L’eau, ça coule et ça mouille
Où se situe la frontière entre la performance plastique et la blague de potache ? A ce questionnement intérieur indélébile, quatre étudiants de l’Ecole des Beaux Arts de Toulouse invités par Emmetrop à investir le Transpalette, naviguent en eaux troubles. Le temps d’un week-end, l’eau a pris l’art et l’art a pris l’eau.
« Par un geste simple et radical, cette pièce intitulée ’on va régler ça dehors’ plonge le spectateur dans un état de contemplation monotone et s’ouvre sur un questionnement qui oscille entre doute existentiel et poésie d’une vision surréaliste ». Dans la salle glauque du Transpalette, vestige d’une industrie française en ruine, l’eau coule à flot, s’écrase bruyamment sur le béton, comme si chaque goûte pesait une tonne. Un mur d’eau, qui ressemble à un voile transparent ou à un miroir liquide. Toute la journée, il a plu abondamment à Bourges. Et maintenant que la pluie a cessé au dehors, voilà qu’elle réapparaît au-dedans. Un concours de circonstance qui donne une autre dimension à l’oeuvre exposée.
« Au début, on voulait faire ça avec du champagne », explique, une fille de Emmetrop, amusée par l’étonnement un brin scandalisé d’un visiteur. Voilà qui eut été dommage. En d’autres temps, on aurait préféré évoquer une pluie de bière à Emmetrop. « L’eau, c’est la vie, 80% de notre corps est constitué d’eau », tente-t-elle de se justifier un peu maladroitement. Une oeuvre en forme d’hommage à l’eau ? Difficile d’appréhender le travail des quatre étudiants de l’Ecole des Beaux Art de Toulouse sous cet angle, devant tant d’eau gâchée pour rien. Ou au nom de l’Art Contemporain (notez bien la présence de majuscule attestant de la haute considération de votre rédacteur pour cette forme d’expression artistique). Peut-être faut-il y voir davantage l’interprétation artistique du monde capitaliste qui consomme plus que de raison et qui gaspille les richesses. Mais pour aller au bout de cette logique, les quatre étudiants des Beaux Arts de Toulouse auraient réalisé une oeuvre beaucoup plus forte et impressionnante en foutant le feu au Transpalette. Peut-être faut-il y voir alors l’intrusion d’un élément naturel au sein d’une construction d’une rare laideur qui ressemble à un horrible furoncle, provoqué par la main de l’homme perçu comme un parasite sur terre. Peut-être faudrait-il encore qu’il pleuve dans toutes les maisons pour que les gens sortent dehors et ne restent plus cloîtrés devant la télévision.
Comme souvent en pareil cas, l’oeuvre d’art se construit surtout dans la tête des gens. L’ambition de ces quatre étudiants de l’Ecole des Beaux Arts de Toulouse était de provoquer des « questionnements ». Et c’est sans doute réussi. Il est possible pour chacun, selon son degré d’ouverture d’esprit, de hurler à l’escroquerie, au coup de génie ou à la provocation. Les amateurs d’Art Contemporain y auront probablement éprouvé une forme d’indifférence tant l’exubérance et le non sens sont devenus d’une banalité et d’un conformisme affligeant.
« On dit que l’art est mort
mais s’il ne l’est pas encore
il faut le tuer. »
(A. Michniak / Diabologum)