femme à la beauté simple et confondante et un homme sans vie qui s’est offert le plaisir solitaire du suicide dans le dessein de découvrir les sensations jouissives ultimes de la lente agonie et de fin de vie. Dans ce film presque sans paroles (il aurait d’ailleurs pu - dû - l’être dans son intégralité), l’horreur n’est pas une finalité mais une conséquence, car l’idée première du réalisateur est de montrer l’homme à l’état d’objet dans un genre cinématographique assez machiste où, conventionnellement, c’est la femme qui tient le rôle de l’innocente victime. Pour cela, Jörg Buttgereit joue habillement de sa caméra, donnant une importance primordiale au positionnement des corps et des choses, alternant les scènes difficiles et les pures moments de poésie où l’on voit un lézard se déplacer sur une pierre, des feuillages se mouvoir grâce au souffle du vent, un escargot glisser lentement sur un sac poubelle. Ces scènes magnifiques de simplicité sont soutenues par une bande sonore d’une grande délicatesse. Le minimalisme d’un simple piano et les légères expérimentations bruitistes parviennent en effet sublimer littéralement le film au point de devenir la composante essentielle de sa réussite esthétique.

Il aurait cependant été souhaitable que Jög Buttgereit pousse plus loin encore la subtilité de ses images, notamment dans les scènes de découpes du corps qui auraient gagnées en portée si elles avaient été simplement suggérées. Peut-être aurait-il d’ailleurs fallu ne jamais montrer le cadavre qui, paradoxalement tranche avec l’esthétique de l’oeuvre en raison de son aspect artificiel qui n’est pas sans rappeler les vieux films d’horreur des années 70-80 du type « La nuit des morts-vivants ». Mais il est possible également qu’il s’agisse d’un clin d’oeil volontaire.

Une chose est certaine : dans ce film, l’homme est malmené. Il est montré comme une création qui n’a que peu d’intérêt pour la femme laquelle va finir par ne conserver de lui que son sexe et sa tête. C’est sans doute ce qui explique que Nekromantik 2 ait été accueilli beaucoup plus favorablement par un public féminin que masculin. Pourtant, le thème de l’éternelle insatisfaction de la femme y est également évoqué. On y voit une femme chercher la jouissance mais ne l’obtenir que partiellement. La frustration engendrée provoque chez elle une souffrance intérieure parfaitement restituée par le réalisateur. Celui-ci a voulu aussi rappeler subtilement au spectateur que l’horreur suscité par la fiction d’une production cinématographique aussi immorale qu’elle puisse être, sera toujours moins insoutenable que la vision stricte de la réalité de notre monde. Ainsi le film montre-t-il parcimonieusement des images d’un documentaire où l’on voit des bébés phoques nager avec beaucoup d’entrain, puis, l’un d’entre eux être tué et dépecé par des hommes vêtus de gants et de masques blancs, jetant finalement sa carcasse dans une poubelle. Le thème de la nature pervertie par l’homme est donc également très présent, à l’image d’une autre scène où l’on voit des fleurs coupées et déposées dans un vase près du cadavre, pourrir en images accélérées.

Bref, vous l’aurez compris, c’est un film qui a davantage sa place sur Arte que sur les chaînes de films d’horreur ou de porno que l’on trouve sur le satellite. Techniquement, le DVD est visible en version originale allemande sous-titrée en anglais. Mais l’incompréhension de la langue de Goethe ou de celle de Shakespeare n’est pas un obstacle à la compréhension du film qui ne comporte que peu de dialogues et où les images se suffisent à elles-mêmes. On y trouve de magnifiques photos du tournage, les commentaires du réalisateur, les bandes-annonces, un making of de vingt-cinq minutes, le clip vidéo d’un groupe de métal allemand, The Krupps, réalisé par Jörg Buttgereit (à regarder sans le son...), mais aussi son premier film court tourné en Super 8, et un deuxième CD audio contenant l’intégralité de la bande son de Nekromantik 1 et 2. Peu de films non commerciaux bénéficient d’une adaptation sur un support DVD aussi riche. A voir absolument.

* Nekromantik 2 - the return of the loving dead par Jörg Buttgereit. Barrel entertainment, 1991-2003. Réf : BEDVD004. Edition limitée à 20.000 exemplaires. Contient un DVD (attention : zone 2 - Etats-Unis et Canada) et un CD de la bande son originale du film. En allemand sous-titré.

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> Nekromantik 2 ou la mort comme objet de jouissance ultime - avarello - 1er novembre 2003 à 14:15

leglisation de la necrophilie


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